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Coup de gueule« Les éleveurs bovins ne doivent plus être les bénévoles de l’alimentation »

L'éleveur bourguignon espère une revalorisation des revenus agricoles. (© M. Haugoubart)
L'éleveur bourguignon espère une revalorisation des revenus agricoles. (© M. Haugoubart)

Éleveur dans la Nièvre, Mathieu Haugoubart s'exprime dans une tribune. L'agriculteur de 29 ans réclame une véritable prise en compte des coûts de production en élevage. L'enjeu ? La survie de la filière allaitante française.

« J’ai repris la ferme de mon père, décédé lorsque j’avais 17 ans. Encore au lycée, je me suis installé l’année suivante avec mon épouse. J’ai dû régler 70 000 € de frais de succession pour m’installer avec 45 vaches Blondes d'Aquitaine, 70 brebis et une centaine d’hectares. Bien-sûr il a fallu investir un peu dans la génétique ; rien d’extravagant. Mais quand je vois le revenu et la qualité de vie que j’ai au bout de dix ans, ça fait réfléchir. Je tire entre 300 et 400 € de la ferme chaque mois pour 60 heures de travail par semaine et par personne. Au-delà de mon cas particulier, je voudrais tirer la sonnette d'alarme au nom de tous mes collègues éleveurs. Regardez autour de vous, vos comptables, vos techniciens, vos coopératives, votre marchand de matériel… Qui est prêt aujourd’hui à travailler et investir pour du quasi bénévolat ? Comment vont faire ceux qui vont prendre leur retraite ? Qu’auront-ils pour le travail d'une vie voire de plusieurs générations ?

L'agriculture, c'est le seul domaine où l'on peut vendre à perte !

L'agriculture, c'est le seul domaine où l'on a le droit de vendre à perte. Actuellement, le cours de la vache R= est à 5,30 € le kilo de carcasse, alors que l'indicateur de coût de production (intégrant 2 Smic/UMO) affiché par Interbev au dernier semestre est à 6,12 € le kilo de carcasse ! Sur un bovin de 450 kg carcasse, cela représente un manque à gagner de 370 €, je laisse les éleveurs faire le calcul pour une U+ de 600 kg ! D'autant que tous les éleveurs ne sont pas au coût de production moyen. Pour ma part, j'estime que je devrais vendre mes broutards de 350 kg conformation U = entre 5 et 6 € le kilo si je voulais gagner un SMIC (c'est 1 à 2 € de plus que le coût de production moyen affiché par Interbev à 4,05 €).

Pour une reconnaissance du coût de production

Nous n’avons plus de marge de manœuvre. On a tous fait des économies sur le matériel, la plupart des éleveurs sont en Cuma. Les investissements sur les exploitations sont plus que rares et relèvent généralement de l’impondérable. Les services, assurances et toutes autres prestations extérieures sont restreintes au minimum. Récemment, j’ai augmenté mes surfaces en céréales pour pratiquer davantage d’autoconsommation, mais après ça, je n’ai plus aucune marge de manœuvre. Il faut un prix qui paye. Tant qu’il n’y aura pas de reconnaissance du coût de production, c’est voué à l’échec.

Et encore, je parle d'un coût de production au rabais. Je n’ose même pas imaginer ce qu’il serait si l’on intégrait tous les standards de la vie réelle. Aucune industrie ne fonctionne comme la nôtre : pas de maçon, pas de mécano, les éleveurs font tout eux-mêmes car sans ça, c’est tout bonnement impossible ! Combien d’agriculteurs vivent grâce au salaire de leur épouse, ou au bénévolat – car c’est du bénévolat – des parents qui viennent travailler sur la ferme sans salaire !

La rémunération, c’est le nerf de la guerre. Les agriculteurs n’arrêtent pas à cause de l’agribashing ou des réglementations, mais à cause de la rentabilité. Beaucoup d’éleveurs le sont par passion, mais si l’on ne peut plus se payer, la passion s’arrête.

Aujourd’hui, on nous propose des solutions autour du solaire, de la méthanisation pour pérenniser les exploitations, mais le problème de base c’est que l’élevage ne paye pas. Ce ne sont que des subterfuges pour maintenir les éleveurs et l'industrie en place à coup de projets subventionnés, sans que l’élevage ne les fasse vraiment vivre.

Les industriels veulent des contrats sans mettre le prix en face

L’interprofession nous propose la contractualisation comme la solution pour faire face à la décapitalisation, mais personne n’est capable de nous proposer des prix en face. Et le plus paradoxal, c'est que les acheteurs et les représentants de l'interprofession sont souvent les mêmes personnes ! Les industriels voudraient savoir quel type de produit sera disponible, à quelle date, à quel endroit et pour quel prix… Mais sans aligner les billes derrière.  

Aujourd’hui, non seulement les gens ne veulent plus s’installer, mais les dossiers ne passent plus à la banque. Les banquiers voient bien que la rémunération du capital n’est pas à la hauteur des investissements. Pas besoin d'aides ou de subvention. Il est urgent que les industriels diminuent leurs marges pour restituer aux éleveurs les revenus du fruit de leur travail ! Et que les consommateurs payent aussi moins cher leur alimentation car oui l’industriel s'engraisse sur le dos de tous !

Je parle de la viande bovine mais la situation est la même en lait, porc, volaille, lapin etc. Nous éleveurs devons nous unir devant ce système qui exploite les agriculteurs où qu'ils se trouvent sur la planète ! Car l’agriculture est un beau métier, indispensable sur Terre. Nous nourrissons le Monde ! »

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