Les exploitations françaises sont-elles prêtes à affronter l'après-quota ?
Jean-Pierre Carlier : Oui, pour celles qui ont les coûts de production les plus bas, situées dans les régions à forte densité de production. Mais ce n'est malheureusement pas le cas le plus fréquent. L'urgence, si l'on veut être compétitifs pour rivaliser avec l'Europe du Nord et l'Allemagne, est encore, pour beaucoup, d'augmenter fortement la productivité du travail. C'est pourquoi il est incontournable d'accélérer les évolutions structurelles et d'améliorer la gestion de nos ateliers laitiers. Cessons de faire peur avec des fermes de 1 000 vaches ! Même en 2020, il y en aura très peu en France. En revanche, celles autour de 300 vaches sont à encourager par un contexte favorable : des laiteries dynamiques, une administration au service des éleveurs qui veulent se développer, des banques moins frileuses, en particulier le Crédit agricole qui retrouve sa vocation d'origine d'accompagner l'installation de jeunes puis la croissance de leurs exploitations, des organisations agricoles qui abandonnent leurs postures anti-concentration des ateliers laitiers. Il est urgent de briser les blocages et tabous vis-à-vis des grands élevages, que les hommes politiques et les préfets ne soient plus tétanisés par les porteurs de pancartes nostalgiques de la marine à voile et de l'éclairage à la bougie ! Le prix du lait baisse. C'est la dernière chance pour que la France laitière se réveille afin de réussir dans une économie mondialisée.
Cette stratégie résolument économique doit s'accompagner en parallèle de mesures significatives pour faciliter financièrement la cessation d'activité laitière, en priorité en faveur des plus de 50 ans ayant de petites structures. De même, augmentons fortement les aides pour les régions de montagne. L'État, avec la Pac, et les Régions en ont les moyens.
Et notre industrie, qui a beaucoup investi pour exporter sur le marché mondial ? Et la coopération, qui a entamé des efforts de restructuration ?
J.-P. C. : Les investissements, très médiatisés, sont encore trop faibles par rapport à nos concurrents, et souvent, arrivent tardivement. Le rôle de l'industrie est décisif. C'est pourquoi il lui faut aussi un contexte positif, à savoir des pouvoirs publics qui rééquilibrent les forces concurrentielles pour que la grande distribution ne soit pas dominante et que le gouvernement cesse de privilégier a priori les coopératives, comme nous l'avons vu avec la reprise de Yoplait. Il aurait été plus porteur d'avenir pour la France laitière qu'il rejoigne Lactalis que de rester « collé » à Sodiaal, aux résultats trop faibles pour être un pôle de développement français et a fortiori européen.
L'implication des banques sera déterminante. Tout particulièrement, il est temps que le Crédit agricole participe à l'émergence, dans le Grand Ouest, d'un groupe coopératif de dimension européenne, rentable parce que bien géré. Quand on apprend que des fusions ne se font pas entre Agrial et Eurial, qu'un accord industriel « gagnant » entre les directions d'Agrial et les Maîtres laitiers du Cotentin a été refusé par le conseil d'administration d'Agrial, et que plusieurs coopératives du Grand Ouest vont chacune faire leur « petit tour » en Chine, on a le droit d'être pessimiste.
Le coup de pouce de Paris et du syndicalisme à Sodiaal, pour en faire un alter ego à Lactalis, n'est-il pas positif pour le devenir à moyen terme du prix du lait et être sûr qu'il s'exportera en Chine ?
J.-P. C. : La France a effectivement besoin d'un grand groupe coopératif à côté de Lactalis. Mais son centre géographique ne peut être que le Grand Ouest. Sodiaal a des coûts de collecte élevés dans de nombreuses régions. Il doit payer le lait en fonction de la valorisation optimale de la matière première selon les marchés, ce qu'il fait depuis toujours moins bien que Lactalis. En revanche, les grandes coopératives du nord de l'Europe savent faire.
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