Paiement du lait : la matière grasse au menu de la filière

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fabrication de beurre dans une laiterie
(© Jean-Michel Nossant)

Figée depuis quinze ans, la grille de paiement des grammes additionnels de TB et de TP apparaît en décalage avec les besoins du marché. Le sujet de la revalorisation est aujourd’hui au programme des interprofessions régionales.

Indépendamment des « signaux du marché » et malgré un déficit structurel de la filière française en beurre et surtout en crème, le paiement de la matière grasse du lait (MG) aux producteurs reste sous-valorisé. Selon leurs débouchés, des laiteries prévoient aujourd’hui des bonus incitatifs, mais le prix des grammes additionnels prévu par les grilles interprofessionnelles régionales n’a pas été réévalué depuis quinze ans.

Or celles-ci ont été établies dans un environnement économique complètement différent et n’ont pas évolué de la même façon que le prix du lait : si, en période de crise, la production d’un lait riche en matière sèche utile (MSU) permet d’atténuer la chute du prix de base, avec l’inflation, les grammes additionnels sont désormais moins bien valorisés que les 70 premiers grammes standards (38/32). « Plus le prix de base augmente, plus l’écart entre le prix standard et les grammes additionnels se creuse, alerte Christophe Diss, éleveur bio, membre de l’association de producteurs de jersiaises du Grand Est, Jersi’Est. Cette situation soulève un problème de distorsion de valeur entre des laits pauvres en MSU et les éleveurs qui produisent un lait riche, y compris les éleveurs holsteins. »

Malgré une grille non incitative, la France se situe légèrement au-dessus de la moyenne européenne en matière de ratio TB/TP : la Bretagne fait même partie des régions de l’UE qui comptent le ratio le plus élevé.

Une progression du TB de 4,5 % en dix ans

Entre 2014 et 2023, le TB du lait livré par les producteurs français a progressé de 4,5 %, passant de 40,6 g/litre à 42,5 g/l (deux fois plus vite que le TP qui, sur la même période, a augmenté de 2 %, de 33,23 à 33,9 g/l). « Autrement dit, avec la même quantité de lait collecté, un industriel laitier fait 4,5 % de beurre en plus en 2023 qu’en 2014 », souligne un rapport de la Maison du lait, qui précise qu’en 2023 un producteur ayant livré un lait standard à 38/32 a vu sa matière utile rémunérée 6,6 €/kg en moyenne, soit 4,5 % de plus qu’un producteur livrant une composition moyenne française (42,5/33,9) qui a touché 6,3 €/kg.

Pour une exploitation livrant l’équivalent de 460 000 litres de lait, cela représente un manque à gagner de l’ordre de 9 000 € pour un même volume livré, avec pourtant 9 % d’eau en moins que l’industriel n’a pas eu à transporter, ni à sécher. Un paradoxe, à l’heure d’une stratégie RSE de la filière mettant l’accent sur la réduction de son empreinte carbone.

Les privés privilégient le contrat

Cette situation peut paraître frustrante au regard des efforts fournis sur le long terme pour améliorer la qualité du lait via la génétique, et cela met clairement sur la table le sujet de la revalorisation du paiement de la MSU et de la MG en particulier, compte tenu de l’évolution de la demande. À l’instar de certaines coopératives d’Europe du Nord comme Friesland, Arla ou Milcobel (voir l’encadré ci-dessous), le principe d’une rémunération des producteurs au kilo de MSU semble intéressant sur le papier. Mais il suppose une modification complète du modèle français (et allemand) de paiement au volume : accords interprofessionnels, contrats, formule de prix.

De plus, la réflexion est complexe, car les grammes additionnels de MG n’ont pas toujours la même valeur marginale que les 38 premiers grammes : par exemple, lorsqu’un industriel transforme du lait d’excédent hors contrat sous forme d’ingrédients, il est souvent moins bien valorisé sur le marché. La valorisation d’un kilo de MSU supplémentaire est alors inférieure à celle du kilo précédent.

Du côté des coopératives, la valeur créée est normalement redistribuée à ses membres dans le prix de base et les éventuelles ristournes de fin de campagne. Les industriels privés privilégient les contrats négociés avec les OP, considérés comme plus souples que la grille interprofessionnelle. Le PDG de la Fnil, François-Xavier Huard, rappelle qu’il s’agit « d’un équilibre à trouver entre MG et MP, en fonction des débouchés et de la marge de chaque entreprise, pour lesquelles les grammes additionnels sont parfois moins bien valorisés que les cotations, selon qu’il s’agit de PGC destinés au marché français ou de commodités. Les accords interprofessionnels constituent un socle commun, à chaque entreprise d’aller plus loin si elle le souhaite à travers des primes supplémentaires. »

Le débat est lancé en région dans les Criel

Lactalis confirme que les éléments de valorisation économique sont désormais sortis de l’interprofession et relève davantage des relations contractuelles avec les OP, « ce qui n’exclut pas une réflexion sur un rééquilibrage à trouver entre le paiement de la MG et celui de la MP qui est aujourd’hui survalorisée par rapport au marché de la poudre », souligne Serge Moly, responsable amont.

L’idée d’un socle de base, à partir duquel chaque OP puisse ensuite négocier des bonus complémentaires, n’est pas si éloignée de la position des OP et de la FNPL. Cette dernière appelle d’ores et déjà tous les Criel à se saisir du sujet. Il faut en effet rappeler qu’une éventuelle revalorisation ne peut pas se faire à l’échelon national, au risque d’être considérée par la Commission européenne comme un système de fixation du prix du lait contraire aux règles de l’OCM. Pour le président de la FNPL, Yohann Barbe, « la révision de l’accord interprofessionnel est également un moyen d’appuyer l’action des OP, mais aussi de limiter les distorsions de paiement entre producteurs, défend-il. Il faut un socle de base et un message clair envoyé par la filière aux producteurs et éviter le risque qu’une hausse du paiement de la MG entraîne une baisse de la MP ou du prix de base. S’il y a une vraie volonté de soutenir la production de MG française, il faut partager la valeur créée à travers les accords interprofessionnels, ce n’est pas incompatible avec la négociation d’une formule de prix entre OP et laiteries ».

Dans tous les cas, les négociations de formules de prix doivent pouvoir s’appuyer sur des indicateurs de marché fournis par l’interprofession. D’autant plus si l’on considère la difficulté pour les OP d’obtenir une certaine transparence de leur acheteur concernant la valorisation sur le marché de leurs fabrications. Or, à l’exception de la Normandie, les OP ne sont pas représentés dans les Criel. « Notre volonté est d’y siéger afin de faire évoluer la grille pour revaloriser un socle commun, tout en incitant les OP à se saisir des indicateurs pour négocier des bonus. Tout est envisageable, par exemple des systèmes de revalorisation par paliers », indique Fabrice Guérin, président de Pop’Lait, regroupant dix OP du Grand Ouest et 5 000 exploitations.

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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