
Les manifestations des agriculteurs donnent, entre autres, un coup de projecteur à la signature d’un accord de libre-échange possible entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (1). Le sujet n’est pas nouveau mais la signature pourrait bien se préciser cette fois. Baptiste Buczinski, ingénieur agroéconomiste à l’Institut de l’élevage, donne son éclairage au sujet de la filière laitière.
Que contient l’accord de libre-échange UE-Mercosur pour la filière laitière ? Et présente-t-il des risques pour le marché français ?
Baptiste Buczinski : Les produits laitiers sont classés parmi les huit produits sensibles dans les négociations. Le Mercosur et l’UE pourraient ouvrir tous les deux des contingents similaires (poudre de lait : 10 000 tonnes, fromages : 30 000 tonnes, lait infantile : 5 000 tonnes). Souvent dans les négociations l’un est plutôt offensif et l’autre défensif sur le lait, comme avec le Ceta (accord économique et commercial global) où le Canada a ouvert des contingents et l’Europe a libéralisé son marché. Ici, les deux parties sont dans une posture défensive. L’accord n’est pas particulièrement intéressant pour la France, car les pays en question importeront très probablement peu de fromages au lait cru. Les fromages recherchés seront plutôt le cheddar, le gouda, l’edam, des fromages plutôt allemands ou néerlandais. Pour la poudre de lait, l’Europe pourra en importer un peu, en cas de manque notamment, car les industriels européens vont chercher à se spécialiser dans des produits à haute valeur ajoutée (cracking du lait). La poudre maigre d’Uruguay et d’Argentine n’est cependant pas la plus compétitive, d’autant plus que l’accord de libre-échange entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande est en place depuis mai 2024.
Comment se positionne la production laitière des pays du Mercosur ?
B. B. : Le Brésil est un gros producteur de lait et de produits laitiers, mais également un gros consommateur. Il n’est pas autosuffisant. La poudre de lait infantile en provenance d’Europe a d’ailleurs une petite carte à jouer dans le pays. L’Uruguay et l’Argentine sont de gros producteurs et exportateurs, surtout vers le Brésil. L’Uruguay affiche d’ailleurs un cheptel surdimensionné par rapport à son nombre d’habitants et à la consommation domestique. Mais, dans ces deux pays, il y a un mouvement de décapitalisation des cheptels. L’Argentine enchaîne les récessions, avec des dévaluations régulières de sa monnaie. Le pouvoir d’achat est bas. Avec les problèmes climatiques, les éleveurs n’ont pas les moyens d’acheter des fourrages. Ils décapitalisent et la collecte a baissé de 10 à 15 % depuis presque un an. Il faut bien garder en tête que les périodes de mise en place des contingents prévus par l’accord sont de cinq ans en viande bovine et de dix ans pour les produits laitiers. Il n’y aura donc que peu d’effets à court terme de cet accord pour la filière laitière s’il est signé.
Quelle filière agricole est la plus touchée par cet accord ?
B. B. : Il s’agit principalement de la filière bovin viande car le projet d’accord de libre-échange prévoit l’ouverture progressive de 99 000 tonnes équivalent carcasse de nouveau contingent de viande bovine (dont 45 % de congelé et 55 % de réfrigéré) à 7,5 % de droit de douane et la suppression immédiate des 20 % de droit de douane des contingents de type Hilton. En effet, le Mercosur bénéficiait déjà d’accès préférentiels au marché communautaire comme les contingents de type Hilton (droit de douane à 20 %), voire des contingents à droit de douane nul.
Au vu des marchés, notamment des échanges entre le Mercosur et la Chine, et de la production, ce sont les meilleurs morceaux qui vont arriver en Europe, comme l’aloyau, après une possible valorisation sur le marché domestique, mais sûrement moins intéressante qu’en Europe. En effet, le pouvoir d’achat n’est pas le même. Les importations actuelles, les concessions en cours et celles à venir représentent environ 1,3 fois la production européenne d’aloyaux du cheptel de race à viande et 0,7 fois celui du cheptel laitier. C’est aussi important de rappeler que les conditions de production n’ont rien à voir avec celles imposées en Europe (bien-être animal, traçabilité, antibiotiques, etc.), avec un enjeu autour des normes sociales et du coût du travail, qui amène un réel différentiel de compétitivité.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces différences de production entre Mercosur et Union européenne ?
B. B. : Un bon exemple est l’usage des pesticides ou des antibiotiques. De nombreux pesticides interdits en Europe sont autorisés et utilisés par les agriculteurs du Mercosur. Près de 27 % des ingrédients actifs utilisés au Brésil étaient interdits en 2020 au sein de l’UE. Certains antibiotiques, comme la bacitracine, la flavomycine, le monensin ou la virginiamycine servent d’activateurs de croissance en élevage bovin alors qu’en Europe, cela est tout simplement interdit depuis longtemps. L’utilisation des antibiotiques est beaucoup plus restrictive, pour éviter le développement d’antibiorésistance. La traçabilité est aussi un bon exemple de différence. Pour l’export vers l’UE, elle n’est exigée que dans le dernier élevage et seulement quarante jours avant abattage. L’absence de traçabilité individuelle reste un frein à des contrôles efficaces car les bovins transitent entre de nombreuses exploitations tout au long de leur élevage. Et je ne parle pas du bien-être animal !
Quand pourrait être signé cet accord dont on parle finalement depuis longtemps ?
B. B. : Le projet d’accord – dont les négociations ont été lancées en 1999 ! – pourrait être conclu lors du Sommet du Mercosur, du 5 au 7 décembre, voire d’ici à la fin 2024. En cas de signature, le processus de ratification à suivre sera déterminant. En effet, cet accord ne peut être adopté que si tous les États membres de l’UE l’approuvent en réunion du Conseil, à l’unanimité. Pour contourner cet obstacle, la Commission peut « découper » l’accord créant un accord commercial intérimaire. La France ne pourra alors plus bloquer seule la ratification, mais elle devra faire appel à une minorité de blocage. Dans tous les cas, il faudrait aussi une minorité de blocage au Parlement européen.
(1) L’alliance Mercosur est constituée des pays fondateurs que sont l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay, rejoints par la Bolivie en décembre 2023 (Venezuela suspendu en 2017). Chili, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou et Suriname sont des membres associés. Le Mercosur est le quatrième bloc économique de libre-échange au monde (source Dila).
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