
En vue de l’arrivée de son fils Simon, François Normand construit un roto de traite de 28 stalles. L’investissement de 590 000 € sera rentabilisé par l’attribution de 600 000 litres de La Prospérité Fermière.
Il serait temps que les travaux pour la mise en route du roto de traite de 28 places s’achèvent. Jusqu’en octobre, François Normand, éleveur à Surques (Pas-de-Calais), son salarié ou son apprentie consacraient matin et soir 2 h 30 à la traite des 75 à 80 vaches, nettoyage de la salle de traite 2 x 6 postes inclus. Depuis le mois de novembre, il leur faut au moins 30 minutes de plus pour les dix laitières supplémentaires.
François réfléchit à ce projet depuis 2020. Le départ de son associé du Gaec l’année précédente et la dissolution qui en a découlé l’obligent alors à repenser l’organisation de l’exploitation. Même s’il est désormais seul aux commandes, il sait qu’il ne réduira pas la voilure laitière. Il préfère agrandir le troupeau laitier pour financer le remplacement de l’équipement de traite qui arrive au bout du rouleau après trente années de service. « Si je ne propose pas de meilleures conditions de traite, le risque à moyen terme est que le salarié quitte l’exploitation », estime l’éleveur. « À 49 ans, j’aspire moi aussi à plus de confort », sourit-il.
59 logettes en plus sans extension de bâtiment
Ce projet est également plus en phase avec son profil de producteur. Pour éviter le dépassement de référence, il contractualise régulièrement avec La Prospérité Fermière, coopérative dont il est administrateur, entre 12 000 et 35 000 litres de volumes C payés au prix beurre-poudre. « J’appartiens à la génération des éleveurs bridés du nord de la France, faute de volumes disponibles », plaisante-t-il. Installé en 2001 en Gaec avec ses beaux-parents sur 400 000 litres, il les a progressivement augmentés au fil des années avec son ex-associé (+ 260 000 l) pour atteindre 756 660 litres contractuels après la dissolution du Gaec.
« Pour réduire le temps de traite, mon idée était de construire un “roto” de 22 places. » Sans projet encore bien défini, il démarre doucement en 2020 par l’extension de silos qui avaient besoin d’être rénovés. Il accélère en 2022 par la refonte de la stabulation laitière. Elle est transformée en trois rangées de logettes, au lieu de deux, avec l’ajout de 40 places. 19 autres ont été posées cette année pour atteindre les 139 logettes. « Lorsque La Prospérité Fermière a supprimé, en 2022, les volumes additionnels annuels B et C pour attribuer à l’ensemble des adhérents des volumes “en dur” A, je me suis aussitôt manifesté. Jusqu’à présent, les attributions de A étaient aux seuls jeunes en cours d’installation et aux petits producteurs. » Il dépose un dossier pour 250 000 l de référence supplémentaires. Il n’est pas seul dans ce cas. La Prospérité Fermière a distribué cette année 32 Ml de volumes A à 81 coopérateurs qui, comme François, demandaient chaque année des volumes additionnels. Elle a choisi ce mode de dynamisation pour contrecarrer le recul de sa collecte (20 Ml en moins entre 2020 et 2022).
« C’était compter sans mon fils », reprend François Normand. À 18 ans et en première année de BTS ACSE, Simon lui déclare son intention de le rejoindre au sein d’un Gaec une fois ses études achevées. « Grâce à l’attribution JA de 350 000 litres par La Prospérité Fermière, le volume contractuel atteindra 1,35 Ml. Simon et moi avons donc décidé d’investir directement dans un roto de traite de 27 postes intérieurs, plus un passage qui occupera une place. » L’investissement est chiffré à 590 000 € : 300 000 € pour le roto de traite et 290 000 € pour le bâtiment. L’ensemble sera perpendiculaire au pignon de la stabulation laitière. « Cela représente 56 000 € d’annuités durant quinze ans. Certes, 15 000 € d’annuités arriveront à échéance en 2025, mais le futur Gaec devra dégager un EBE suffisant pour assurer le remboursement des parts sociales de Simon qui rentrera dans la structure à hauteur de 50 %. De même, il faut garder une marge d’endettement pour une éventuelle reprise de foncier si une opportunité se présente, et bien sûr prévoir nos prélèvements privés estimés à 52 000 € au total par an », calcule François.
Autofinancement hormis pour le système de traite
Les futurs associés ont volontairement demandé une simulation économique drastique à l’AFA 62, le centre de gestion de l’exploitation. Elle les conforte dans leur stratégie. « Avec 1,25 Ml livrés et 350 €/1 000 l de prix du lait, la capacité d’autofinancement reste positive de 15 000 € à 20 000 € selon les années. Cela ne passe pas à 300 €/1 000 l, où elle est négative », détaille Simon.
Plutôt que bâtir une nouvelle stabulation pour le quasi-doublement du troupeau, François Normand a choisi la prudence en réaménageant l’existant. Il la pousse même jusqu’à autofinancer les équipements d’élevage achetés d’occasion et les travaux, hormis ceux relatifs au roto de traite, pour limiter les remboursements bancaires engendrés par l’agrandissement. Il évalue le montant de l’autofinancement à 67 000 € répartis sur 2022 et 2023. « À cela, il faut ajouter l’autofinancement des engrais et des pesticides pour la campagne culturale 2023-2024. Il y aura très probablement aussi à autofinancer des imprévus, inhérents à tout investissement d’ampleur. »


L’éleveur s’appuie sur l’excédent brut d’exploitation exceptionnel de 222 000 € obtenu en 2022-2023. Celui de 2023-2024 devrait être du même acabit. Les rendements en céréales cet été sont restés dans la moyenne haute de l’exploitation (85 q/ha en blé et 90 q/ha en escourgeon). Ceux des betteraves sucrières ont fait un bond de 19 t/ha (85 t/ha à 42 €/t) et le prix du lait progresse encore de 42 €/1 000 l sur l‘année civile 2023 (361 € en 2021, 448 € en 2022 et 490 € estimés en 2023). Ces deux années de conjoncture favorable sont une bonne nouvelle pour la trésorerie mise à mal par la dissolution du Gaec en 2019.
Devis non signé mais respecté
Cela n’empêche pas François de la suivre de très près. L’inflation sur le prix des matériaux complique la construction du bloc de traite. « L’entreprise de maçonnerie n’a pas voulu signer le devis établi l’an passé, que nous avons bien détaillé. Elle s’est engagée oralement à le respecter. En amont, elle a bloqué le prix du béton avec son fournisseur. Je vérifie au fur et à mesure. Pour l’instant, elle tient parole. » En revanche, pour le roto de traite, l’éleveur a pris soin de signer un devis au montant bloqué. L’ouverture de crédit plafonnée à 40 000 € et un emprunt court terme de 108 000 € pour payer la TVA liée aux travaux l’aident à gérer les flux financiers. « Un tel projet est palpitant et stressant. Je suis à la fois maître d’œuvre et maître d’ouvrage. Je dois penser à tout dans les moindres détails. » L’éleveur confie être parfois submergé de travail, ce qui peut occasionner des « bugs » au quotidien.
Malgré l’augmentation du troupeau à 100 vaches dès ce mois-ci et à 135 vaches d’ici deux à trois ans, François et Simon n’ont pas l’intention de chambouler le système de production. Ils veulent maintenir le niveau d’étable à 9 500 kg/vache par la complémentarité herbe pâturée ou ensilée et maïs ensilage. Ils s’appuient sur l’organisme Seenorest et le Geda du Haut-Pays pour accroître les performances technico-économiques. « Les 35 ha de prairies permanentes ne seront pas retournées car elles ne sont pas cultivables. Cette année, de 70 à 80 laitières ont pâturé 19 ha de mars à octobre. Les 5 autres hectares accessibles et le pâturage sans débrayage de paddocks absorberont le troupeau plus grand. Faire pâturer 135 vaches ne nous fait pas peur. » Il suffira de prolonger un chouïa de plus les efforts de renforcement de chemins (500 m déjà faits) et de paddocks (actuellement 30 paddocks de 50 à 70 ares).
Conserver l’autonomie en paille
Le futur Gaec souhaite également poursuivre la démarche de La Prospérité Fermière (voir l’encadré ci-dessous) (170 jours de pâturage et 15 ares pâturés par laitière, 17 €/1 000 l de prime). Il compte sur l’achat de quelques hectares de maïs sur pied et sur la location de surfaces annuelles dites de « vente d’herbe » pour assurer les besoins en ensilages et enrubannages croissants. « Nous ne réduirons pas les céréales au profit du maïs ensilage pour préserver notre autonomie en paille », complète Simon.

Le recours à la totalité du droit « pulpes de betteraves surpressées » (150 tonnes utilisées en 2024 sur un droit de 300 t) et l’achat du maïs sur pied (1 500 €/ha) consolideront l’affouragement.
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