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Réchauffement climatique : évoluer pour résister

©Cédric Faimali/GFA

Réchauffement climatique : évoluer pour résister

Pour faire face aux évolutions du climat, les éleveurs laitiers français ont déjà commencé à revoir leurs pratiques, notamment en adaptant leur système de production pour sécuriser l’alimentation de leurs vaches.

De la génétique aux ressources fourragères, l’éleveur va devoir s'adapter

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L’Europe est le continent qui se réchauffe le plus vite et 2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée sur le continent (>1,5°C) et au niveau mondial. La température idéale pour une vache laitière se situe entre 6 °C et 13. Pour une température journalière de 24 °C à 40 % d’humidité, la baisse de la production est de 5 % à 7 % pour la quantité de lait et de 10 % à 14 % pour les matières grasses et protéiques. Ces baisses sont plus marquées chez les fortes productrices. (©Corinne Rozotte / Divergence)

La capacité de l’éleveur à évaluer les risques dus aux effets du changement climatique sur son système de production actuel sera un élément décisif pour la pérennité de sa ferme. Entre remise en question mais aussi opportunité.

Si certains présentent la question du réchauffement climatique comme « un canular », ce n’est pas le cas des chercheurs ni des parlementaires français. Ainsi, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a présenté son rapport (1), le 9 avril, sur ce sujet, porté par le député Pierre Henriet et le sénateur Daniel Salmon. « S’il existe des solutions scientifiques prometteuses, il reste à modifier en profondeur les systèmes agricoles sinon leur efficacité sera limitée », estiment-ils. Ils pointent également du doigt un décalage entre la formation des agriculteurs et les réalités de terrain, avec le développement déjà mis en œuvre de nouvelles pratiques non intégré dans les programmes pour la nouvelle génération. À côté de cela, David Renaudeau et Philippe Debaeke, directeurs de recherche à l’Inrae ont repris, avec d’autres experts dans un livre (2) présenté au dernier Salon de l’agriculture, les grands enjeux pour l’agriculture, et notamment l’élevage, liés à ce changement climatique. Ils constatent que « le secteur de l’élevage est déjà et sera affecté par le changement climatique de manière directe (stress thermique, surmortalité des animaux) et indirecte via des effets sur la disponibilité et sur la qualité des ressources (aliment et eau) et l’émergence d’épizooties qui constituent une menace à la fois sanitaire et économique ».

Une mortalité plus élevée

Tout d’abord, les périodes de stress thermique augmentent le risque de mortalité des animaux. Une étude rétrospective, reprise dans le livre précédent, réalisée sur le troupeau laitier et allaitant français, a montré que le taux de mortalité a augmenté de 24 % et de 12 %, toutes classes d’âge confondues, par rapport à la mortalité normalement observée dans les élevages à la suite des vagues de chaleur de 2003 et de 2006. En 2003, 60 % des départements français ont eu un excès significatif de mortalité pendant la première semaine de canicule, et 51 % pendant la seconde semaine. Les chercheurs de cette étude ont constaté que « cette surmortalité semble se prolonger dans les trois jours qui suivent la vague de chaleur et que le risque de mortalité est proportionnel à la durée de la canicule ». L’origine de cette surmortalité reste complexe et généralement multifactorielle. Elle est liée « à une dyshoméostasie électrolytique, une instabilité du pH sanguin, une hyperperméabilité du tractus gastro-intestinal, une inflammation sévère induite par l’activation immunitaire, la défaillance de plusieurs organes, dont le système cardiovasculaire et une septicémie » à la clef.

En association avec le brassage de l’air, la brumisation ou le douchage des animaux permet une baisse de la température corporelle de la vache et de la température ambiante dans le bâtiment. Mais cette technique nécessite impérativement des bâtiments ouverts et une évaporation de l’eau optimale.

Pour faire face au stress thermique, l’animal va mettre en place diverses adaptations pour augmenter les pertes de chaleur : redistribution des flux sanguins, hyperventilation pulmonaire, etc. Cela se traduit par « des désordres métaboliques et physiologiques (acidoses ruminales, stress oxydant, etc.) qui affectent momentanément ou de manière durable à la fois la santé, le bien-être et les performances », relèvent les chercheurs.

Une baisse de production et de fertilité

« L’hyperventilation chez la vache laitière peut entraîner une augmentation du pH du sang, compensée partiellement ou complètement par une sécrétion rénale d’ions bicarbonates au détriment de la salive avec des conséquences indirectes sur le fonctionnement du rumen (acidose) et de la flore ruminale. » Une augmentation de la fréquence des problèmes de pattes, avec des boiteries, a été aussi constatée dans les semaines suivant un stress thermique en lien avec un temps passé debout plus important pour dissiper la chaleur et des effets de long terme de l’acidose ruminale.

La baisse de production laitière à ces moments-là s’explique par une réduction de l’énergie ingérée, mais également par une augmentation de la part de l’énergie utilisée pour couvrir les besoins liés au métabolisme de l’organisme et, en conséquence, par une diminution de celle disponible pour couvrir les besoins de production (lait) et de reproduction. Car la chaleur va aussi avoir un effet sur la fertilité et la fécondité à moyen et long terme. Elle modifie la dynamique de sécrétion des hormones sexuelles, la qualité des semences, le développement des ovocytes mais également celui des embryons. En France, des travaux scientifiques ont montré que la survenue d’un stress thermique avant ou après l’insémination peut induire une dégradation de plus de dix points du taux de réussite de l’IA quand l’indice température-humidité (ITH) dépasse 70. La période après l’insémination apparaît plus critique que la période précédente, ce qui laisse supposer un fort impact de la chaleur sur la capacité de survie de l’embryon. Enfin, sur le long terme, il a été démontré qu’une exposition très précoce à la chaleur, au stade fœtal par exemple, peut avoir un impact durable sur le potentiel de production.

vaches laitières s'alimentant en stabulation
En période de stress thermique, la salive est beaucoup moins concentrée en substances tampons, ce qui a un effet sur le pH ruminal, la consommation et la production. Il est alors intéressant d’utiliser du bicarbonate de sodium vaches à 150-200 g par vache et par jour pendant la saison chaude pour obtenir un effet tampon sur le rumen. (© E.Durand)

Toutefois, chaque animal va réagir différemment au stress thermique du fait de son niveau de production, de son âge, sexe, stade physiologique et de ses particularités anatomiques (densité de poils ou de glandes sudoripares). Cela pose la question de la sélection génétique, poussée à l’avenir non pas sur la productivité de l’animal mais sur sa capacité à « encaisser » les aléas climatiques.

La sélection porterait alors sur des animaux plus robustes, ce qui vient questionner les schémas de sélection actuels. Il a été montré effectivement que les animaux les plus producteurs sont les plus sensibles à la chaleur. La diversité génétique des races bovines laitières françaises, voire tropicales, devient un atout dans un tel contexte.

Face au changement climatique, les éleveurs ont déjà mis en place des astuces pour tenter de diminuer les effets des fortes chaleurs, avec des évolutions dans l’alimentation, l’assolement, la construction de bâtiments plus ouverts, le douchage des animaux, l’installation de ventilateurs… Faire évoluer la composition de la ration et ses modalités de distribution est un plus intéressant à mettre en place, surtout du fait des évolutions du système fourrager liées au climat.

Une évolution de la phénologie des plantes

Mais, avant cela, l’un des éléments à privilégier reste tout simplement l’accès à l’eau (nombre de points d’eau suffisant, qualité de l’eau, température de l’eau). Une vache laitière peut boire de 50 à 100 litres par jour, voire 150 en période de forte chaleur. Plus globalement, « il est recommandé chez les ruminants de concentrer la ration en protéines et en énergie, et de réduire les apports en fourrages secs, tout en veillant à maintenir un taux suffisant de cellulose pour limiter les risques du dysfonctionnement de la physiologie ruminale ». Les chercheurs recommandent aussi de compenser les pertes de minéraux (potassium, sodium, magnésium, chlore) liées à la déperdition de chaleur, à la sudation et à l’excrétion urinaire « en relevant l’équilibre alimentaire anions-cations ».

Les bâtiments doivent non seulement protéger les vaches des intempéries hivernales, mais aussi constituer une zone de confort pendant les pics de chaleur en été. Et à côté de cela, les consommateurs demandent des systèmes d’élevage plus ouverts, avec pâturage, alors que les conditions d’ambiance sont de fait moins maîtrisées pour améliorer le bien-être des animaux. (© E. Durand)

Les fortes chaleurs amènent aussi à revoir les modalités de distribution de la ration, au-delà de la modifier. Ainsi la distribution d’un aliment en dehors des heures chaudes, très tôt le matin ou tard le soir, avec la limitation de l’ingestion pendant les périodes de canicule permet de limiter l’hyperthermie. Il est possible de rajouter aussi de l’eau dans la ration. « Chez les animaux en croissance, une réduction momentanée des apports alimentaires ou l’utilisation de fourrages de moindre qualité sont des leviers possibles » face à la chaleur et au manque temporaire de surface fourragère. Ils reprendront par la suite leur croissance grâce à « des réponses compensatoires ». À noter également, côté alimentation, la hausse du risque de la présence de mycotoxines dans les années à venir.

Sur le plan des systèmes fourragers, les effets du changement climatique sont déjà visibles. « La sécheresse et les très fortes chaleurs estivales observées en 2022 ont provoqué un déficit de la pousse cumulée des prairies permanentes entre juin et novembre de 24 % par rapport à la production moyenne nationale entre 1989-2018, et une réduction de 20 % par rapport à la moyenne sur la période 2010-2021 de la production de maïs distribué sous forme de fourrage et d’ensilage dans le Grand Ouest (Pays de la Loire, Bretagne, Normandie) », estiment les auteurs. À l’avenir les variations saisonnières des précipitations et de la température vont avoir un impact sur la production inter et intra-annuelle des fourrages. À court terme, la baisse de la production en été devrait être compensée par une surproduction en hiver et au printemps. Aussi, à long terme, un allongement de la période non productive en été est-il à craindre, « avec des impacts sur la productivité annuelle qui restent à confirmer et qui varieront probablement fortement d’une région à une autre ». Une plus forte saisonnalité dans la croissance de l’herbe risque d’affecter fortement les systèmes de production très dépendants du pâturage, avec un affouragement en période estivale en plus de la période hivernale, ce qui s’observe déjà dans certains départements.

Évaluer le risque pour demain

Par ailleurs, les espèces fourragères pourraient réagir différemment au réchauffement climatique, avec des effets plus modérés sur les légumineuses par rapport aux graminées. Cela pourrait alors modifier la diversité floristique des prairies permanentes et temporaires (réduction des graminées au profit des légumineuses ou des dicotylédones non fixatrices d’azote) et faire évoluer leur valeur nutritionnelle. De plus, comme pour les céréales, une réduction de la teneur en protéines est attendue dans les fourrages, en lien avec un effet de dilution provoqué par l’augmentation de leur concentration en sucres solubles (effet température et hausse du CO2).

La réduction de l’ingestion au chaud couplée ou non avec une détérioration de la qualité de l’alimentation est un des facteurs qui peut expliquer les problèmes de cétose chez les vaches laitières hautes productrices, notamment en début de lactation. (© Claudius Thiriet)

« L’un des très gros enjeux à l’avenir sera la capacité de l’éleveur à évaluer le risque climatique pour son exploitation, estime David Renaudeau. Mais, une chose est sûre, si les éleveurs ne vendent pas plus cher leurs produits et leurs animaux, cela remettra en cause la pérennité de l’élevage dans certaines zones. Plus globalement, la capacité d’adaptation des élevages est étroitement liée à la conjoncture économique, à l’évolution des politiques agricoles, du contexte réglementaire et de l’attractivité du secteur de l’élevage. Mais n’oublions pas que le changement climatique, ce sont aussi des opportunités ! » Et de préciser : « Qui dit relocalisation des zones de production, dit aussi suivi des outils de transformation, amenant à une métamorphose des paysages agricoles et agroalimentaires actuels. »

(1) L’Agriculture face au réchauffement climatique et aux pertes de biodiversité : les apports de la science de Pierre Henriet et Daniel Salmon (rapport n° 1253 de l’Assemblée nationale et n° 516 au Sénat).

(2) Agriculture et changement climatique. Impacts, adaptation et atténuation de Philippe Debaeke, Nina Graveline, Barbara Lacor, Sylvain Pellerin, David Renaudeau, Éric Sauquet (coordinateurs scientifiques) aux éditions Quaé.

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