
On le sait, les éleveurs travaillent beaucoup. Si pour certains, le manque de revenu est à l’origine de l’absence de main-d’œuvre, d’autres pointent du doigt l’état d’esprit d’une filière, peu coutumière à travailler avec de la main-d’œuvre salariée.
Et si le temps de travail était un frein pour l’installation en élevage ? La question a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux. D’après un sondage Web-agri, 55 % des éleveurs travaillent plus de 65 h semaine, et 25 % passent entre 55 et 65 h sur leur ferme. Bref, les éleveurs travaillent beaucoup et ça n’est pas un scoop. Mais au-delà de la question de la rémunération, n’y a-t-il pas une réflexion à mener autour du volume d’astreinte pour motiver les jeunes à s’installer ?
Les avis diffèrent. Pour certains, comme Élodie Nilessog, le travail est une fin en soi : « en élevage, on ne compte pas ses heures, point », assume l’agricultrice sur Facebook. Cette vision a longtemps résumé l’état d’esprit du monde agricole tout entier. « Je n’ai pas choisi ce métier pour l’argent ni pour les bonnes conditions de vie. Je savais à quoi m’attendre. La passion, l’envie, doit être en première position quand on fait un job », abonde Mathieu Ravel, agriculteur.
D’autant que pour certains, le volume horaire ne pose pas problème : « ça n’est pas le temps de travail qui m’embête, c’est que quand tu divises ce que tu gagnes au nombre d’heures, bin tu gagnes moins qu’un Chinois ! » ironise Jean-Philippe Carrere. « La dernière fois que j’ai calculé mon tarif horaire, j’étais à 2,15 € net pour une centaine d’heures travaillées par semaine », ajoute Denis Bruand.
Mais force est de constater que les jeunes générations se rebiffent. « Le tout, c’est de savoir être efficace et d’aller vers l’optimisation du temps de travail », objecte Vianney Pelletier. L’agriculteur assume : « je cherche clairement à passer le moins de temps possible sur ma ferme ». Pour lui, rien ne sert de travailler 12 h si l’on peut faire en sorte d’en passer 10, ça ne rapportera pas plus. « Il faut en finir avec l’idée que plus tu bosses, plus tu gagnes ».
La rentabilité de l’élevage en question
Pour la plupart des éleveurs, la faiblesse des revenus de l’élevage limite la capacité à embaucher. « Le temps de travail va de pair avec le revenu. Si le revenu était meilleur, les agriculteurs embaucheraient davantage […]. C’est le cas dans les autres secteurs professionnels », estime Joseph Mertens.
Christophe Pétin acquiesce : « un bon employé va coûter à l’entreprise autour de 3 500 € par mois, toutes charges comprises. C’est légitime, mais bien loin de ce que s’autorisent certains paysans pour eux-mêmes ».
D’autres tempèrent : « tout est question de système », estime Dom Gentet. « Je connais plusieurs fermes qui ont 20 laitières, transforment l’intégralité du lait et arrivent à faire vivre plusieurs associés et salariés tout en prenant un week-end sur deux ou trois ».
Des agriculteurs frileux avec les embauches ?
S’il est difficile d’embaucher sans rentabilité, d’autres estiment que le fait que les éleveurs ne soient pas coutumiers du salariat n’aide pas. « En général, quand un agriculteur dégage plus de bénéfices, son premier réflexe n’est pas d’embaucher pour bosser moins, mais plutôt d’investir pour travailler plus vite, plus large, plus gros… Et au final trouver qu’il ne gagne plus assez pour rembourser ses nouveaux investissements… C’est le cercle vicieux et ça finit par voter CR ! » lance Robin Vergonjeanne, éleveur de Charolaises.
Pour Vincent Delargilliere, embaucher n’est pas qu’une question pécuniaire. « Gérer du personnel, ce n’est pas qu’une histoire de moyens. Il faut savoir gérer et ça n’est pas donné à tout le monde ». « On met souvent en avant les difficultés à recruter, le manque d’attractivité du métier, mais il y a aussi un manque de compétences managériales des éleveurs », expliquait Emmanuel Beguin, en charge de l’attractivité des métiers à l’Institut de l’élevage.
Les éleveurs en décalage avec la société ?
Sur les réseaux, le débat autour du temps de travail oppose même les agriculteurs et les non-agriculteurs. Et pour certains, l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs. « Quand on est à son compte, on ne compte pas ses heures », lance Hervé Bernier. « L’agriculteur a toujours l’habitude de se plaindre et de se croire le seul à travailler », alpague Henri Gaud sur Facebook avant d’ajouter : « dans toutes les mégalopoles européennes, 8 h de présence au boulot, 3 h de transport, 5 jours par semaine, on n’est pas loin des 70 h ».
Un point de vue qui attire la foudre des éleveurs. Romain Giraul lui reproche de gonfler les chiffres. « 3 h de transport par jour, c’est vraiment un cas extrême loin d’être représentatif », ironise l’agriculteur. « Chez moi, on est à 72 h sans compter ni transport. Sans parler des congés, des RTT, congés payés, comités d’entreprise… »
Mais la question n’est peut-être pas de savoir qui travaille le plus, mais qui est le plus épanoui, conclut Alexandre Bremond : « La future génération veut évoluer et je pense que sur l’organisation du travail ça ne peut pas faire de mal ! Je peux comprendre que pour ceux qui sont seuls sur une exploitation, c’est compliqué. Mais si vous ne vous organisez pas pour avoir du temps en famille et prendre un peu de bon temps, vous perdez tout… On ne vit qu’une seule fois ».
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