La France sera-t-elle prête pour la fin des quotas, dans un an ?
Philippe Jachnik : La France a déployé la même énergie pour lutter contre la mise en place puis la disparition des quotas. En refusant d'admettre les mutations en cours, nous nageons à contre-courant. L'exemple de l'Allemagne, un pays comparable au nôtre, est intéressant. Au début des années quatre-vingt, elle a boosté sa production pour obtenir un quota maximum. Et depuis 2008, elle investit dans des vaches et des usines, au risque de payer le superprélèvement pour dépassement de quotas. Mais les éleveurs ne veulent pas ralentir cette montée en puissance permise par les prix qu'ils perçoivent. L'Irlande ou les Pays-Bas font la même chose. Pas la France. Le changement interroge tout le monde et c'est en se préparant que l'on peut affronter l'avenir avec confiance.
Pourquoi ces difficultés en France ?
P.J. : C'est une question de culture et d'histoire. Chez nos voisins, même avec les quotas, les prix fluctuaient, à la production comme dans les rayons. La France lissait le prix pour qu'il ne baisse jamais à la production. Soulignons que pendant plus de vingt-cinq ans, le prix moyen français fut inférieur à ceux d'Europe du Nord. Aujourd'hui, ce lissage ne tient plus car la France ne peut pas rester décalée du marché. Mais la volatilité des prix est une nouveauté qui effraie chez nous alors que les autres y sont préparés. Autre particularité, notre secteur laitier est peu ouvert. L'interprofession, le calcul du prix du lait, les OP... Nous avons construit un système complexe et peu clair. Les industriels voisins lorgnent sur le marché français mais ne comprennent pas son fonctionnement. De plus, nous sommes friands de produits très différents des standards mondiaux. Les concurrents ne peuvent pas se placer sur ce créneau. À l'inverse, les Français sont performants sur le haut de gamme et sur les produits subventionnés par l'UE, mais beaucoup moins sur le milieu de gamme qui constitue le gros des marchés en croissance. En Allemagne, la deuxième laiterie est le Scandinave Arla. Or, la concurrence stimule. Certains éleveurs français se demandent si l'arrivée d'un de ces intervenants ne serait pas bénéfique pour secouer le « cocotier hexagonal ».
La France doit-elle miser sur le grand export ? N'est-ce pas trop risqué ?
P.J. : La croissance est et restera importante dans les pays émergents. Quatre milliards de personnes voient leur pouvoir d'achat augmenter et s'en servent pour mieux se nourrir en consommant des protéines animales. Ce phénomène à lui seul devrait redonner confiance aux éleveurs. Bien sûr, cette croissance sera ponctuée par des crises. Elle n'offre pas la sécurité des prix garantis. Mais la grande distribution française non plus ! Si la France ne répond pas à cette demande, d'autres le feront... comme ils ont déjà commencé à le faire !
Les coopératives ont-elles la capacité de se lancer ?
P.J. : Les industriels privés français sont taillés pour le marché mondial. Mais ils fabriquent souvent sur place au détriment des exportations de lait hexagonal. Restent les coopératives. En Europe du Nord, ce sont elles qui tirent le développement des exploitations. Les éleveurs leur font confiance. Elles sont minoritaires et inspirent une certaine méfiance en France. Mais c'est par elles que passe le développement potentiel. Et le leader, Sodiaal, a une mission essentielle. Elle en a pris conscience et c'est une bonne chose. Avec d'autres, telle Laïta, la coopération est puissante en Bretagne. Reste à se mettre en « ordre de marche ». À l'échelle du monde, peu de régions bénéficient des mêmes atouts que le croissant laitier européen. Cela doit redonner confiance aux éleveurs français. Il serait dommage qu'au moins certains n'aient pas une stratégie de développement.
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