
Sur les hauts plateaux du massif jurassien, Laure et Sébastien Damnon gèrent une exploitation en lait AOP comté, morbier et mont-d’or. La révision des cahiers des charges conforte leur système, simple et efficace.
À dix kilomètres de Pontarlier, près de la frontière suisse, Sébastien et Laure Damnon produisent du lait cru AOP comté, morbier et mont-d’or et autres spécialités jurassiennes. L’exploitation, gérée dans le cadre d’un Gaec entre époux, dispose d’une « productivité » (droit à produire autorisé par la filière) de 4 600 litres de lait par hectare, soit 368 000 litres par an.


Le lait est produit selon des règles précises avec une alimentation à base d’herbe, de foin, de regain sans OGM. L’affouragement en vert est restreint, le robot de traite interdit. Ces exigences seront renforcées dès la saison prochaine. Une révision des cahiers des charges AOP comté, morbier et mont-d’or, a en effet été validée par l’Inao fin novembre. Les conditions de production en matière d’autonomie, de fertilisation, de bien-être animal et de qualité des produits seront renforcées. L’évolution de la taille des ateliers sera ainsi limitée à 1,2 million de litres de lait par exploitation, et à 50 vaches par UMO (45 pour le second associé dans les sociétés).
Préserver la taille humaine des exploitations
Certains points, comme les conditions de tarissement, ont été précisés : quinze jours avant terme, les taries devront ainsi encore être au champ. « L’objectif collectif de nos filières est de préserver la taille humaine de nos exploitations ainsi que la qualité de notre environnement, les eaux des rivières en particulier, pointe Sébastien. Le consommateur doit être rassuré, et les attaques concernant nos impacts sur l’environnement évitées. On n’a pas le choix. On est surveillés en permanence par les portables de tous ceux qui sillonnent nos campagnes. »


Contraignantes, les règles sont aussi les garantes de la qualité des fromages et donc de la valeur ajoutée répartie sur tous les maillons de la filière (éleveurs, transformateurs, affineurs). Celle-ci s’appuie sur un système de régulation de l’offre (RRO) qui permet d’ajuster les volumes de lait et de fromages produits à l’évolution des marchés. « Après une baisse en 2023, les ventes sont plutôt bien reparties sur tous les segments de marché, observe l’éleveur, administrateur du Comité interprofessionnel de gestion du comté (CIGC), depuis juin 2024.
La délocalisation du site, une étape importante
Installé initialement dans le village de Bugny, le couple a délocalisé en 2016 son site au milieu des prairies. Cette décision a constitué une étape essentielle dans l’évolution de l’exploitation. L’étable entravée a alors été remplacée par une stabulation libre à logettes, équipée d’un séchage en vrac. Implanté près des pâtures et des 6 ha de prairies de fauche, le nouveau bâtiment abrite les 54 vaches et les génisses, soit 120 bêtes. La recherche de la simplicité, de l’efficacité dans le travail et du confort des animaux a guidé les choix d’aménagement de la stabulation.

À la belle saison, les animaux sortent du bâtiment et y rentrent à leur guise. Dans la grange, l’autochargeuse entre d’un côté, et sort de l’autre. L’hiver, pas besoin de tracteur. Le fourrage est repris à la griffe et déposé dans les mangeoires. Télescopique, l’outil sert aussi à manipuler et à stocker les balles rondes (250 réalisées avec le matériel de la Cuma) sur le plancher au-dessus des vaches. Le matin, avec une seule personne à la traite, deux heures suffisent pour soigner le troupeau (de 5 h 45 à 7 h 45). Le soir, le travail commence à 16 h 30 et finit à 18 h 15. 80 % des vêlages sont groupés sur deux mois, entre le 20 août et le 20 octobre. « Il n’y a pas de naissances pendant les foins. Entre mai et le 20 août, je suis seul au bâtiment où je ne fais que la traite », indique Sébastien Damnon.
De bons fourrages malgré une année 2024 compliquée
Cet hiver, le bâtiment est plein à craquer avec des balles rondes stockées partout au-dessus des vaches et le long du couloir d’alimentation. Malgré les conditions climatiques compliquées, les éleveurs ont pu faire du fourrage de qualité grâce au séchage en grange. « Il fallait oser faucher, on était tout le temps sur la météo qui n’était pas claire », relate Laure. Alimentés par des panneaux solaires d’une puissance de 36 kWc, les trois ventilateurs ont tourné à plein. « On a fauché 4-5 ha à la fois à partir de l’Ascension, le 9 mai, précise son époux. Les premières autochargeuses ont été rentrées deux jours plus tard. Les premiers regains, démarrés le 25 juin, ont été finis le 28 août (3e coupe).

Globalement, 46 ha de foin et 30 ha de regain ont été rentrés. Pour la première fois, nous avons fait du regain avant de terminer les foins, le 9 juillet ! On a privilégié la bonne herbe. Grâce à notre parcellaire groupé, nous ne perdons pas de temps sur la route. En un après-midi, nous pouvons rentrer 36 autochargeuses d’une capacité de 55 m3. Mon fils andaine, un jeune du village aide et mon père conduit l’autochargeuse. »
Les éleveurs sont rassurés d’avoir, cet hiver, du bon foin pour leurs animaux. En lait AOP, le fourrage sec constitue en effet la base de l’alimentation du troupeau et détermine le niveau de performances technico-économiques ainsi que la santé des bovins. L’hiver, la ration se compose de 12 kg de foin, 6 kg de regain, et de 1 à 6,5 kg de concentré par vache selon leur niveau de production. Le concentré acheté à l’extérieur (16 % de MAT) est distribué deux fois par jour en salle de traite, une TPA 2 x 8 équipée d’un système d’identification des animaux à partir des boucles d’oreilles.


Si les astreintes ont été réduites au maximum, les éleveurs continuent à passer beaucoup de temps avec leurs animaux. « C’est notre gagne-pain, soulignent-ils. Leur bien-être est notre priorité. On les rentre dès qu’il pleut beaucoup et quand il fait trop chaud. » Lors du printemps pluvieux 2023, la mise à l’herbe a été difficile. Sorties le 29 avril, d’abord sur dix hectares avec déplacement du fil matin et soir, les vaches abîmaient les terrains. « Elles ont dû être rentrées deux fois en mai. Heureusement, un chemin que nous avons aménagé sur les cailloux dessert les parcelles de deux hectares chacune. Il est indispensable pour les pattes des vaches, la qualité du lait et le confort des animaux. » Les vaches ont été rentrées tardivement cet automne, le 11 novembre. Dix jours plus tard, il neigeait.
Désormais bien calé, l’outil de production repose sur un challenge économique que Sébastien et Laure se sont donné il y a huit ans. L’investissement pour le bâtiment (850 000 €) avait été raisonné pour qu’il soit payé avant que les deux enfants (actuellement en seconde et en troisième) n’arrivent en études supérieures.
Un bâtiment remboursé en dix ans
Après plusieurs renégociations avec la banque pour revoir les taux (de + 2 % à 1,5 %) et profiter de leur baisse, la durée d’emprunt a été fixée à dix ans seulement, contre quinze à vingt ans habituellement. « Payer le bâtiment aussi vite constituait un pari. Nous l’avons relevé. La banque qui y croyait à peine avait rajouté une clause au cas où il faudrait rallonger la durée de remboursement.

Nos grosses annuités s’arrêteront en juin 2025 : de 82 000 € par an, nous passerons à 37 000 €. Nous aurons alors les coudées franches pour investir dans d’autres projets, préparer la retraite encore lointaine en achetant un, voire deux, appartements. » Une perspective qui donne à Laure et Sébastien, respectivement 37 et 41 ans, une grande sérénité. Un seul bémol : le loup qui rode autour de l’exploitation et qui, dans le massif jurassien, s’attaque depuis 2022 aux bovins.
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