Fromager au pays des Incas

À la rencontre des petits éleveurs laitiers en Amérique du Sud, nous sommes à 3 800 mètres d’altitude, sur les rives du lac Titicaca. Ce matin, nous avons rendez-vous chez Luis Alfonso et Yolanda. Un chemin accidenté nous fait traverser la campagne, où quinoa, fèves, pommes de terre, orge, avoine, tout est prêt à être récolté. De-ci de-là, une femme accroupie auprès de sa vache est à la traite.

« Je ne pensais pas que vous viendriez. » Luis Alfonso ne nous a pas attendus pour traire ses deux vaches. Avec Yolanda, son épouse, ils transforment chaque jour, « sauf le dimanche », le lait d’une trentaine de producteurs, « 200 à 300 litres selon la saison » collectés lors d’une tournée matinale. L’histoire de la transformation fromagère a débuté ici en 2015, quand les relations avec la laiterie où ils livraient le lait de leurs dix vaches, 40 à 50 litres, se sont dégradées. « Ils nous traitaient mal. » Luis Alfonso se sentait capable de se lancer dans la fabrication. En 2018, la donne change quand il est victime d’un grave accident de la route. « J’ai failli être amputé. » Pour payer les soins, la majorité du troupeau est vendue et, afin de poursuivre l’activité de la fromagerie, ils embauchent un salarié. Leur propre production étant réduite à peau de chagrin, il faut collecter davantage.

Chaque matin, le premier arrêt est chez Daniel Hans, le papa de Luis Alfonso. La traite des deux vaches donnera 9 litres, notés sur un carnet puis versés dans un bidon. Ce matin, Ilaria et Eduardo sont en retard, aussi s’y mettent-ils ensemble, de part et d’autre de leur vache. Juana arrive en courant. Elle vient chercher les 20 litres de petit-lait commandés pour ses cochons, paie un sol (0,25 €). Luis Alfonso est déjà reparti.

Transformer soi-même

Il est 10 heures, la tournée est terminée. Nous rapportons 175 litres, collectés auprès de 30 producteurs. Ils sont payés toutes les deux semaines, 1,40 sol (0,35 €) le litre. Mais Luis Alfonso sait qu’il va devoir accepter de passer à 1,50 sol, soit le prix offert par la laiterie du village.

Yolanda nous attendait. Déjà, elle charge les bidons dans sa brouette pour les conduire dans ce qu’il faut bien se résigner à appeler une fromagerie. Le lait est chauffé à 30 °C avant d’être transféré dans une grande gamelle où il est emprésuré. Yolanda a débuté les navettes entre la fromagerie et la pièce voisine où, sur un poêle à bois, elle fait bouillir l’eau dont Luis Alfonso aura besoin tout au long de la matinée. Le décaillage sera suivi d’une longue séquence de brassages entrecoupée de soutirages de petit-lait, remplacé par de l’eau bouillante. La saumure, 600 grammes de sel pour 20 litres de lait. De l’eau bouillante encore. Il est 13 heures. Luis Alfonso est fatigué. Tous les deux jours, les fromages sont livrés à un grossiste qui paie cash 22 soles la pièce de 800 grammes. Sur le marché ils seront vendus 25 soles. « Je ne vends pas en direct, ça me demanderait trop de temps, et du temps je n’en ai pas beaucoup. »