Une nécessaire révolution est en marche

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En matière de génétique, l'enjeu pour la France est d'avoir davantage de visibilité à l'international. Pour cela une réforme du système s'impose. (© Claudius Thiriet Archives)

La génétique évolue très vite mais ses structures peinent à suivre. Le dispositif génétique français est critiqué et réfléchit à son évolution alors qu’un système d’indexation européen est en gestation.

Génomique, règlement zootechnique européen, restructuration de l’élevage, attentes sociétales… Autant de sujets qui viennent percuter l’organisation de la génétique tant en France qu’en Europe à l’heure où la concurrence se durcit pour les races internationales. Le dispositif génétique français est à la veille de vivre un « séisme », selon les propos de Bernard Malabirade, vice-président d’Eliance. Et, pour certains opérateurs de la filière, en premier lieu des entreprises de sélection, ce mouvement ne va pas assez vite.

Souvent qualifié de millefeuille, en raison de la multitude d’intervenants impliqués, le dispositif génétique français est assez difficile à comprendre (voir l’encadré, ci-dessous). Il existe un consensus autour de l’idée que ce dispositif a rempli ses missions, mais la majorité des acteurs estiment qu’il faut le réformer. « Les centres de décisions sont éparpillés. Ce dispositif n’est pas en ordre de marche pour permettre à la génétique française de se battre au niveau international », fustige Jean-Yves Dréau, directeur général adjoint chez Synetics. « Nous sommes au bout de ce système. Pour qu’il reste efficient alors que la France a perdu un million de vaches en dix ans et que l’État se désengage financièrement, il doit être réformé en urgence», renchérit Alain Guillaume, président d’Union Gènes Diffusion. «L’atomisation des acteurs engendre un manque de réactivité et une évolution s’impose», remarque Dominique Davy, président d’Eliance.

De nombreux dysfonctionnements du système français

Les échanges avec les différents intervenants montrent des tensions, voire des rivalités, entre eux, l’un accusant l’autre de marcher sur ses platebandes. Cela prouve que les missions sont mal définies et que le fonctionnement n’est pas optimal. De plus, l’objectif de défense des intérêts des éleveurs affirmé par les entreprises de sélection holstein ne convainc pas tout le monde. «Il existe une certaine friction entre les intérêts commerciaux et ceux des éleveurs », note Laurent Journaux, directeur de France génétique Élevage (FGE). «Actuellement, nous amortissons un taureau sur 20 000 doses quand les Américains en font 60 000. Cela a un impact sur le prix des paillettes », détaille Jean-Yves Dréau. « Exporter la génétique est vital pour rester indépendant», souligne Alain Guillaume.

Si le constat d’une nécessaire évolution est partagé, la transformation reste à faire. Un séminaire a réuni les représentants d’Eliance et de FGE en octobre dernier. Des groupes de travail ont été mis en place. Le processus est enclenché mais il reste difficile de savoir ce qui en sortira. Il faut du temps pour que chacun définisse sa position et pour qu’émerge une vision partagée. Le fossé est grand entre les différentes races. Si tous souhaitent le maintien du mutualisme, les grandes races insistent sur le fait que ce sont d’abord elles qui financent le dispositif.

Des enjeux importants pour les éleveurs

Innoval défend la mise en place d’une gouvernance opérationnelle afin de gagner en efficience. Pour Gènes Diffusion, FGE pourrait devenir la fédération des OS tandis que Races de France rassemblerait les associations d’éleveurs dans un objectif de clarification des missions de chacun et de facilitation dans la prise de décisions.

Pour les éleveurs, l’enjeu de ce débat se situe à plusieurs niveaux. Il s’agit d’abord de conserver leur pouvoir de décision dans la création génétique. Ensuite, ils ont intérêt à préserver un système mutualisé, particulièrement avantageux pour les races ou espèces à faible effectif. Enfin, ce sont les éleveurs qui financent l’essentiel de ce dispositif. Or, comme ils sont de moins en moins nombreux, le fardeau va inexorablement s’alourdir. Tous les acteurs savent que le système actuel ne peut pas tenir financièrement dans le temps.

Harmoniser les index au niveau européen

Si aucun calendrier n’est avancé, l’urgence à aboutir s’impose aussi du fait de l’avancée d’un autre projet en parallèle : la création d’un système européen d’indexation, l’EBE (European breeding evaluation).

Grande race, la holstein domine dans tous les pays impliqué dans le projet de création d'un système européen d'indexation (EBE pour Européen Breeding Evaluation). (© P. Le Cann)

L’idée a germé il y a deux ans et a été poussée par les entreprises de sélection, au premier rang desquelles on trouve Synetics. «Nous souhaitons une harmonisation des méthodes de calcul pour les index élémentaires afin d’avoir plus de visibilité à l’international, défend Jean-Yves Dréau. Aujourd’hui, les classements de taureaux européens diffèrent d’un pays à un autre. »

La holstein européenne cherche à peser face à la concurrence nord-américaine. Cette race est dominante dans tous les pays impliqués dans le projet EBE et c’est elle qui le tire. La France est la seule à compter un si grand nombre de races, dont certaines ont de faibles effectifs.

Toutefois, plus largement, tous les intervenants de l’indexation en Europe rencontrent les mêmes problématiques liées aux coûts de plus en plus élevés de la génétique et aux difficultés de recrutement des scientifiques. Ils prévoient un accroissement des difficultés du fait du recul du nombre d’éleveurs, d’une part, et des besoins toujours plus élevés pour stocker et traiter les données, d’autre part. Un génotypage fournit 80 000 informations. Leur nombre se multiplie et, en incluant les données issues du monitoring, de capteurs et bientôt de l’épigénétique, le volume de données est appelé à exploser. Leur stockage et leur sécurisation vont exiger des moyens de plus en plus colossaux qu’il semble judicieux de mutualiser. « Nous travaillons déjà ensemble au sein d’Eurogenomics », précise Jean-Yves Dréau.

Mutualiser les outils de l’indexation

Cette structure a été créée en 2009 à l’initiative de la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et les pays scandinaves. Depuis, elle a été rejointe par l’Espagne et la Pologne et a pris le statut de coopérative. Les partenaires partagent leurs données et ont construit ensemble une large population de référence essentielle pour la sélection génomique. Ils cherchent aussi à développer des projets communs de recherche appliquée. Ils ont donc une certaine habitude de travailler ensemble.

Après l’harmonisation des index élémentaires, l’étape suivante pourrait être la mise en commun des moyens dédiés à l’indexation. Cela ouvrirait des pistes pour travailler sur l’indexation de nouveaux caractères. Car, aujourd’hui, chaque pays s’y investit de son côté. Les Scandinaves mais aussi les Français sont assez avancés sur les caractères fonctionnels. L’efficience alimentaire mobilise des équipes dans plusieurs pays. Travailler au niveau européen permettrait de réduire les coûts et, sans doute, d’avancer plus vite.

Une échéance au 31 mars

Ce projet de création d’EBE avance très vite et n’attend plus que l’aval de chacun pour se concrétiser. D’où la nécessité de réformer rapidement le système français afin qu’il soit capable de prendre des décisions stratégiques. Ailleurs, les différents intervenants travaillent dans des structures communes depuis très longtemps ce qui facilite la prise de décision. Chaque pays doit se prononcer d’ici au 31 mars, alors qu’en février, des réunions se tenaient chaque semaine pour rapprocher les positions. Cette date butoir a déjà été repoussée plusieurs fois, ce qui illustre la difficulté à trouver un consensus. L’idée de commencer seulement avec la holstein semble reculer au profit d’une intégration de toutes les races laitières. «On peut envisager un calcul harmonisé des index élémentaires au niveau de l’EBE. Chaque pays conservera ses propres index de synthèse et, en France, Geneval devrait rester en charge de ces calculs. La diffusion des index restera aussi au niveau national », avance Thierry Ménard, directeur de PHF, codirecteur d’une OS prim’holstein avec Jean-Yves Dréau et représentant de Races de France au cours de ces ces échanges. Il est possible que les races allaitantes, ovines et caprines, rejoignent l’EBE dans un deuxième temps. «L’EBE doit être pensé pour l’ensemble des races, insiste Alain Guillaume. On ne pourra pas maintenir des outils d’indexation propres aux races à faibles effectifs », parce que leurs coûts seraient insupportables.

Le montant du projet représente un frein pour certains. Il est évalué à plus de 10 M€. En effet, il faudra commencer par mettre en place des infrastructures communes, une plateforme informatique pour stocker toutes les données en sécurité et des logiciels de calcul.

Investir avant de générer des économies

Mais, à terme, les défenseurs du projet attendent des économies en routine du fait d’un amortissement des investissements sur un grand nombre d’animaux. De toute façon, rester sur des dimensions nationales coûterait encore plus cher. Ce n’est donc que dans un second temps que l’EBE trouverait son intérêt directement pour les éleveurs.

Il reste encore beaucoup d’incertitudes quant à la nature des consensus qui devraient se dégager aux niveaux français et européen. Mais les éleveurs français doivent s’attendre à des évolutions rapides de leur dispositif d’indexation.

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