Quel est l'atout principal de la France ?
Gérard You : On pense immédiatement aux conditions agroclimatiques, avec un climat océanique dominant très propice à la production fourragère. Mais d'autres pays en Europe du Nord ont aussi ce privilège. Ensuite, le prix du foncier et sa disponibilité sont indéniablement un avantage relatif pour les éleveurs français : 6 000 €/ha contre 20 000 €/ha en Allemagne ou 55 000 €/ha aux Pays-Bas. En contrepartie, ces prix élevés imposent aux éleveurs l'efficacité et une productivité bien supérieure à celle des élevages français. Il leur faut impérativement dégager du revenu pour acheter de la terre à ce niveau de prix et nécessairement intensifier à la surface : les systèmes néerlandais sont souvent à plus de deux vaches à l'hectare. Avec 1,5 Md d'actif au bilan, lié à la valeur du foncier, ces éleveurs néerlandais, mais aussi danois ou irlandais sont en position d'offrir des garanties pour négocier leurs emprunts auprès des banques et s'autoriser des investissements importants. Ces niveaux d'actif démesurés s'accommodent aussi de modalités de transmission et d'installation des jeunes qui protègent l'unité de l'entreprise. Ainsi, quand il n'y a pas égalité de traitement des cohéritiers, le JA s'endette moins lors de la reprise.
La réglementation et les soutiens sont-ils moins favorables en France ?
G.Y. : En matière d'aides à l'investissement, nous avons regardé ce qui se passe en Allemagne. Si les montants globaux apparaissent peu différents, l'Allemagne cible davantage son soutien sur certaines exploitations alors que la France disperse plus. Ainsi, le soutien moyen par projet est cinq fois plus important en Allemagne : 75 000 € contre 15 000 €. L'avantage ainsi procuré aux exploitations pour s'agrandir et se moderniser apparaît évident. Pour les contraintes environnementales, toute l'Europe du Nord est sous pression mais le Danemark et les Pays-Bas connaissent une menace plus tangible.
Qu'en est-il de la compétitivité ?
G.Y. : Si nous nous attachons au point mort, seuil à partir duquel le prix du lait couvre toutes les charges avant la rémunération du travail, la France, avec le Grand Ouest, est bien placée (environ 300 €/1 000 l), quasi à l'identique de l'Allemagne. L'Irlande est très en dessous (200 €) et le Danemark très au-dessus (400 €). Dans ce coût de production, les systèmes français se distinguent par leur autonomie fourragère. Mais une autonomie qui peut coûter cher lorsque la mécanisation n'est pas maîtrisée et qui perd son avantage quand l'aliment devient bon marché. Enfin, l'exploitation française pêche par un volume de lait par actif inférieur à ses voisins, donc des charges moins diluées. Quant au prix du lait, les Pays-Bas, le Danemark et, dans une moindre mesure, l'Allemagne rémunèrent mieux les producteurs, conséquence de moindres frais de collecte et d'une transformation efficace.
L'organisation de la filière serait-elle notre point faible majeur ?
G.Y. : La France bénéficie d'une interprofession établie qui possède des moyens de communication et de recherche mais au pouvoir économique désormais limité. Les relations producteurs-transformateurs sont très contrastées. Les OP reposent sur un cadre réglementaire qui ne garantit pas un rééquilibrage du pouvoir. La massification de l'offre est encore trop faible. Ailleurs, le modèle coopératif apparaît plus dominant avec des livraisons non encadrées et une transmission des variations de prix rapide et intégrale. C'est la production qui pilote la filière. Certes, le marché intérieur des PGC français est captif et rémunérateur mais il ne valorise au plus que 50 % de la collecte. Au grand export, il est clair que la transformation française est en concurrence frontale avec de grandes coop d'Europe du Nord, souvent mieux armées.
PROPOS RECUEILLIS PAR DOMINIQUE GRÉMY
(1) avec : S. Bouyssière, M. Carlier, J.-M. Chaumet, S. Foray, Ch. Perrot, M. Richard et CERFrance.
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