L’intelligence artificielle arrive dans les élevages laitiers

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Les sons enregistrés aux stéthoscopes durant plusieurs années ont été fiabilisés et qualifiés par Oniris et modélisés par l’Inrae pour aider à déterminer si le bovin va déclencher une infection pulmonaire. (©N.Tiers)

L’usage de l’IA va monter en puissance dans les prochaines années. La multitude de données collectées par les entreprises de conseil et les fabricants de robots, entre autres, va donner lieu à de nouveaux indicateurs et transformer un peu plus le pilotage des éleveurs qui en auront envie.

L’intelligence artificielle (IA) fait sa grande entrée au Space de Rennes et au Sommet de l’élevage 2025. Les entreprises y annoncent des nouveaux services ou l’enrichissement de ceux existants. Que l’on soit pour, contre ou interrogatif, le mouvement est enclenché : l’intelligence artificielle arrive dans les élevages laitiers.

Mais de quoi parle-t-on précisément ? L’IA est en fait de deux ordres : générative et prédictive. La première fabrique un contenu, répond à une commande en puisant dans d’immenses bases de données d’images, de chiffres et de textes. Par exemple, inventer un logo pour son élevage, rédiger un compte rendu ou un courrier, demander une synthèse scientifique sur une maladie bovine, etc. Les deux plateformes Le Chat et ChatGPT, respectivement sous influence française et américaine, sont les plus connues des utilisateurs français.

L’IA prédictive utilisée dans les élevages

Dans les exploitations laitières, c’est la seconde, l’IA prédictive, qui va monter en puissance dans les prochaines années avec la création de nouveaux indicateurs et de nouvelles alertes grâce au croisement des données collectées dans les élevages. « Elle prédit des événements futurs à partir de données historiques et enregistrées », définit Clément Allain, en charge des projets de recherche sur l’élevage de précision à l’Institut de l’élevage (Idele). « Les algorithmes de prédiction existaient déjà mais les capacités de calcul disponibles aujourd’hui amplifient et accélèrent la valorisation des données », complète Benoit Vaultier, directeur de Seenergi, qui fédère les entreprises de conseil Littoral Normand, Seenovia, Seenorest, Conseil Elevage 25-90 et Origenplus. L’IA prédictive sera néanmoins mâtinée d’IA générative par le chatbot, interface conversationnelle qui répondra aux questions des éleveuses et éleveurs.

Encore faut-il avoir accès à des bases de données. Il n’est donc pas étonnant que Seenergi et son concurrent Innoval, les fabricants de robots DeLaval, Lely ou encore GEA fassent partie des premiers à dégainer de nouvelles applications. Elles disposent classiquement des résultats individuels de lactation et de comptages cellulaires. Via les outils de conduite du troupeau (Pilot’Elevage pour Seenergi, ICownect pour Innoval, Horizon pour Lely, etc.), elles connaissent les vaches recevant un traitement vétérinaire, l’âge au premier vêlage, le nombre d’inséminations artificielles par vache, les taureaux choisis, etc.

Innoval acquiert deux entreprises pour développer l’IA

« L’acquisition d’ITK en octobre 2023 [précédemment dans le giron de Seenergi, NDLR], spécialisé dans le monitoring, élargit notre champ aux bâtiments, au comportement de l’animal et même à l’éleveur », souligne Stéphane Sellier, responsable innovations chez Innoval. L’entreprise croit également aux informations fournies par la vidéo et l’image. Le 1er juillet, elle est devenue actionnaire majoritaire de la société rennaise Dilepix, spécialisée dans leur valorisation par l’IA.

Au-delà de l’analyse des résultats de performance, l’enjeu pour Innoval est de traiter une masse d’informations enregistrées quasi en continu. « Nous nous appuyons sur un réseau de vingt fermes pilotes pour définir des indicateurs utiles », reprend Stéphane Sellier. Dans leurs bâtiments sont installés des capteurs pour mesurer l’hygrométrie, la température, les émissions de gaz carbonique et d’ammoniac, ou encore la consommation d’eau.

Les tracteurs, mélangeuses et silos d’ensilages peuvent également en être équipés, tout comme l’éleveur avec un boîtier de géolocalisation.

Ce programme engagé il y a deux ans donne lieu à la présentation de nouveaux services au Space de Rennes : la prédiction de la date d’ensilages de maïs et du rendement de chaque parcelle pour anticiper le chantier de récolte et les stocks fourragers, la consommation quotidienne d’eau par les vaches reliée à leurs besoins pour vérifier leur abreuvement et détecter d’éventuelles fuites d’eau, la prédiction du stress thermique des vaches dans la stabulation via l’index THI (Temperature Humidity Index). « Ce THI prédictif permettra de se préparer aux fortes chaleurs par la ration distribuée le soir, la vérification des abreuvoirs, etc., illustre Stéphane Sellier. L’abreuvement, la production laitière, le THI prédictif, la rumination sont des informations fournies aujourd’hui côte à côte à l’éleveur et au conseiller. L’objectif est de les croiser pour réagir plus rapidement lorsque la consommation d’eau ou la production baisse. Ce travail en cours devrait aboutir ces prochains mois. » Le groupe de conseil planche également sur une prédiction de l’apparition de maladies.

Fiabiliser la qualité des données

Sans surprise, Seenergi est sur la même longueur d’onde. Comme son concurrent, il présentera un THI prédictif au Space de Rennes. Il présentera également une version de Pilot’Elevage enrichie d’une interface conversationnelle, un chatbot, grâce auquel l’appli pourra être consultée oralement sur smartphone.

« Nous voulons développer des cas d’usage pour alléger la charge mentale des éleveurs », résume Benoit Vaultier. Cela va jusqu’au management de l’exploitation laitière. Ainsi, selon lui, à partir des dates de vêlage et de mise à la reproduction, l’éleveur ou l’éleveuse pourra, par exemple, demander quelle est la meilleure période pour partir en congés. Seenergi annoncera ses innovations au fil de l’eau en 2026 et 2027. Le recours à l’image pour reconnaître les animaux, cuber les silos, etc. en fera partie.

Pour Benoit Vaultier, le succès des nouveaux indicateurs dépendra de la fiabilité, de la qualité et de la sécurisation des données traitées. « En quatre ans, nous avons progressivement étoffé notre équipe à dix Data Scientists [développeurs d’algorithmes] et spécialistes de leur traitement et nettoyage. » En parallèle, contrairement à Innoval qui acquiert des entreprises, le groupe fait appel à des prestataires pour créer de nouveaux services. Sa discrétion sur le sujet témoigne de la compétition qui est en train de monter entre les entreprises de conseil. « Ce n’est pas étonnant », intervient Xavier L’Hostis, responsable de l’innovation chez Adventiel.

Spécialisée dans les solutions numériques, l’entreprise a décidé, il y a deux ans, de créer un service IA. Ses 150 salariés sont implantés dans les trois capitales du Grand Ouest et à Paris et répondent aux demandes des entreprises de l’amont et l’aval agricoles. Elle a été rachetée, en avril, par le groupe financier Perceva. « Annoter les données, les fiabiliser, les agréger, industrialiser leur flux et créer des modèles mathématiques demandent des heures de travail et coûtent de l’argent. Les entreprises qui investissent veulent un retour sur investissement. Logiquement, elles ne souhaitent pas partager les données avec d’autres. » Le débat sur la propriété des données, la valeur ajoutée qui leur est apportée et leur accès par plusieurs structures est un vieux serpent de mer qui refait surface. On se souvient du temps qu’il a fallu aux organismes de contrôles de performance pour récupérer les informations produites par les robots de traite.

Des règles pour rassurer les éleveurs

Le Cniel s’est emparé du sujet en 2021. « Les éleveurs, mais aussi les industriels laitiers, ont deux craintes », note Fanny Tenenhaus-Aziza, directrice data et statistiques au Cniel. « La première est une utilisation de leurs données à mauvais escient et sans leur accord. La seconde concerne les consentements. Ceux qui les accordent s’interrogent sur leur mode et leur durée de stockage et sur les modalités de leur annulation. La sécurisation des consentements favorisera la circulation de données », ajoute-t-elle. Le Data Act, qui complète au niveau européen le règlement général sur la protection des données (RGPD), a fixé à septembre 2025 l’obligation d’encadrer leur utilisation. Dans ce but, le Cniel travaille à un socle juridique commun à toute la filière. Il devrait être finalisé à l’automne. « Il donnera les règles de contractualisation d’échanges de données pour qu’ils soient équitables, indique Christophe Miault, qui préside le groupe Data du Cniel. Parallèlement, l’examen des outils de gestion des consentements est en cours. »

Vers une hausse des tarifs ?

Évidemment, les éleveurs redoutent que les innovations qui verront le jour ces deux prochaines années s’accompagnent d’une hausse de tarifs des services. « La recherche et le développement engagés ne sont pas des investissements considérables. Il n’y aura pas forcément de conséquences sur les offres de service, rassure Benoit Vaultier. De plus, le temps que l’IA fera gagner aux conseillers en allégeant leurs tâches administratives permettra de déployer de nouveaux conseils. » Le directeur de Seenergi parle de conseiller « augmenté » grâce, par exemple, à l’automatisation des comptes rendus de visite via l’IA générative. Le groupe Innoval, lui, chiffre entre 2 et 2,5 M€ la R&D investie ces trois dernières années, hors acquisition d’ITK et Dilepix.

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