Vendre son propre lait en limitant la prise de risque

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Nicolas Blanchard du Gaec la Niro, Laurent Charrier, Antoine Biteau du Gaec Les Rocs (de gauche à droite) : trois des six exploitations de la SAS Auprès des laitiers, créée il y a deux ans. (© N.Tiers)

Six fermes du bocage vendéen proches dans leurs conceptions de la production laitière, du métier d’éleveur et du respect de l’environnement, ont créé une marque pour commercialiser leur lait localement. Une étape préalable à un investissement plus lourd dans le développement d’une gamme de produits laitiers.

Elles sont six exploitations laitières de Vendée partageant des atomes crochus : toutes sont en bio et systèmes herbagers, équipées pour certaines de séchoirs en grange. Plusieurs ont adopté les races montbéliarde, normande ou jersiaise, et mis en place des démarches de valorisation locale (commercialisation du lait, transformation en fromage, vente directe d’huile, de légumes). « En échangeant entre nous, on se disait que ce serait bien de faire un projet collectif de type fruitière pour transformer et valoriser notre lait, indique Nicolas Blanchard du Gaec La Niro. Selon nous, le bon prix du lait est celui qui permet de se passer des aides. » Depuis 2016, cette ferme du Boupère travaille avec la laiterie voisine La Lémance, engagée notamment dans la filière lait de chèvre bio. Elle fait conditionner en prestation de services 50 000 litres de son lait, pour les commercialiser en vente directe sous la marque Au Lait bon. Mais l’opération est coûteuse.

Alors, le groupe d’éleveurs commande une étude de faisabilité auprès de l’École supérieure d’agricultures (ESA) d’Angers, chiffrant à quatre millions d’euros l’investissement dans un outil dimensionné pour transformer deux millions de litres de lait. « Certaines initiatives de ce type dans la région ont échoué. Nous nous sommes dit qu’il fallait commencer par développer le commerce en nous appuyant sur un outil existant, avant d’investir dans notre propre structure », déclarent Laurent Charrier, éleveur à Sèvremont, et Antoine Biteau du Gaec Les Rocs à Saint-Mesmin.

Bio et conventionnels sur la même longueur d’onde

Ils décident alors d’aller frapper à la porte de la SAS De Nous à Vous à Remouillé en Loire-Atlantique. Créée par des éleveurs de ce département et de Vendée, cette société a réhabilité une laiterie en 2016 pour lancer sa marque En Direct des éleveurs caractérisée par un emballage en poches souples. « Bien que ces producteurs soient en élevage conventionnel, nous sommes sur la même longueur d’onde concernant la maîtrise de notre produit. Et leur outil n’étant pas saturé, ils ont accepté de travailler en prestation de service pour nous. »

Les producteurs vendéens créent à leur tour leur SAS en avril 2022, pour démarrer en septembre 2023 la commercialisation de leur lait sous la marque Auprès des laitiers. « Nous avons fait appel à une agence de communication locale pour la création de la marque et de son aspect graphique » précisent les éleveurs.

Dans les poches de lait conditionnées par la SAS De Nous à Vous pour la SAS Auprès des laitiers, on trouve le lait des quatre fermes du groupe collectées par Biolait. La référence à la Vendée est un atout dans ce département attaché à son identité. (© N.Tiers)

Par ailleurs, ils élaborent une charte afin d’être clairs entre eux et vis-à-vis de l’extérieur, sur leurs valeurs et objectifs. Le premier critère commun est la production biologique. Le deuxième est l’autonomie des fermes : en fourrages, protéines, fertilisation. Autonomie décisionnelle aussi, se traduisant par la reprise en main de la commercialisation du lait. « Nous sommes 100 % autonomes pour l’alimentation de nos animaux, et si besoin, nous nous fournissons entre nous. C’est le cas pour ma paille que j’achète au Gaec Ursule », souligne Laurent Charrier, en système tout herbe avec un peu de méteil.

« Nous préparons le futur parce que nous avons le temps de le faire »

Le troisième critère est le maintien de systèmes herbagers, pâturants, bocagers, comprenant des haies voire de l’agroforesterie, dans l’objectif de préserver la biodiversité et de stocker du carbone. Le quatrième critère est humain : les six fermes emploient 20 équivalents temps plein (ETP). « Nous ne sommes pas motivés que par le revenu mais aussi par un travail soutenable », lance Laurent Charrier. « Avec quatre associés et un salarié, nous nous sommes donné les moyens de travailler un week-end sur quatre et de prendre cinq semaines de congé car la qualité de vie est une priorité », renchérit Antoine Biteau du Gaec Les Rocs. « Nous avons accueilli un troisième associé sans agrandir la ferme mais en nous diversifiant en légumes, ajoute Nicolas Blanchard du Gaec La Niro. Cela nous permet de lever la tête : nous essayons de préparer le futur parce que nous avons le temps de le faire. »

Concrètement depuis septembre dernier, le lait des quatre fermes du groupe livrant à Biolait, est collecté une fois par mois par le camion de la SAS De Nous à Vous, puis conditionné dans la matinée. Il est payé aux éleveurs par Biolait qui le revend à la SAS Auprès des laitiers. Enfin, la SAS Auprès des laitiers paie une prestation de service à la SAS De Nous à Vous. Les deux fermes du groupe collectées l’une par Agrial, l’autre par la laiterie Saint-Père (toutes deux transformateurs et non revendeurs comme Biolait), ne peuvent pour le moment envoyer de lait à Remouillé. Toutefois, ce circuit n’est que la première étape de la stratégie d’Auprès des laitiers…

Capitaliser commercialement sur la marque

L’objectif de la SAS est d’atteindre 200 000 à 300 000 litres vendus en 2024, puis entre un million et 1,5 million de litres à long terme. Sachant que la production des six fermes est de 2,5 millions de litres. « Pour la commercialisation, nous nous sommes appuyés sur le réseau développé précédemment par le Gaec La Niro avec la marque Au lait bon, expliquent les éleveurs. Nous organisons les livraisons en Vendée et dans les départements limitrophes, auprès de quatre magasins U, treize magasins du réseau Vergers de Vendée, et de grossistes développant notamment la restauration collective. La crème ôtée du lait demi-écrémé est vendue à un fabricant local de crèmes desserts. Nous ne prenons pas de risque car notre produit a une longue conservation. Notre objectif est de capitaliser commercialement sur notre marque Auprès des laitiers avant de développer une gamme de produits. »

Les éleveurs de la SAS Auprès des laitiers, gérant pour le moment eux-mêmes la logistique commerciale, projettent de recruter rapidement un salarié. Par ailleurs, ils préparent déjà la deuxième étape du projet, à savoir créer leur propre outil de transformation et développer une gamme de produits laitiers. Le premier sera le fromage car deux exploitations en possèdent le savoir-faire. La piste du fromage blanc est également évoquée car la demande existe en restauration collective. « L’objectif est de terminer nos études fin 2024 pour lancer la construction ou la rénovation d’un site existant à partir de 2025. »

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

Météo

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