Afin de tirer parti de leur petite surface, Julien et Benjamin Herran misent sur un système intensif raisonné, où l’herbe a trouvé sa place à côté du maïs. Et avec d’autres éleveurs, ils ont pris en main la valorisation de leur lait.
À Gardères, dans les Hautes-Pyrénées, le maïs donne d’excellents rendements grâce à un climat humide et des terres noires fertiles. « Sans avoir à irriguer, nous obtenons entre 18 et 22 t/ha de matière sèche en ensilage et 110 à 140 q/ha en grain. C’est un atout. Mais en contrepartie, la pression foncière reste très forte dans cette zone, ce qui limite les surfaces. Quand je me suis installé en 2007, mon père avait 35 ha. Nous avons réussi à monter par étapes à 49 ha. Et il a fallu attendre l’installation de mon frère Benjamin en 2020 pour récupérer 12 ha de plus », raconte Julien Herran.

Associés au sein du Gaec La Primavèra, les deux frères élèvent aujourd’hui 60 laitières sur 61 ha de surface fourragère. Le maïs ne fournit plus que la moitié de la ration à côté de l’herbe. « Mon père avait misé sur la génétique et produisait plus de 11 000 l/VL. Mais la ration d’ensilage de maïs, de luzerne déshydratée et de concentré de production coûtait trop cher », note Julien.
Après avoir découvert des systèmes tout foin productifs au Canada au début de sa carrière, il a décidé d’introduire des prairies dans l’assolement afin de mieux maîtriser les coûts. La productivité a baissé d’un cran avec des vaches autour de 10 000 l/VL, mais les achats d’aliments ont été réduits de façon plus marquée encore ce qui a permis de regagner de la marge économique.
Une luzerne bien implantée
Avant de semer le maïs ensilage, les deux frères enrubannent du ray-grass italien cultivé en dérobée. Afin d’améliorer l’autonomie protéique ils misent sur la luzerne sans se laisser arrêter par le pH acide de leurs sols, proche de 5,5. « Nous avons d’abord essayé sur 2,5 ha. En apportant 1 t/ha de chaux à l’implantation, la luzerne a très bien poussé. Aujourd’hui nous en cultivons 10 ha, sur lesquels nous faisons cinq ou six coupes », précise Benjamin.

Autour de la stabulation, les laitières pâturent sur 7 ha de prairies temporaires associant ray-grass et trèfles. La mise à l’herbe se fait tôt, fin février ou début mars, avec un chargement élevé et une rotation rapide. « Nous avons clôturé quatorze blocs de 50 ares, redivisés au fil en deux ou trois morceaux sur lesquels les vaches ne restent qu’une demi-journée. Elles ont ainsi tout le temps de l’herbe jeune, appétente et riche en protéines », souligne Julien.
Utiliser au maximum le pâturage
La ration hivernale, calée sur 32,9 l/j/VL en 2023, comprenait en matière sèche 10,5 kg d’ensilage de maïs, 1,9 kg de maïs grain humide, 3,3 kg d’enrubannage de ray-grass, 3,8 kg de foin de luzerne, 2,9 kg de correcteur azoté, 350 g de graine de soja crue, 270 g de graines de lin, 600 g de mélasse et 470 g de minéraux. « C’est la saison où la ration nous revient le plus cher mais nous ne la distribuons que trois mois, de mi-novembre à mi-février », continue-t-il.

Au printemps et à l’automne, les vaches pâturent le jour sur des parcs proches de la stabulation et la nuit sur d’autres plus éloignés. « À ces deux saisons, nous diminuons tous les ingrédients de la ration sauf le foin, afin de conserver un niveau de fibres qui équilibre l’herbe jeune pâturée », précise Julien. L’été, les vaches ne sortent que la nuit car il fait trop chaud dans la journée. « À 40°C, elles préfèrent rester à l’ombre dans la stabulation, où nous avons installé un brumisateur et des ventilateurs », observe-t-il. Il faut alors remonter la ration distribuée.
Avec plus de fibres longues, celle-ci est moins acidogène, ce qui contribue à l’amélioration de la fertilité. Les mammites, très fréquentes il y a quinze ans, sont devenues rares. « Nous passions notre temps à donner des antibiotiques. En 2009, nous avons construit une stabulation équipée de logettes paillées. Depuis, nous ne jetons quasiment plus de lait », note-t-il. Pour éviter les problèmes de reproduction, Julien et Benjamin misent sur la prévention et veillent à ce que les vaches soient en état mais sans excès avant le vélage. Ils ont également recours à l’homéopathie.

« Nous avons divisé les frais vétérinaires par deux. Et nos vaches, en meilleure santé, ont gagné en longévité », soulignent-ils. Avec une moyenne de 3,3 lactations par vache, une production de 13,5 l de lait par jour de vie et une note globale au pointage de 85, ils ont ainsi été sélectionnés en 2023 parmi les dix maîtres éleveurs de prim’holstein au niveau national. « C’est une reconnaissance d’un savoir-faire familial », note Julien.

Sécuriser pour garder de la marge de manœuvre
Afin de conforter leur marge économique, les deux frères continuent à explorer de nouvelles voies. En 2021, ils ont introduit du soja dans leur assolement. « Cet hiver, nous en distribuons 1 kg/j/VL sous forme de graines crues broyées. À cette dose, les vaches le digèrent bien sans qu’il soit nécessaire de le toaster. Nous avons ainsi diminué le correcteur azoté de 400 g/j/VL », précise-t-il. « Le reste du soja est trituré par notre coopérative, Euralis, et les tourteaux réintégrés dans notre correcteur azoté », ajoute Benjamin. Ces deux leviers permettent de réduire le coût de la ration hivernale de 9 %.
Côté reproduction, l’intervalle entre vélages est supérieur à 400 jours. Depuis cinq ans, ils testent le croisement pour conserver la génétique d’excellentes laitières qui ont du mal à se reproduire. « Nous en avons inséminé quelques unes avec des doses de taureaux bruns, jersiais et normands. Pour l’instant le résultat est très positif. Ces croisées produisent autant de lait, avec un intervalle entre vélages proche de 365 j », note Julien. Plus rustiques, elles supportent également mieux les fortes chaleurs. « Ce sera peut-être une solution pour s’adapter au réchauffement », analyse-t-il.

Afin de pallier les difficultés du pâturage l’été, les deux frères viennent d’acheter une faucheuse autochargeuse. « Nous pourrons ainsi distribuer de l’herbe fraîche aux vaches lorsqu’il fait trop chaud pour qu’elles sortent dans la journée. Cela évitera d’avoir à remonter trop le correcteur azoté », constate encore Julien. D’occasion, cet outil leur a coûté seulement 4 500 €. Et de continuer : « Il y a du travail pour le remettre en état. Mais notre surface est trop petite pour que nous puissions amortir du matériel neuf. Nous achetons tout d’occasion y compris les tracteurs, afin de limiter nos annuités. »
Un projet photovoltaïque en attente de financement
Dans le même objectif, le Gaec n’a pas voulu investir dans une mélangeuse afin de ne pas bloquer un tracteur. « Pour notre désileuse, un vieux tracteur de 55 ch suffit », note Julien. Mais cela leur impose de distribuer séparément les ingrédients, en trois fois pour le foin et en deux pour l’ensilage. Il leur faut quatre à cinq heures par jour pour alimenter tous les animaux. « Nous en profitons pour les surveiller de près, ce n’est pas du temps perdu. Mais nous devons préparer l’avenir en simplifiant le travail, afin d’arriver à tout faire à deux lorsque notre père, qui est pour l’instant salarié à mi-temps sur l’exploitation, ne pourra plus nous aider », relève Julien.


Les laitières sont logées dans la stabulation et les génisses, les taries et les veaux dans d’anciennes étables, ce qui complique aussi le travail. En 2019, les deux frères ont décidé d’investir dans un bâtiment de 2000 m² pour regrouper le troupeau, installer un séchage en grange et une fumière couverte. Ce projet photovoltaïque devait être financé sans problème grâce à la vente d’électricité. Mais les obstacles se sont accumulés avec le Covid, qui a ralenti l’obtention du permis de construire, puis la hausse des coûts suivie de celle des taux d’intérêt, qui ont grimpé à 5 %.

Aujourd’hui leur banque refuse de les suivre, jugeant cet investissement de 1,2 million d’euros, panneaux compris, trop important pour leur petite exploitation. « Nous avons obtenu une aide de 10 % du conseil régional, que nous devons utiliser avant fin 2024 si nous ne voulons pas la perdre. Nous n’y arriverons pas ! La qualité de notre travail est reconnue, mais quand il s’agit d’investir pour aller dans le sens des attentes sociétales, nous ne sommes pas soutenus. Si cela continue, il n’y aura bientôt plus de producteurs de lait dans notre département », déplorent les deux frères. Il n’est pas question pour autant de baisser les bras. « En 2023, nous avons récupéré 21 ha sur lesquels nous produisons du maïs grain destiné à la vente. Cela va conforter encore nos capacités de remboursement. Sur cette base, nous allons démarcher d’autres banques », concluent-ils ensemble.
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