
Face à ce constat, le Cniel a interrogé des cheffes d'exploitation et des étudiantes pour comprendre pourquoi le métier peine à attirer les femmes. Les choses évoluent, mais trop voient encore leurs compétences remises en question, voire font l'objet de remarques sexistes. Concilier vie pro et perso reste compliqué pour beaucoup.
C'est sur la pyramide des âges encore bien plus défavorable aux éleveuses qu'aux éleveurs de ruminants que le Cniel a ouvert sa conférence sur le travail des productrices de bovins lait au Space 2025. Sa forme est éloquente : les femmes sont bien moins nombreuses que les hommes et seuls 16 % ont moins de 40 ans. Or « impossible de renouveler les générations en élevage sans accueillir tous les talents, féminins autant que masculins, d'origine agricole ou pas », pointe Marie-Andrée Luherne, présidente déléguée de l'organisme.

« Des filles en études agricoles, il y en a »
« Nous devons agir vite », insiste-t-elle. 2030 et ses 50 % de producteurs laitiers en âge de partir à la retraite, c'est demain ! Alors le Cniel a mené une enquête qualitative auprès de cheffes d'exploitation et d'étudiantes en BTS (une cinquantaine au total) – car des filles en études agricoles, notamment supérieures, il y en a – afin de comprendre pourquoi un tel sous-effectif de femmes dans la filière laitière et de proposer des solutions pour améliorer leur bien-être dans les fermes et rendre le métier d'éleveuse plus attractif.
Moins d'éleveuses pour traire, alors on a inventé les robots !
Aujourd'hui, 25 % des fils d'agriculteurs s'installent et seulement 6 % des filles, des pourcentages qui étaient équivalents quelques décennies plus tôt. Ils concernent l'agriculture en général, mais l'élevage bovin laitier suit sans aucun doute la même tendance. La mécanisation a « limité les besoins de main-d'œuvre : les femmes sont allées chercher une meilleure reconnaissance et rémunération dans une autre activité professionnelle », rappelle Marie-Andrée Luherne. « Moins d'éleveuses pour traire, alors on a inventé les robots de traite ! », lance sous forme de boutade une femme dans la salle.
Avant toute chose, Flore Javelle, chargée de projet "attractivité et féminisation dans la filière laitière" au Cniel, qui a travaillé sur cette étude, tient à préciser le concept de genre. Il englobe « l'ensemble des rôles sociaux associés aux sexes biologiques et façonnés par la culture, l'éducation et les attentes sociétales ». Derrière, « on attend et valorise des qualités différentes chez les hommes et les femmes ».
La force physique, l'indépendance, la combativité, l'endurance, la rationalité entre autres chez les premiers ; l'empathie, la sensibilité, l'écoute, la patience, la propension au soin, l'humilité, le consensus pour les secondes. En découle une division socio-sexuée du travail dans la société, et en élevage en particulier. À la gente masculine, on confie « des activités publiques, hors du foyer et rémunérées » ; à l'autre sexe, « les tâches domestiques, liées au soin et non rétribuées ».
Pas toutes les compétences requises ?
Comment ces normes influencent-elles le travail dans les exploitations bovines laitières ? Les résultats de l'étude sont éloquents et surtout les propos recueillis. Ils montrent que les stéréotypes de genre ont la vie dure et qu'ils « limitent le potentiel » des femmes en élevage. Tout commence dès le plus jeune âge avec « une éducation genrée qui influence l'orientation », détaille Flore Javelle. S'ajoute « une présomption d'incompétence qui peut décourager » celles qui veulent exercer cette profession.
Il faudrait des femmes dans les commissions d'homologation du matériel.
Autrement dit : avant même d'avoir pu faire ses preuves, une femme n'aurait pas toutes les compétences requises. Comme l'illustre ce verbatim : « Une semaine en remplacement dans une ferme, je n'arrêtais pas d'entendre "tu sais pas bosser, ils auraient dû m'envoyer un remplaçant homme". » Ensuite, se pose le problème de la pénibilité physique : port de charges lourdes, machines et outils mal dimensionnés... et notamment l'attelage de la prise de force du tracteur très compliqué pour une agricultrice. « Il faudrait des femmes dans les commissions d'homologation du matériel », argue une éleveuse présente.
On s'occupe de la maison, des enfants,
on participe moins aux travaux, aux décisions.
Puis celui de la conciliation entre pro et perso, « un facteur clé d'autonomie » pour les éleveuses. « Quand on doit s'occuper de la maison et des enfants, on est moins sur la ferme. Du coup, on participe moins aux travaux, aux décisions », remonte l'une des enquêtées. D'où parfois « un écart de rémunération, exacerbé au moment de la retraite, voire de nombre de parts sociales », fait remarquer une éleveuse assistant à la présentation. Selon l'Insee en effet, les agricultrices consacrent 3,3 fois plus de temps aux tâches domestiques que les agriculteurs. Un chiffre qui date de 2010 !
« Du sexisme, parfois bienveillant, pour ménager »
Pas étonnant que peu s'investissent dans les organisations professionnelles. Par ailleurs, beaucoup témoignent de parcours d'installation et professionnels impactés par des difficultés d'accès au foncier et au capital et plusieurs rapportent encore des agissements sexistes, du « sexisme parfois bienveillant pour ménager face à certaines tâches ». Cet état des lieux montre que malgré des évolutions incontestables, il reste du chemin à parcourir pour une réelle égalité homme/femme en élevage.
Pour lever les freins, le Cniel suggère de se pencher sur « les choix organisationnels ». Il s'agit, par exemple, de « mettre en place une gouvernance très égalitaire entre les associés et des espaces de parole pour repenser l'organisation du travail, des réunions de Gaec même en couple ».
Mais aussi de « fixer des objectifs communs pour préserver la vie personnelle, intégrés à ceux de l'entreprise et partagés par le collectif » : astreinte des week-ends, nombre de semaines de congés par an, emmener et chercher les enfants à l'école... « Aux responsables d'exploitation de prendre en compte les enjeux liés au genre », appuie le Cniel. Quant aux tâches domestiques, « elles ne doivent pas être attribuées à une seule personne ».
Gouvernance égalitaire et objectifs communs, même perso
L'organisme identifie des axes de réflexion pour « avancer collectivement » sur ce sujet de la place des femmes en élevage, afin qu'elles aient « une réelle liberté de choix » : moderniser l'image du métier en dépassant les stéréotypes de genre, limiter la pénibilité physique et agir pour la santé au travail, « ces deux points bénéficiant également aux hommes », aider les éleveuses dans leur accès à la reconnaissance et aux responsabilités professionnelles, faciliter l'articulation des temps pro et perso, prévenir et traiter les actes sexistes.
Concrètement, il s'agit de diffuser des connaissances et bonnes pratiques. Le Cniel cite l'action de la chaire Agricultures au féminin de l'Esa d'Angers, lancée en février 2024. L'objectif est de former les futurs professionnels et les enseignants à la question de genre dans le monde agricole et de soutenir des projets d'étudiantes en mémoire de fin d'études ou thèse de doctorat.
Autre levier : promouvoir et participer à des initiatives collectives concrètes comme Mentor'elle de la chambre d'agriculture de Normandie qui, depuis 2021, met en relation pendant deux ans des jeunes femmes en parcours d'installation en élevage et des éleveuses installées depuis cinq ans qui « ont traversé les mêmes choses qu'elles ».
« À un moment, il faut légiférer »
Il importe, en outre, de « porter des messages institutionnels », tels que les 15 propositions du livre blanc "femmes en agriculture" de la MSA en 2023, car « à un moment, il faut légiférer ». Et « d'insuffler le changement au sein des OPA » comme l'ont fait les Elles de la Coop avec leur guide de féminisation des conseils d'administration.
Avec Marie-Andrée Luherne, première femme présidente déléguée élue en juin 2024, le Cniel montre l'exemple. Il organise des conférences et tables rondes sur la thématique lors d'événements comme Les rencontres du Cniel, le Salon de l'agriculture, le Space, etc., et diffuse sur la chaîne youtube Les métiers du lait des portraits de professionnelles de la filière laitière.
Sa place d'éleveuse, « il faut oser la prendre, c'est-à-dire se mettre en danger et cesser de se dévaloriser », exhorte Marie-Andrée Luherne. « Notre métier ne s'exerce plus forcément en couple, des femmes s'installent seule et leur mari travaille à l'extérieur, cela peut contribuer au changement. » La présidente déléguée du Cniel conseille aux exploitantes de se former afin de gagner en autonomie et pouvoir de décision.
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