
Sept exploitations haut-alpines travaillent avec une fromagère pour améliorer la qualité de leur lait et décrocher une IGP concernant la tomme du Champsaur. Les réflexions ont démarré au sein d’un GIEE plusieurs années auparavant, avec l’appui de la chambre d’agriculture.
Dotée d’une texture souple et crémeuse et d’une croûte bien fleurie, la tomme du Champsaur offre des goûts floraux hérités des prairies naturelles de montagne. Candidate à l’IGP, elle pourrait devenir le premier signe officiel de qualité (SIQO) laitier enregistré dans les Hautes-Alpes. L’idée de demander cette reconnaissance officielle a émergé progressivement au sein d’un petit groupe d’éleveurs. « Au départ, plusieurs éleveurs motivés par la transformation fromagère avaient envie de se réunir pour progresser ensemble, retrace Delphine Soler, ancienne animatrice à la chambre d’agriculture du département devenue fromagère. Nous avons donc créé l’association Champsaur Lait qui a porté un premier GIEE de 2015 à 2019. Cela a formé le terreau du second GIEE, qui travaille depuis 2020 sur l’obtention d’un signe officiel de qualité pour la tomme du Champsaur. » La reconnaissance en tant que GIEE a formalisé le groupe de travail et donné droit à des subventions pour l’animation par une conseillère de la chambre d’agriculture. Cela a également permis aux jeunes en cours d’installation de percevoir une DJA majorée.
De 2015 à 2019, les six exploitations du groupe, toutes situées à plus de 1 000 m d’altitude, ont travaillé sur leurs objectifs partagés : améliorer la qualité du lait et sa fromageabilité, tout en maîtrisant leurs charges. Quatre d’entre elles ont monté avec Delphine Soler un atelier de transformation collectif. En activité depuis 2016, il transforme aujourd’hui 400 000 l par an. Les deux autres exploitations ont créé chacune un atelier individuel. Tous fabriquent, entre autres, des tommes du Champsaur.
« Le GIEE crée une émulation collective : entre deux réunions, on réfléchit et on progresse », partage Yann Giraud, l’un des éleveurs associé de la fromagerie où œuvre Delphine Soler. Son Gaec à trois associés produit 450 000 l avec 50 vaches sur 68 ha, dont la moitié de parcs à génisses, et en livre un bon tiers à la fromagerie collective, le reste à Sodiaal. « Dans le cadre du GIEE, nous avons fait des visites en Isère et dans les monts du Lyonnais pour voir d’autres systèmes fourragers, et suivi des formations collectives sur la qualité du lait. Nous avons aussi mis en place un groupe pâturage afin de limiter notre dépendance aux fourrages conservés. À la suite de ces visites et formations, notre Gaec a adopté le séchage en grange, il y a deux ans, pour limiter l’ensilage d’herbe et améliorer la fromageabilité du lait, sachant que notre parcellaire ne permet pas de pâturage intégral, même sur de courtes périodes. »
Un espace de discussion
Président de l’association depuis sa création, Mickaël Pellegrin abonde : « Le GIEE a ouvert un espace de discussion alors que nous avions l’habitude de nous croiser rapidement sans prendre le temps de discuter. » Installé en 2015 avec son épouse Marion, il élève 28 laitières et leur suite sur une exploitation de 65 ha, dont 20 non mécanisables. Depuis 2017, le couple transforme à la ferme 30 000 l, sur un volume annuel total de 120 000 à 130 000 l. « Il n’y a pas de concurrence au sein du groupe : on s’échange librement des conseils, reprend l’éleveur. Les partages d’expériences des uns et des autres nous ont conduits au fur et à mesure à modifier quelques bricoles sur notre ferme. »
À force de discuter de fromages et de valeur ajoutée, l’idée d’un SIQO a fini par arriver sur la table. « Nous y avons vu un moyen de redynamiser la filière locale, revaloriser le litre de lait et obtenir une reconnaissance en dehors du territoire », résume Mickaël Pellegrin. Un second GIEE a donc été créé à la suite du premier, labellisé pour la période 2020-2025. C’est à cette époque que Bastien Allosia, jeune installé hors cadre familial avec son frère Johan, raccroche la démarche. « Nous venions de reprendre une ferme en zéro pâturage, avec des prim’holsteins nourries à l’ensilage et du lait livré à Sodiaal, se souvient-il. Nos deux premières années ont été très difficiles avec les emprunts à rembourser et le lait mal payé… Nous voulions sortir de ce schéma afin de valoriser notre lait de montagne. » Les deux frères ont eu ensuite l’opportunité de s’associer avec un autre Gaec de petite taille, déjà en bio, en race abondance et en transformation fermière, ce qui a facilité leur conversion et leur transition vers un modèle plus rémunérateur. « Nous sommes maintenant quatre associés en Gaec avec 40 laitières de races mélangées sur 60 ha, qui pâturent huit mois par an, reprend Bastien. Nous sommes autonomes en fourrages et nous produisons au total 300 000 l de lait bio, dont nous transformons 100 000 l. » Que ce soit chez Bastien Allosia, chez Mickaël et Marion Pellegrin ou chez Delphine Soler, la tomme du Champsaur, vendue entre 14 €/kg (en conventionnel) et 16 €/kg (en bio), est l’un des fromages phares de la gamme.
Plutôt une IGP qu’une AOP pour garder de la marge de manœuvre
Pour la faire briller encore un peu plus, les éleveurs ont hésité entre AOP ou IGP. « Au départ, il avait été question de demander une AOP, comme l’ont fait les producteurs de bleu du Queyras, relate Anaïs Signoret, animatrice filière en charge de ces deux dossiers à la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes. L’IGP a été préférée pour la tomme du Champsaur car elle est plus inclusive. La tendance générale des AOP est d’aller vers du tout foin et des races rustiques. Or les professionnels ne souhaitaient pas se priver totalement d’ensilage ni abandonner la prim’holstein, historiquement présents dans leurs systèmes. »
Par ailleurs, les aires de production des deux futurs SIQO se recoupent et les mêmes opérateurs gravitent autour de ces deux fromages emblématiques du département. Or, depuis qu’il s’est mis en marche vers l’AOP, il y a quelques années, « la production de bleu du Queyras est en forte augmentation, observe Mickaël Pellegrin. Si on faisait pareil avec la tomme du Champsaur sur la même aire, on se concurrencerait sur les litrages. » L’idée d’inclure le maximum de producteurs potentiels était d’autant plus cohérente que la tomme relève historiquement d’une production familiale diffuse sur le territoire. Après une étude de l’historique, l’aire pressentie pour l’IGP englobe tout le nord du département, incluant 80 éleveurs potentiels – sur les 84 que comptent les Hautes-Alpes. C’est vingt de plus que l’aire de la future AOP bleu du Queyras.
En plus des transformateurs fermiers, six fromageries prévoient de fabriquer des tommes du Champsaur, trois d’entre elles le faisant déjà. « Aujourd’hui, moins de cent tonnes de tommes sont fabriquées chaque année sur le département, indique Anaïs Signoret. L’IGP doit conduire à augmenter à la fois la quantité produite et sa valorisation : on vise environ 20 % de plus sur le prix du lait. » Côté commercialisation, l’objectif est surtout de développer les ventes locales et régionales mais la porte n’est pas fermée à l’export, certains opérateurs étant présents à l’international.
Un GIEE très actif
Tous les producteurs de la zone concernée sont conviés aux réunions du GIEE. La plupart attendent que la démarche soit plus avancée pour s’y intéresser de près. Techniquement, le cahier des charges sera accessible à la majorité d’entre eux. Les critères retenus se veulent le reflet de pratiques traditionnelles qui sont restées majoritaires et qui seront, cette fois, gravées dans le marbre. Rien n’est sorti du chapeau : « Un signe officiel de qualité ne se crée pas, il se reconnaît », souligne Anaïs Signoret. Dans le projet de cahier des charges, au moins 60 % du cheptel laitier devrait être constitué de races de montagne (abondance, tarine, montbéliarde ou brune des Alpes), mais ce ratio serait calculé à l’échelle de l’unité de transformation, non de l’exploitation. « Une période de transition sera prévue pour les éleveurs n’étant pas encore dans les clous », précise Mickaël Pellegrin. Un minimum de 120 jours de pâturage par an serait imposé, ainsi qu’un maximum de 6 kg de concentré par vache par jour (1 800 kg/vache/an).
Afin de pouvoir « sauver » une parcelle qui n’aurait pas pu être récoltée dans de bonnes conditions, l’enrubanné ne serait pas interdit mais réservé aux génisses, dans la limite de deux balles rondes par tête. « Avec un cahier des charges trop restrictif, on n’aurait pas assez de volume pour gérer une appellation, souligne Yann Giraud. En revanche, certains critères ont un vrai impact sur la qualité du lait. Il faut trouver le bon réglage des curseurs… Imposer un critère de chargement, par exemple, aurait été compliqué : il y a de gros écarts entre les fermes qui ont des parcs, qui diluent beaucoup le chargement, et celles qui n’en ont pas. On ne voulait pas exclure sur ce seul critère les éleveurs qui n’ont pas la chance d’avoir du foncier. »
Le projet de dossier de demande de reconnaissance en IGP devait être envoyé à l’Inao avant la fin de l’été pour une première relecture. En fonction des retours, le dépôt officiel du dossier pourrait avoir lieu début 2025.
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