LES RISQUES POUR LA SANTÉ HUMAINE S'IMPOSENT DANS LE DÉBAT

On prêtait aux maladies nosocomiales d'être seulement favorisées par des défauts d'hygiène à l'hôpital. À tort. Il est prouvé que certaines souches de Staphylococcus aureus, dites résistantes à la méthicilline, peuvent aussi passer de l'animal à l'homme.© BSIP/CHASSENET
On prêtait aux maladies nosocomiales d'être seulement favorisées par des défauts d'hygiène à l'hôpital. À tort. Il est prouvé que certaines souches de Staphylococcus aureus, dites résistantes à la méthicilline, peuvent aussi passer de l'animal à l'homme.© BSIP/CHASSENET (©)

L'étau se resserre sur l'usage des antibiotiques en élevage. En cause, l'apparition de germes pathogènes transmissibles à l'homme et résistants à certaines familles d'antibiotiques.

L'HOMME ET L'ANIMAL PARTAGENT, en grande partie, les mêmes bactéries, les mêmes antibiotiques… et donc les mêmes résistances. Parmi les bactéries qui constituent près de 90 % de la biomasse(1), les germes pathogènes ne représentent qu'une infime partie. La majorité des espèces bactériennes est utile, voire vitale à l'homme et l'animal. On parle de la flore commensale. Ainsi, les bactéries situées dans l'intestin jouent un rôle majeur dans les mécanismes de digestion.

Cette flore commensale est aujourd'hui au coeur des préoccupations du monde médical et vétérinaire. En cause, les découvertes récentes la concernant. C'est un fait désormais établi : les traitements antibiotiques en élevage(2) sélectionnent des souches résistantes dans les flores commensales situées dans l'intestin, les voies respiratoires, la peau et la sphère urogénitale des animaux.

Un transfert des gènes de résistance à des bactéries pathogènes peut ensuite se produire. Or, ces bactéries une fois excrétées dans le milieu extérieur ont la capacité, dans un second temps, de contaminer l'homme par voie alimentaire ou par contact.

Jusqu'alors, il était ainsi admis que les souches de Staphylococcus aureus d'origine animale n'étaient pas en cause dans les infections humaines. On considérait que ces dernières, qu'elles soient contractées à l'hôpital (infections nosocomiales) ou en dehors, se transmettaient exclusivement d'homme à homme par contagion. À tort. Il est aujourd'hui prouvé que certaines souches de Staphylococcus aureus résistantes à la méthicilline (antibiotique de la famille des pénicillines) peuvent passer de l'animal à l'homme. Les éleveurs et les vétérinaires sont particulièrement exposés à ces souches. La proportion des porteurs sains et des personnes infectées y est plus élevée que dans le reste de la population. Pratiquement toutes les espèces d'élevage sont touchées (porc, poulet, cheval, veau, vache laitière…).

Aux Pays-Bas, lors d'une hospitalisation, les patients à risque subissent, par exemple, un test et ont une prise en charge spécifique, s'ils sont porteurs de staphylocoques résistants à la méthicilline en provenance des élevages.

Les problèmes d'antibiorésistance ne se cantonnent pas d'ailleurs à cette seule famille de bactéries. Les rapports scientifiques récents de trois agences européennes, dont l'agence du médicament (EMEA(3)), pointent du doigt les autres germes potentiellement pathogènes et transmissibles à l'homme bien connus des services vétérinaires : les salmonelles, Campylobacter et Escherichia coli.

L'ANTIBIORÉSISTANCE, UN SUJET BRÛLANT

L'apparition de ces antibiorésistances, avec le risque de leur transmission à l'homme, suscite de nombreuses inquiétudes. Témoin, les initiatives tous azimuts que ce sujet provoque et qu'il convient de ne pas prendre à la légère en tant qu'éleveur et vétérinaire. Elles annoncent en effet de nouvelles exigences dans la mise en oeuvre de toute antibiothérapie.

Le 18 novembre dernier avait lieu, par exemple, une journée européenne de l'antibiorésistance. Elle s'est conclue par la création d'un Comité national vétérinaire pour un usage raisonné des antibiotiques.

Il sera chargé de proposer un plan national d'action de lutte contre l'antibiorésistance auquel participent toutes les parties concernées : agences, administration, laboratoires pharmaceutiques, pharmaciens, vétérinaires et éleveurs. Les prochaines journées techniques de la profession vétérinaire (SNGTV) auront pour thème : « L'antibiothérapie : santé animale et publique ».

De leur côté, des organisations internationales comme l'OMS (Organisation mondiale de la santé) et l'OIE (Office international des épizooties) travaillent sur des normes et des codes de bon usage des antimicrobiens. Objectif : préserver l'efficacité des antibiotiques indispensables au traitement d'infections graves chez l'homme, ceux que l'on appelle désormais les antibiotiques critiques.

Depuis deux ans, l'EMEA oeuvre dans le même sens. Elle sensibilise les professionnels sur le risque lié à l'utilisation importante de certaines familles d'antibiotiques et recommande d'en diminuer globalement la consommation. Et il y a du pain sur la planche du côté des productions animales. Les animaux de compagnie sont aussi dans le collimateur de ces instances. Même s'ils consomment peu d'antibiotiques en tonnages, les chiens et les chats sont deux fois plus exposés que les porcs, les volailles et les veaux de boucherie dans les élevages industriels et dix fois plus que les herbivores.

DE RÉELS PROBLÈMES AVEC TROIS FAMILLES D'ANTIBIOTIQUES

Certes, d'après un rapport très récent de l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments), les ventes d'antibiotiques vétérinaires, exprimées en quantité pondérale de matière active, ont un peu reculé en France en 2008 (- 10 % par rapport à 1999). Mais ramenée à la population animale, la diminution n'est que de 2 %. En outre, ce recul apparent masque une augmentation du nombre de traitements (12,5 %) et un niveau d'exposition animale en forte hausse (22 %).

Cet indicateur, directement corrélé au nombre d'animaux traités, intègre la population animale, la dose et la durée des traitements antibiotiques.

Cette augmentation du niveau d'exposition observée sur les dix dernières années apparaît d'autant plus inquiétante qu'elle ne concerne que trois groupes d'antibiotiques. Les céphalosporines de troisième et de quatrième générations proches des pénicillines, les fluoroquinolones et les macrolides. Or, ces trois catégories d'antibiotiques, largement prescrits en élevage laitier lors d'infections néonatales, de broncho-pneumonies, de panaris interdigités et de mammites traités par voie générale, sont justement ceux jugés « critiques » vis-à-vis de la résistance aux germes transmissibles à l'être humain.

REMETTRE EN CAUSE CERTAINES PRATIQUES DU TERRAIN

Face à la gravité de la situation, certains à l'OMS en sont à prôner une solution radicale : l'interdiction pure et simple de ces trois groupes d'antibiotiques en productions animales. De leur côté, les responsables de l'élevage et les vétérinaires militent pour une utilisation raisonnée et prudente en élevage des antibiotiques critiques utilisés en médecine humaine. Mais pour que cette alternative souhaitable pour les éleveurs et les vétérinaires ait une chance d'aboutir, encore faudrait-il que certains réflexes changent rapidement… s'il n'est pas déjà trop tard. « Est-il normal de traiter majoritairement des affections podales sans avoir confirmé la lésion précisément ? Un panaris interdigité se soigne, certes, avec des antibiotiques par voie générale, mais ce n'est ni le cas du fourchet ni celui de la maladie de Mortellaro. Est-il raisonnable de réaliser un traitement par lot sur des veaux atteints de bronchopneumonie, avec des antibiotiques critiques ? Non ! », constate Gérard Bosquet, membre de la commission qualité du lait de la SNGTV. « Est-il cohérent de traiter des veaux diarrhéiques âgés de quinze jours avec des fluoroquinolones ? Pas plus. Elles ne sont clairement indiquées que sur des très jeunes animaux (moins de trois jours) avec une atteinte profonde des fonctions vitales et risque de bactériémie.

Faut-il continuer de traiter systématiquement par voie générale avec des fluoroquinolones, comme on le voit parfois, toutes les mammites cliniques avec baisse d'appétit et augmentation de la température ? Toujours pas. Cela peut se justifier en revanche sur des mammites toxinogènes à Escherichia coli, identifiée lors d'examens cliniques ou suspectées lors d'une analyse épidémiologique. Les exemples pourraient ainsi être multipliés, avec à chaque fois des alternatives thérapeutiques », affirme encore le praticien.

LA RÉGLEMENTATION DANOISE BALISE DÉJÀ L'UTILISATION DES ANTIBIOTIQUES

Et de conclure : « Il ne s'agit pas de bannir les antibiotiques à risques. Ils ont, on le voit, parfois leur place mais dans certaines situations précises que le praticien saura appréhender dans le strict respect de l'AMM ».

De nombreuses opportunités s'offrent aux deux professions pour recadrer la prescription des traitements antibiotiques dans les protocoles de soins, en vue de limiter l'antibiorésistance et sa transmission tout en assurant une bonne efficacité thérapeutique. Ainsi, la visite dans le cadre du décret prescription est souvent mal comprise et mal perçue sur le terrain. « Si les objectifs de santé publique et d'efficacité thérapeutique sont atteints, le vétérinaire conservant une certaine liberté de prescription pour ses clients, le coût de cette visite semblera bien dérisoire par rapport aux enjeux », rajoute le praticien qui se heurte parfois à des réticences dans sa clientèle des Ardennes. Autre occasion de remettre à plat certaines pratiques : le module pharmacie de la formation « éleveur infirmier de son élevage » élaboré par GDS de France et la SNGTV. Il permet au vétérinaire traitant de mieux faire connaître les médicaments, les antibiotiques en particulier à ses clients.

C'est de la responsabilité et du professionnalisme de ces deux acteurs que peut venir une meilleure maîtrise de l'antibiorésistance animale mais aussi humaine. Sans ce sursaut collectif, des contraintes très fortes viendront limiter l'utilisation des antibiotiques critiques dans les élevages.

Dans certains pays d'Europe du Nord, les praticiens sont déjà quasiment les seuls à administrer des antibiotiques, y compris pour des traitements « simples » intramammaires. Les éleveurs ne sont autorisés à le faire que dans un cadre très strict. La réglementation y balise aussi l'accès aux différentes familles d'antibiotiques. Ainsi les « critiques » sont seulement utilisables lorsqu'il y a échec du premier traitement.

(1) Les bactéries sont partout dans la nature. Ainsi sur nos mains vivent 100 à 1 000 germes/cm2 et notre cuir chevelu un million/cm2, essentiellement des staphylocoques dorés. (2) Soumis à prescription vétérinaire.(3) L'EMEA a pour mission la protection et la promotion de la santé publique et animale à travers l'évaluation et la supervision des médicaments.

Faut-il continuer de traiter systématiquement par voie générale avec des fluoroquinolones, comme on le voit parfois, toutes les mammites cliniques avec baisse d'appétit et augmentation de la température ? Non. En revanche, cela peut se justifier sur des mammites toxinogènes à Escherichia coli.

© CLAUDIUS THIRIET

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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