Au Space 2024, nous avons croisé Patricia Le Cadre, directrice du Cereopa et spécialiste des marchés des matières premières agricoles. L’occasion de revenir sur les tendances de prix et les perspectives pour le marché du tourteau de soja, entre demande mondiale en huile, impact des maladies animales et flou autour du règlement européen anti-déforestation. (Article paru initialement le 26 septembre 2024)
Web-Agri : Quelle tendance de prix se profile sur le marché du tourteau de soja ?
Patricia Le Cadre : On est aujourd’hui à un prix moyen d’environ 428 €/t sur la campagne 2024/25. On était ces dix dernières années sur un niveau beaucoup plus bas, à 402 €/t, on a ensuite connu deux années avec des prix très élevés, et puis finalement on a perdu 50 €/t depuis la campagne dernière. C’est déjà quelque chose d’intéressant pour un éleveur, et je reste baissière pour ce marché.
D’abord parce que sur l’ensemble des oléagineux produits au niveau mondial, on va être un peu en overdose, notamment à cause du soja : on va en avoir beaucoup plus que ce que la demande requiert. Sur l’ensemble des oléagineux, on va globalement monter de 30 millions de tonnes, et on va avoir une demande qui va suivre pour 15 millions de tonnes.
Donc la graine de soja a plutôt tendance à rebaisser en termes de prix sur le marché de Chicago : on revient sur des niveaux de prix relativement bas, qu’on a pu connaître entre 2014 et 2020. Cette baisse a vocation à se poursuivre, sauf si le taux de change entre l’euro et le dollar bouge beaucoup : ce sont des éléments macroéconomiques qu’il faudra intégrer.
Comment la demande en huiles impacte-t-elle le marché du tourteau de soja ?
On ne peut pas réfléchir au marché du tourteau sans d’abord s’intéresser au marché de l’huile, parce qu’on produit les oléagineux pour faire de l’huile ! Or, le marché de l’huile est en déficit à l’échelle mondiale. On a d’abord essayé de répondre à la demande à travers l’huile de palme, qui fournit le meilleur rendement, mais ce compartiment a été plus ou moins épuisé.
Après, on est partis sur des graines riches en huiles, colza et tournesol, et puis on les a aussi un peu épuisées : on entre dans une année où on aura moins de tournesol et de colza à triturer dans le monde, et on sait donc que cette ressource ne sera pas aussi disponible que l’année précédente.
Une fois qu’on a aussi épuisé ce compartiment-là, on passe sur le soja. Mais il y a beaucoup moins d’huile dans une graine de soja ! Pour avoir la même quantité d’huile que si vous aviez trituré une graine de colza, il va falloir triturer deux fois et demie plus de soja.
D’où une trituration accrue…
On va se retrouver avec une demande d’huile à satisfaire, et donc à triturer beaucoup pour l’huile, ce qui va mettre beaucoup de tourteau sur le marché mondial.
La limite de l’exercice, c’est qu’il faut quand même qu’un triturateur ait une marge de trituration correcte. Il faut donc que le prix de l’huile reste très élevé pour que ce ne soit pas le tourteau qui aille chercher la marge.
Je dirais que le tourteau de soja est dans un marché plutôt lourd. Il ne faut pas non plus perdre de vue les problèmes qu’on peut avoir en termes de demande, avec les risques sur la population animale : on a en France la fièvre catarrhale ovine, la peste porcine africaine à nos portes, la grippe aviaire sur laquelle il faut rester très vigilants.
Mais on n’a globalement pas vraiment de raison d’imaginer que le marché ne puisse pas encore perdre quelques euros à la tonne.
Le flou règne en ce qui concerne la réglementation européenne sur la déforestation importée. Quel impact sur le marché européen du tourteau ?
(NDLR : l'interview a été réalisée le 18 septembre. Entretemps, la Commission européenne a proposé de reporter d'un an, à fin 2025, l'entrée en vigueur de sa loi anti-déforestation)
On a aujourd’hui un blocage du marché et il y a très peu de cotations de soja à partir du début de l’année 2025, ce qui n’est jamais arrivé ! C’est une situation assez ubuesque. Il y a quelques cotations qui sortent, mais avec des niveaux de prix où les gens prennent des assurances importantes. C’est un peu compliqué, surtout dans un marché que j’estime baissier.
On sait qu’il y a actuellement des négociations au niveau européen pour reporter la mise en application de cette réglementation. Il y a beaucoup de tractations, certains pays demandent un report, la France ne s’est pas officiellement prononcée.
Il y a un problème de flou sur les applications. C’est un enjeu très fort pour les négociants et les importateurs. On peut donc comprendre qu’ils aient besoin d’avoir de la visibilité sur la façon dont tout cela va être géré.
Pour autant, ils sont prêts. Tout le monde est prêt, notamment tout le bloc de l’alimentation animale française, qui a énormément travaillé depuis des années sur cette question.
Quel sera l’effet de cette nouvelle réglementation sur les prix ?
Globalement, c’est un soja qui va valoir 20 à 25 €/t de plus, parce qu’il faut payer cette traçabilité : contrairement à ce qu’on a pu faire avant, on a besoin de tracer la graine dès l’origine, dès la parcelle. Imaginez que l’aliment que vous donnez, il faudra savoir de quelle parcelle au Brésil il est issu : c’est un truc de fou !
Pour autant, cette prime de 20 €/t peut au final être absorbée : vu la volatilité des marchés, tout dépend à quel moment vous vous positionnez sur les marchés.
Le marché va aussi s’adapter. Car le marché européen est quand même l’un des drivers en termes de demande sur le tourteau : si justement c’est plus compliqué d’arriver en Europe à cause de cette prime, on va peut-être faire baisser un peu plus les prix pour aller capter un marché.
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