Le bruit courait depuis lundi dans les allées du Salon de l’agriculture et au-delà ; le communiqué ministériel est tombé hier soir : Marc Fesneau annonce un plan de soutien à l’agriculture biologique. Il passe par une aide d’urgence de 10 millions d’euros pour les exploitations « en graves difficultés économiques et en risque de déconversion », par un travail interministériel pour arriver à l’objectif de 20 % de produits bio en restauration collective, et par une réforme de la gouvernance de l’agence bio.
Communiqué ?? | Lancement d’un plan de soutien à l’agriculture #biologique ?? https://t.co/UZJokRA1mW
— Ministère Agriculture et Souveraineté alimentaire (@Agri_Gouv) March 1, 2023
10 millions d’euros, c’est le chiffre qui avait été évoquée lundi par Elisabeth Borne, lors d’une réunion en huis clos avec des représentants de la profession. Il avait fait réagir dès le lendemain le monde de l’agriculture biologique au Salon. « Le gouvernement méprise la bio », dénonçaient sur Twitter la Fnab, la Conf’, Forebio et Synabio.
Bio méprisée, bio enterrée ! Le plan d'urgence pour la bio est insuffisant. Il faut une aide d'urgence à l'actif pour soutenir la bio ! @fnab_bio @synabio @Forbio3 @ConfPaysanne action surprise sur le stand de l'Agence Bio ! pic.twitter.com/gPj8IQQtvx
— Conf' Paysanne (@ConfPaysanne) February 28, 2023
Rencontré quelques heures avant l’annonce officielle, Yves Sauvaget, président de la Commission bio du Cniel, tenait le même discours : « Toutes filières confondues, toutes productions confondues, il y a 60 00 fermes bio en France. 10 millions d’euros, ça représente 166 euros par exploitation, c’est un chèque-carburant amélioré, c’est vraiment méprisant ».
Le 21 février, l’ensemble des collèges du Cniel avait demandé au ministre un plan de sauvegarde ambitieux pour la filière laitière bio : une aide d’urgence de 71 millions d’euros pour les producteurs – « montant correspondant à l’évaluation chiffrée des pertes subies par la filière » -, une réaffectation des reliquats du budget dédié au financement à la conversion (environ 150 millions d’euros), des contrôles et un accompagnement pour parvenir aux 20 % de bio en restauration collective, comme prévu par la loi Egalim.
« Plus l'inflation a monté, plus la consommation a diminué »
Car la filière est en crise. D’une part, la production de lait bio a augmenté de 50 % entre 2017 et 2022, de l’autre la consommation est en chute depuis la sortie des restrictions liées au Covid : « On allait retrouver un cours de consommation normal et le marché allait se rééquilibrer, mais depuis le début de la guerre en Ukraine, plus l’inflation a monté, plus la consommation a diminué », explique Yves Sauvaget.
Ce fort déséquilibre a provoqué en 2022 « énormément de déclassements » de lait bio vers le conventionnel. Et « dans le contexte d’envolée des coûts de production, le prix du lait bio payé aux éleveurs n’a pas pu être revalorisé, malgré l’entrée en vigueur de la loi Egalim 2 visant à protéger la rémunération des agriculteurs », précise le Cniel.
La situation est « particulièrement préoccupante » dans les zones de montagne, où les éleveurs subissent plus fortement la hausse des coûts : d’après les estimations de l’interpro, « la perte de revenu pour une exploitation type de montagne livrant à une laiterie spécialisée en bio s’approche des 32 000 €/an » en 2022 par rapport à 2020.
Les perspectives pour 2023 sont alarmantes. Si les cessations (arrêt de l’exploitation agricole, arrêt du seul atelier lait, ou retour au conventionnel) étaient auparavant « marginales en bio », elles ont atteint presque 3 % en 2022 et « devraient s’accélérer en 2023 », selon le Cniel.
« Les déclassements pourraient atteindre 530 millions de litres en 2023 »
L’Insee prévoit que l’inflation sur les produits alimentaires perdure cette année, on peut donc s’attendre à une consommation toujours en berne pour les produits bio, tandis que la production de lait resterait stable. Conséquence probable : « les déclassements vont continuer à croître et pourraient alors atteindre 530 millions de litres en 2023 », soit 43 % de la production.
L’inquiétude est d’autant plus forte que, si les prix record du lait conventionnel en 2022, liés aux coûts élevés du beurre et de la poudre, avaient permis de limiter la perte de valorisation du lait déclassé, le marché de ces commodités laitières est en chute libre depuis plusieurs semaines.
Vu cette tendance, « les opérateurs ne pourront pas maintenir le prix du lait bio », alerte le Cniel. « Le manque à gagner pour notre filière était de 60 millions d’euros sur 2022, la projection de 2023 serait plutôt à 71 millions sur 2023 », ajoute Yves Sauvaget.
Qui évoque une crise conjoncturelle plutôt que structurelle : « les économistes s’accordent à dire que le pic de l’inflation est probablement passé (…). À partir de janvier 2026 on pourrait avoir un retour à la normale du taux d’inflation, autour de 2 %. (…) On a bon espoir de retrouver une consommation à partir du moment où l’inflation va diminuer ».
D’autre part, « si on rend la loi Egalim un peu plus contraignante, ça va encore demander deux ans (…). Si on a un retour de la consommation et au même moment une loi Egalim qui finit par entrer en vigueur, à l’horizon 2026 on pourrait manquer de lait ! ». D’où la nécessité, reprend-il, « d’une aide d’urgence pour aider les producteurs les plus fragiles à passer la crise, en attendant que le marché se redresse ».