Pour Vincent Chatellier, économiste à l’Inrae, les accords UE-Mercosur sont un faux problème. Alors que toute l’Europe décapitalise, l’enjeu est surtout de se pencher sur le partage de la valeur et la future politique agricole commune pour maintenir les filières d’élevage.
À l’occasion du congrès annuel de Culture Viande, l’économiste Vincent Chatellier (Inrae) propose de prendre la question des accords UE-Mercosur à rebrousse-poil. Pour lui, le vrai danger ne vient pas des 99 000 téc importés à droits de douane réduits, mais de la logique de « dépendance » qui s’installe à bas bruit. « Nous vivons dangereusement. Nous croyons que les autres vont nous nourrir facilement. Je pense que non », tranche l’agroéconomiste.
La disponibilité en viande d’importation n’est pas infinie
Son raisonnement ? La consommation de viande ne cesse de croître dans le monde et l’Union européenne n’est pas le seul client à satisfaire. D’ici 10 ans, la consommation mondiale de viande dépassera les 400 millions de tonnes d’après les prospectives de la FAO et de l’OCDE. Elle s’élevait à 360 millions de tonnes en 2024. En tête d’affiche : la Chine. « C’est de loin le premier faiseur, avec une production supérieure par deux fois à celle des États-Unis, et le premier importateur mondial. » Dans ce contexte, l’Amérique du Sud ne pourra pas être le garde-manger de la planète entière. L’élevage européen a une carte à jouer.
La baisse de la production, plus rapide que celle de la consommation, accentue le déficit de viande bovine et offre à la production de dicter les prix. « Si l’Europe permet une jauge à 99 000 téc, c’est parce qu’elle pense que les éleveurs sauront la supporter. À l’échelle de la population française, cela fait tout au plus 15 000 téc à absorber ».
En 2024, les importations françaises de viande bovine avoisinaient les 360 000 téc. « Il faut avoir la notion des proportions. Quand on dit aux jeunes en lycées agricoles qu’il n’y a plus besoin d’éleveurs bovins parce qu’on va tout importer du Brésil, on agite des peurs qui n’ont pas lieu d’être. » D’autant que l’Europe semble toujours avoir des desseins pour sa production bovine. « Les projections de la Commission tablent sur une légère baisse de la production d’ici 2035. Elle ne prévoit pas l’entrée massive de viande des pays tiers. »
Répercuter le coût de production au consommateur
Mais encore faut-il que la filière arrive à tirer profit de cette crise pour régler la question du partage de la valeur. « Nous ne pouvons pas revenir en arrière sur les prix. Le ratio capital sur EBE ne permettra plus d’installer des jeunes », insiste l’économiste, devant abatteurs et transformateurs des entreprises des viandes. L’enjeu n’est pas des moindres : répercuter les hausses au consommateur pour maintenir la production européenne, alors que la disponibilité depuis les pays tiers n’est pas infinie. « Il n’y a qu’en agriculture que l’on se demande si c’est cher. Un produit vaut ce qu’il vaut », argue l’agroéconomiste.
Se concentrer sur la négociation de la Pac 2027
Au-delà de la construction des prix, Vincent Chatellier invite la filière à se pencher sur la négociation de la future Pac. « En bovin viande, il y a des structures dépendantes à 200 % des aides. » L’instabilité politique ne facilite pas les discussions. « Ce sont de sacrées négociations », rappelle-t-il. « Il faut d’abord que l’émissaire soit convaincu, pour ensuite persuader les représentants de tous les autres pays européens. »
Plus encore que les accords de libre-échange, les orientations données par la Pac soutiennent la souveraineté alimentaire du Vieux continent. « Si l’on perd 20 % d’aides sur une enveloppe moyenne de 50 000 € en bovin viande, cela revient à retirer 10 000 €. Et quand on voit les niveaux de revenus des éleveurs, ça n’est pas rien. » Une invitation à peine voilée aux entreprises des viandes à soutenir la filière pour continuer à avoir de la matière première pour faire tourner leurs outils de production.
De leur côté, les éleveurs peuvent envisager des contreparties. L’embellie des prix et les négociations autour de la Pac invitent à optimiser les performances techniques des exploitations d’élevage, pour renforcer leur compétitivité. « On a peut-être trop donné d’aides à l’hectare, et pas assez de soutien à la performance. » Le maintien du cheptel laitier est également un enjeu pour la filière viande, alors que la France est l’un des rares pays européens à dissocier le cheptel allaitant du cheptel laitier.
Intégrer la gestion des aléas sanitaires au coût de production
Difficile également de passer sous silence le contexte sanitaire. « La maîtrise de la biosécurité tout au long de la filière est plus que jamais un enjeu », concède l’économiste. Les récentes restrictions le montrent bien. À l’heure ou les échanges s’intensifient, le moindre grain de sable sur le plan sanitaire entraîne des conséquences économiques en cascade. La santé animale n’est plus un simple poste de coût pour les élevages, elle devient un élément stratégique de compétitivité pour les États à intégrer au coût de production.

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