Romain Lallemand et Jérémy Blumzak acceptent de produire du lait, mais avec une organisation simplifiée pour que l’activité ne soit pas trop chronophage. Ils investissent 1,1 M€ en trois ans, notamment dans trois robots de traite.
C’est une histoire de copains. Romain Lallemand et Jérémy Blumzak, tous deux 29 ans, se sont connus au lycée agricole et sont devenus amis. Tout en maintenant le contact, Romain a poursuivi ses études avec un BTS Acse et un certificat de spécialisation en production laitière, Jérémy a intégré une école d’ingénieur en agriculture. « Un mois après le CS lait, je m’installais dans le Gaec formé par mon père, Bertrand, et mon oncle, Thierry », raconte Romain. Il avait 20 ans. « Je n’avais jamais trait mais cela m’a d’emblée plu. Heureusement ! », rigole-t-il.
Le cadre
- À Lithaire (Manche)
- Gaec à 3 associés et un apprenti
- 105 holsteins et 15 normandes
- 9 061 l/vache à 41,7 g/l de TP et 32,9 g/l de TP (mai 2024-avril 2025)
- 1,2 Ml prévus en 2025-2026 sur 1,4 Ml de référence
- 140 ha dont 70 ha de maïs (15 ha en maïs grains), 25 ha de céréales et 45 ha de prairies (dont 6 ha retournés récemment)
- 20 ha de ray-grass d’Italie + trèfle violet en dérobée
- 70 ha en bassin versant
- 3 robots de traite et les laitières en zéro pâturage depuis 2024
Le Gaec de Fontenay, dans l’ouest de la Manche, comptait 80 vaches de races holstein et normande pour 500 000 litres dans un bâtiment de 88 logettes et une salle de traite en 2 x 8 postes en traite par l’arrière. Un atelier de 70 taurillons vendus par an complétait le troupeau laitier, l’ensemble sur 140 ha. Huit ans après, seule la surface n’a pas évolué. Le Gaec, désormais composé de Romain, Bertrand et Jérémy, est à la tête de 120 vaches dans une stabulation de 135 logettes et cornadis, 15 places en aire paillée et 3 robots de traite. Jérémy a quitté en octobre 2023 son travail salarié pour rejoindre la structure, après le départ à la retraite de Thierry. Il n’a pas hésité à franchir le pas. Leur amitié s’était définitivement scellée lors d’un rallye vers le Maroc réalisé en 2022. « À mon arrivée, l’élevage de 102 vaches livrait 960 000 litres à Mont-Blanc [NDLR : filiale du groupe Bel], rapporte Jérémy. Nous visons 1,4 Ml avec 150 vaches traites d’ici à 2027 ou 2028. Nous montons progressivement en puissance de 50 vaches par croissance organique. Notre laiterie cliente a besoin de lait. »
Les deux amis n’ont pas froid aux yeux. L’investissement dans le bâtiment de 933 400 €, dont 410 000 € de robots, repose essentiellement sur leurs épaules. Bertrand sera à la retraite dans quatre ans. « Moderniser l’outil était nécessaire. Nous n’étions pas prêts à poursuivre avec les équipements en place qui étaient chronophages et nous auraient dégoûtés de la production laitière », ajoute Romain.
Dernier remboursement en 2042
Cela passe pour eux par la robotisation de la traite. Cette intime conviction les a même incités à changer de banque, le financier historique du Gaec leur demandant d’abord d’agrandir le troupeau avant d’acheter les robots. « Nous sommes jeunes. Plus vite nous investissons, plus tôt le paiement des annuités sera achevé, estime Jérémy. Nous serons âgés de 45 ans au dernier remboursement en 2042, celui du bâtiment. » L’objectif des deux associés est clair : un confort et une simplification du travail qui passent par des animaux plus productifs et de la régularité. La suppression du pâturage des vaches et des génisses jusqu’à l’âge de 15 mois, et des vêlages étalés rentrent dans ce schéma.
260 000 € de subventions
C’est une véritable machine de guerre que les deux amis mettent en place dès 2022 pour préparer l’arrivée de Jérémy. Ils veulent tout construire en une seule fois, y compris la fosse à lisier de 2 000 m3, pour être dès le départ de plain-pied dans le projet. Ils visitent des exploitations en traite robotisée dans l’ouest de la France et aux Pays-Bas, établissent des devis et requièrent le plan d’aides à l’investissement mis en œuvre par la Région Normandie. « En avril 2023, le Gaec, composé alors de mon père et moi, l’a sollicité pour 361 600 € de travaux d’extension de la stabulation laitière et d’équipements, mais c’est Jérémy qui a monté tout le dossier », souligne Romain, reconnaissant. Le second dossier est déposé en juin 2024, toujours par Jérémy, pour les robots. Résultat : le Gaec obtient 260 000 € de subventions, ce qui abaisse son montant d’emprunts à 738 350 €. « Plutôt que de construire une stabulation neuve avec deux robots pour contenir le montant de l’investissement, nous avons préféré étendre de trois travées le bâtiment existant, qui est en bon état, et en acquérir un de plus. Ils ne sont pas saturés. Cela enlève du stress au quotidien. »
Le premier coup de pelle est donné cinq mois après l’installation de Jérémy. Il n’a fallu attendre que neuf mois avant de débuter la traite robotisée. « Nous avons déployé de l’énergie à bien coordonner les différentes entreprises intervenant dans les travaux. Dès que les devis ont été signés, elles ont commandé les matériaux pour éviter une hausse des tarifs liée à l’inflation. »
Les jeunes éleveurs établissent leur stratégie de gestion sur un minimum de 250 000 € à 255 000 € d’EBE pour assurer 108 000 € de rémunération des associés (dont Bertrand jusqu’en août 2029) et 145 000 € d’annuités. « Nous avons fixé les prélèvements privés à 3 000 € par mois par personne. Il n’est pas question que le bénéfice de notre travail reste dans l’entreprise. La priorité est d’être correctement payés et de couvrir les 1 000 €/mois de remboursement de parts sociales acquises chacun à notre entrée dans le Gaec », affirment-ils. Celui de Romain, installé en 2017, prendra fin en 2026. Avec 228 000 € d’EBE en 2024-2025, l’objectif n’est pour l’instant pas atteint. La Gaec a livré à Mont-Blanc 350 000 l de moins que ce que lui permet sa référence contractuelle. Il prévoit de combler deux tiers de ce retard en 2025-2026. « Ce n’est pas un retard, corrige Romain. 2023 a été mouvementé. À cause de problèmes de santé, nous n’étions que mon père et moi à gérer le quotidien, contre 3,5 UTH habituellement. Nous avons dû diminuer le troupeau de 20 vaches, qui de ce fait a un peu vieilli. Le remonter sans acheter d’animaux demande du temps. »


L’arrivée de 15 primipares étalée de septembre 2025 à février 2026 va amplifier la production, mais jusque-là les livraisons ont principalement progressé par les laitières qui, désormais en zéro pâturage, bénéficient d’une alimentation stable (+ 5 l/VL/j depuis un an selon le logiciel des robots). Elles en ont sous la pédale car elles ont perdu 350 l/VL entre 2023-2024 et 2024-2025 (9 061 l, contre 9 412 l), perturbées par le passage à la ration complète durant les travaux d’extension. Le retour à une ration semi-complète à l’arrivée des robots permet aujourd’hui une complémentation plus adaptée aux stades de lactation. La livraison en décembre d’une désileuse automotrice de 16 m3 dopera également les lactations par une ration fourragère bien mieux mélangée qu’avec l’actuelle remorque distributrice. Le Gaec de Fontenay vise les 11 000-12 000 l/VL d’ici à 2030.
Trésorerie renforcée par la vente des JB
Les grands chamboulements entrepris depuis deux ans exigent un suivi très attentif de la trésorerie pour la maintenir à flot. Les associés jonglent avec les dernières et les nouvelles annuités d’emprunts, avec le paiement des factures, la perception des aides à l’investissement et le remboursement de la TVA. « 60 % des 82 000 € d’annuités liées au projet se substituent à des remboursements bancaires qui arrivent à échéance.
La désileuse automotrice de 160 000 €, qui hisse l’investissement total à 1,1 M€, sera en partie autofinancée par 65 000 € d’excédent de financement bancaire et le surplus de lait par rapport à 2024 produit en cette fin d’année. Grâce à cette acquisition, le chargeur télescopique sera moins utilisé, ce qui va retarder son renouvellement », calculent-ils. Ils mentionnent surtout la suppression de l’atelier de taurillons qui a apporté 200 000 € de ventes sur deux ans et un emprunt court terme de 148 000 € pour la TVA ayant fortement soutenu le cash-flow de l’entreprise. « La prochaine étape sera le rachat des parts sociales de Bertrand à son départ en 2029. Nous avons encore un peu de temps pour nous y préparer », confie Jérémy.
La perspective d’une baisse du prix du lait dans les prochains mois les inquiète mais ils espèrent passer entre les gouttes. « Le prix du tourteau de colza baisse, celui des vaches de réforme augmente. Nos stocks de maïs ensilage sont suffisants pour en vendre de nouveau en grains. Nous avons des marges de progrès techniques et les signaux envoyés par notre laiterie Mont-Blanc sont positifs », énumère Romain, président de l’OP Mont-Blanc… Et le plus jeune président d’OP de France. L’objectif des deux amis aujourd’hui est de continuer à améliorer leur efficacité pour « gagner du temps et de l’argent. »

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