En passant un peu trop vite sur cette petite route de campagne, on pourrait croire à une hallucination mais non : ce sont bien des chameaux qu'on aperçoit dans cette ferme située à quelques kilomètres de Maubeuge dans le Nord.
Spécialisé dans le négoce et le transfert d’animaux inter-zoo et pour les animaleries, Julien Job a toujours été passionné par les animaux « exotiques » et peu courants. En 2015 après avoir transporté une vingtaine de chameaux pour un zoo, Julien garde chez lui une femelle blessée lors du transport pour la soigner. Jalna n'a jamais quitté le petit village de Feignies et ce fut la première du troupeau aujourd'hui constitué de 80 camélidés.
Les chameaux sont vus comme des animaux de cirque ou de zoo, mais ils méritent d'être connus pour autre chose.
Du tourisme à la production laitière
Julien propose depuis 5 ans des balades à dos de chameaux l'été, mais il a eu envie d'aller plus loin dans la valorisation de ses animaux il y a 2 ans avec la production laitière. Il a alors intégré le projet européen Camel milk de développement de la filière ce qui lui a permis d'obtenir en juin 2022 son agrément pour la production et la transformation de lait de chamelle, une première en France.
En filière lait de chamelle, il n'y a pas de valorisation des réformes (car pas d'abattoir) et pas de valorisation des mâles, donc le tourisme et le production laitière sont assez complémentaires.
« Le chameau n'est pas reconnu comme animal de production donc il n'y a aucune industrialisation autour. Il n'y a pas de sélection génétique, il n'y a pas de matériel spécifique et il n'y a personne sur qui je peux m'appuyer... On démarre avec des animaux qui sont dans leur jus et on s'adapte. » Et en effet Julien s'est adapté : il s'est équipé de deux bâtiments tunnel, a créé une salle de traite dans l'un deux avec des cages de contention pour bovins et s'est équipé de pots trayeurs ce qui lui permet de traire deux chamelles en même temps.
Pour le laboratoire, il a opté pour deux modules équipés d'un tank à lait et d'un pasteurisateur. Coût total des investissements : 250 000 € (bâtiment, achats des animaux et de fourrage, laboratoire...), dont une partie devrait être financée par les fonds européens de Camel milk.
« Au tout début que je trayais, j'avais besoin de piquer certaines chamelles à l'ocytocine pour qu'elles donnent leur lait, mais maintenant je ne le fais plus : on a trouvé le bon rythme et j'en suis content. » L'éleveur est en monotraite et parvient à traire jusqu'à 5 litres par jour et par chamelle. Une petite production certes mais qui a le mérite d'exister.
Du lait, du savon, du kéfir et bientôt des fromages
Si les taux de matière grasse et de protéines du lait de chamelle sont à peu près les mêmes que ceux du lait de vache, le lait est plus riche en vitamines C et D et en fer. Il contient de l'insuline naturelle mais pas d'allergènes. Ces propriétés en font un lait de qualité mais trop peu connu.
De par sa rareté et ses propriétés, il faut compter 15 €/litre de lait de chamelle.Dans sa laiterie, Julien Job produit du lait pasteurisé, du kéfir (lait fermenté) et des savons. Il vend principalement par internet en région parisienne, mais aussi chez des distributeurs locaux qui tentent de promouvoir le produit. « Il y a un gros travail de communication pour faire connaitre les vertus du lait de chamelle. »
Son objectif est de lancer prochainement une production de fromage. « On tâtonne car il n'y a pas de vraie recette, en tout cas pas du goût de chez nous, et il faut s'adapter aux ferments du marché. » Autre souci, le prix : environ 15 €/l pour le lait, mais bien plus pour le fromage. « Il faut qu'on arrive à valoriser le petit lait pour faire baisser le coût de production du fromage. »
Julien sait que cette production ne remplacera pas la ferme laitière française d'aujourd'hui, mais il est certain qu'elle a toute sa place : « Je trais depuis un an à peu près et je ne suis pas agriculteur de métier, mais je suis convaincu que cela peut devenir une diversification intéressante dans une ferme "classique". Notamment pour créer une attraction supplémentaire chez ceux qui font du circuit court et des visites. »
Pour 20 chamelles traites, 80 animaux au total
La productivité des chamelles est bien moindre que celle des vaches et l'élevage est aussi différent : « Pour 20 chamelles laitières, il me faut 80 animaux. » Julien détaille : « Chez ces animaux, les chaleurs sont induites, c'est-à-dire que le mâle saillit la femelle de force. La gestation dure 13 mois et la chamelle ne donne du lait que lorsqu'elle allaite son petit, c'est-à-dire pendant 1 an. Tant qu'elle produit du lait, elle ne peut pas être de nouveau saillie, mais quand elle est gestante elle ne produit pas de lait. »
À la Camélerie, il y a donc : 20 chamelles lactantes, 20 chamelles pleines, 30 à 40 jeunes (dont la carrière traite des femelles ne démarrera qu'à 3 ou 4 ans). Heureusement que ce sont des animaux à faibles besoins...
Jusqu'à présent, l'entreprise réalisait un chiffre d'affaires de 100 000 € via les balades. Julien espère doubler ce chiffre avec la production laitière. Affaire à suivre...