
Plongeon de la consommation, surcroît de production et inflation sur les charges, etc., aucun curseur n'est au bon endroit. Il faut tenir en attendant de trouver la bonne porte de sortie. Le marché conventionnel est la bouée de secours.
La crise que traverse la filière bio aujourd’hui diffère de celles vécues ces vingt dernières années. Classiquement, un afflux de conversions créait un déséquilibre entre l’offre et la demande. Ne progressant pas au même rythme, la consommation n’absorbait pas le surplus de lait, mais au bout du compte les choses rentraient dans l’ordre. Les perspectives sont toutes autres et c’est ce qui inquiète les producteurs et les opérateurs collecteurs et industriels. Les conversions lancées en 2019 et 2020 alimentent les excédents de ces deux dernières années. La collecte 2021 s’est hissée à 1,23 milliard de litres. Selon les estimations de la filière, elle pourrait atteindre 1,27 à 1,28 milliard en 2022 et continuer à progresser encore un peu en 2023 si les conditions climatiques sont clémentes. Le hic, c’est que la consommation de produits laitiers bio, elle, s’effondre. C’est nouveau. Après le pic atteint début 2021 sur quasi tous les produits, les ventes ne font que dégringoler. Le lait UHT (20 % de la collecte), le beurre, la crème et l’ultrafrais retrouvent le niveau de 2018, le fromage en libre-service celui de la mi-2019. La concurrence avec les produits locaux et segmentés type « pâturage », la perte liée à l’inflation de consommateurs qui achetaient occasionnellement bio mettent à mal la filière. Il faudra du temps pour remonter la pente.

Hausse des charges de 70 €/1 000 l
Cette crise de la croissance et de la consommation se télescope avec la hausse de charges des producteurs, confrontés aux prix exponentiels des intrants et à une sécheresse prolongée l’été dernier. Le réseau Inosys Pays de la Loire estime à + 40 €/1 000 l, l’effet de la première sur le prix de revient et à en moyenne +30 à +35 €, celui de la seconde. «À la sortie de l’été, l’incidence de la sécheresse était plutôt évaluée à 70 €/1 000 l, mais le pâturage jusqu’au début de décembre a permis à un certain nombre de producteurs d’économiser des fourrages», indique Jean-Claude Huchon, le référent bio à la chambre régionale d’agriculture des Pays de la Loire (lire plus page suivante). Malheureusement, le prix du lait ne suit pas. Selon notre observatoire bio, chez les leaders industriels, le prix moyen 2022 est stable par rapport à 2021 (Lactalis), augmente ou diminue légèrement (+2,34€ pour Sodiaal et -3,71 €/1 000 l pour Eurial). Précisons que, pour Sodiaal, notre observatoire n’intègre pas l’incitation à la réduction des volumes de 3 à 10 % appliquée de février à juin 2022 (prime de 113 €/1 000 l sur les volumes non produits). «La moitié des 800 adhérents l’ont appliquée», souligne Sébastien Courtois, administrateur et référent bio chez Sodiaal. De son côté, le premier collecteur français Biolait (305 Ml) annonce un prix inférieur d’environ 5 € par rapport à 2021 (441,87 € en 2021, indemnités régulation des volumes incluses, dans notre observatoire). Nous le vérifierons fin janvier lorsqu’il aura versé les derniers retours sur résultat.
Préserver la consommation en limitant la hausse des prix
Les industriels jouent aux équilibristes. « Les hausses obtenues en 2022 auprès de la distribution le sont un peu au titre de la matière première agricole (MPA) et surtout au titre de nos charges industrielles, dit Bruno Martel, président de la branche lait bio d’Eurial. L’objectif était de conserver nos marchés. » De son côté, Sébastien Courtois pointe la difficulté de faire appliquer la loi Égalim 2 en période de surproduction. « Nous n’avons pas obtenu de hausses tarifaires aux premier et deuxième rounds de négociation. Au troisième round, cela s’est un peu mieux passé grâce à l’offensive que nous marquons sur le prix du lait depuis cet été. »
« Manque de transparence des industriels et des GMS »
L’OP bio Seine-et-Loire (180 Ml pour 6 laiteries dont 100 Ml pour Lactalis), elle, dénonce le manque de transparence entre les industriels et la distribution. «Les prix des produits laitiers bio augmentent dans les rayons, parfois même plus que ceux des produits conventionnels. Mais comment est partagée la valeur ?, pointe Ivan Sachet, coordinateur à l’OP. Ce manque de transparence est mal vécu par les consommateurs. Ils ne comprennent pas que le prix payé aux producteurs n’augmente pas.» Plutôt qu’un prix de revient négocié avec ses six clients transformateurs pour le calcul du prix du lait, elle défend la reconnaissance de l’indicateur interprofessionnel publié chaque année. «Nous demandons au Cniel qu’il soit complété par un indicateur réactif type Ipampa pour coller à la conjoncture des intrants. Il n’en existe pas en bio. »
Lactalis : plus de 40 % de lait déclassé
Quatre des six entreprises ont donné leur accord et les discussions sont en cours avec Lactalis et Les Prés rient bio (filiale de Danone). « Le vrai sujet n’est pas la valeur du prix de revient, répond Fabien Choiseau, responsable de la collecte France de Lactalis, mais son évolution. Or, au troisième round de négociation, les GMS ont refusé nos hausses au titre de la MPA. Il faut qu’ensemble, producteurs, transformateurs et distributeurs nous engagions une réflexion pour sortir par le haut de ce déséquilibre de marché. » Le groupe est handicapé par sa collecte qui continue de progresser : 245 Ml en 2022, entre 255 et 260 Ml en 2023 contre 230 Ml en 2021. Confiant dans la dynamique de consommation, il avait accepté des conversions jusqu’en septembre 2020. Il déclasse aujourd’hui plus de 40 % de sa collecte. «Pour freiner l’érosion de la consommation, nous poursuivons la promotion de nos produits via notre démarche bio engagée sur nos marques Lactel et Président», indique Fabien Choiseau. Nous réfléchissons aussi à de nouveaux débouchés », sans en dire plus. En attendant, sa puissance industrielle lui permet heureusement d’absorber les volumes déclassés, qui – heureusement - bénéficient de la conjoncture exceptionnelle du marché conventionnel.
Eurial bio: un minimum de + 20 €/1000l en 2023
Chez Eurial, l’activité conventionnelle vient aussi au secours du lait bio. La branche bio a déclassé l’équivalent de 50 Ml en 2022 (3 7% de la collecte). « Ce sera autant en 2023 », estime Bruno Martel. Comme Lactalis, sa collecte progresse : 135 Ml en 2022 et 143 Ml prévus en 2023 contre 128 Ml en 2021. «Initialement, nous avions évalué 2023 à 146 Ml mais – c’est nouveau - la déconversion de 6 producteurs pour 2 Ml qui restent cependant chez Eurial, couplée au gel des conversions et au renouvellement insuffisant des générations nous fait revoir nos estimations à la baisse. » Les conversions restent gelées. À la conjoncture très compliquée, s’ajoute chez Eurial bio le jeu des chaises musicales sur les volumes. Fin décembre a pris fin à la fois le contrat de 36 Ml de livraisons à Sodiaal et celui de 20 Ml fournis par Biolait. «La montée en puissance du contrat de 50 Ml avec Savencia va compenser la perte de Sodiaal », rassure Bruno Martel. Il entend cinq sur cinq le découragement des producteurs et vise une hausse annuelle du prix d’au moins 20 €/1 000l auprès des GMS. L’autre engagement est une plus faible amplitude de la grille de saisonnalité pour éviter qu’au printemps le prix de base soit inférieur à celui du conventionnel «Il y a des signes d’espoir», assure-t-il. Avec ses 25 000 t d’ultrafrais sous marques de distributeurs, Eurial est en capacité de répondre aux GMS davantage demandeuses de MDD. «Nous étudions aussi la possibilité de fabriquer de la mozarella bio dans notre nouvelle usine de Luçon (Vendée).» Et des producteurs viennent d’être agréés par les autorités chinoises pour l’exportation d’ingrédients produits à Moyon (Manche).
Biolait : bien négocier les contrats de 2023
Avec un prix moyen d'acompte de près de 435 € en 2022 selon notre observatoire, ce sont les 1400 producteurs de Biolait qui sont le plus malmenés par la crise. «Les adhérents se sentent lésés. Ce n’est pas simple à gérer. Plutôt que redistribuer la totalité du résultat début 2023, nous avons donc versé en août et septembre celui déjà généré. De plus, dans la limite de leur référence, ils ont pu livrer du lait en plus sur la fin 2022 », dit Ludovic Billard, le président. Les contrats en lait conventionnel signés fin 2021 n’avaient pas anticipé une hausse du prix aussi élevée, ce qui a pénalisé les ventes. « Au final, nous finissons 2022 avec un taux de déclassement sous les 15% via la baisse de notre collecte de 5 Ml (310 Ml en 2021) et une demande plus soutenue en lait bio depuis septembre. » La sécheresse, mais aussi le départ de 80 adhérents – dont une trentaine pour déconversion – font reculer les volumes. «Cela devrait continuer en 2023. Les conversions sont de nouveau ouvertes mais la conjoncture les décourage. » Biolait s’est fixée trois objectifs pour cette année : une hausse du prix de 18% dans ses contrats bios, le lait déclassé mieux négocié et de nouveaux débouchés pour les quelques dizaines de millions de litres non reconduits en contrat (dont les 20 Ml d’Eurial). L’export vers les Pays-Bas, la Belgique et l’Allemagne fait partie des solutions. Il devrait représenter 10% des volumes.
Sodiaal : équation laitière à l’équilibre
C’est finalement Sodiaal qui semble l’opérateur le plus serein. « Notre équation laitière est à l’équilibre. Le taux de déclassement est de 20% pour les protéines et beaucoup moins pour la matière grasse. Nous sommes revenus à un déclassement habituel », indique Sébastien Courtois. L’arrêt complet des conversions en 2021 après leur freinage dès 2019, la politique d’incitation à la réduction des volumes via le prix entre juillet 2021 et juin 2022 et la sécheresse ont ralenti la collecte : 217 Ml contre 225 Ml en 2021. « La progression de nos ventes de poudres infantiles et d’emmental Entremont a contribué aussi au rééquilibrage. Nous pouvons plus facilement arbitrer l’affectation des volumes au profit des produits les plus valorisants. » Le groupe coopératif s’est fixé un cap : dépasser « largement » les 500 € de prix moyen. « Nous sommes clairement à la charge auprès des GMS.»
Tous ces opérateurs sont d’accord. Il faudra du temps pour reconquérir les consommateurs. «À nous de leur réexpliquer notre mode de production. Dans un contexte de crise énergétique et de réchauffement climatique, l’agriculture biologique est un vrai atout, milite Bruno Martel. À nous aussi de leur montrer et démontrer que bio, local et produits de qualité vont de pair. » Le Cniel devrait poursuivre ses opérations de promotion, notamment avec l’Agence Bio pour la campagne #Bio réflexe qui vient d'être lancée. En 2022, il a investi 1,3 M€ dont 80 % financés par l’Union européenne. L'État, lui, alloue 750 000 € supplémentaires à l'Agence Bio. Les entreprises mettent aussi la main à la poche. Biolait annonce reconduire cette année les 700 000 € de l’an passé, avec entre autres, la promotion de sa toute nouvelle marque "Il Lait là" auprès de ses clients. Cette reconquête sera un travail de longue haleine. D'ici là, il faut tenir.
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