À quel point jouent les prix des commodités laitières sur le prix du lait ? À l’occasion du salon de l’agriculture, nous avons échangé sur le sujet avec Jean-Marc Chaumet, agroéconomiste au Cniel.
De fait, les cours du beurre et de la poudre ont été hauts et volatils à partir de début 2021, à la fin des confinements. Ils ont continué leur progression en 2022, catalysés par la guerre en Ukraine et atteignant même « des records absolus dans certains pays », avant de redescendre « assez rapidement en Nouvelle-Zélande ou d’autres pays, moins rapidement en France, notamment pour beurre » et finalement revenir à des niveaux proches de 2021.
Quid des prix du lait ? « On peut s’attendre à qu’ils poursuivent leur recul dans un certain nombre de pays en suivant les cours des ingrédients laitiers », note Jean-Marc Chaumet. C’est déjà le cas en Nouvelle-Zélande et aux Pays-Bas, il y a un « petit frémissement » en Allemagne.
Mais « pas d’évolution extrêmement forte » en France pour l'instant. Si des prix relativement bas du beurre et de la poudre risquent de jouer sur le prix du lait français, « c’est plutôt l’issue des négociations commerciales, avec les cours des produits de grande consommation (PGC) », qui devrait déterminer son évolution dans les semaines à venir ». De fait, environ 50 % du lait français est valorisé en PGC en France, contre 30 % en beurre et en poudre.
Le prix standard du lait de vache conventionnel était de 461 €/1 000 l en décembre 2022 (+ 28 % en un an) et le prix moyen sur 2022 était de 422 €/1 000 l (+ 31 % par rapport à 2021), indique le Cniel dans son point de conjoncture mensuel. Sur le début de l’année 2023, les prix sont plutôt orientés à la baisse, soulignent des éleveurs sur Facebook.
Si une dégradation des prix du lait payé aux éleveurs s’annonce en Europe, « il devrait logiquement moins varier en France » étant donné qu’il y avait moins augmenté, écrit de son côté l’Idele dans ses dernières Tendances : « autrement dit, la loi Egalim aura-t-elle un effet cliquet qui permettrait de retarder puis d’atténuer la baisse du prix du lait ? ».
Inflation à tous les étages
Quant à la hausse des coûts, elle touche tous les maillons de la filière « depuis fin 2021, avant même la guerre en Ukraine ». Côté éleveurs, l'indice des prix d'achat des moyens de production agricole (Ipampa) pour la filière laitière a pris environ 30 % en deux ans, avec « des postes qui ont fortement augmenté, comme les engrais (x2), l’énergie (+ 50 %) ou l’alimentation (+ 40 %) ».
Côté laiteries, l’agroéconomiste rappelle la flambée des coûts de l’énergie (presque x 2 pour le gaz) et des emballages en plastique et carton (+ 20 à 30 %). L’inflation a aussi touché le maillon distribution, « à travers le coût de l’énergie mais également les salaires, qui ont augmenté ».
Ces hausses des coûts se sont répercutées sur les prix au consommateur : « entre janvier 2021 et janvier 2023, les indices de l’Insee montrent qu’ils ont augmenté 20 % pour la catégorie lait-fromages-œufs, contre 16 % pour l’alimentation en général ». La hausse est plus marquée pour le beurre, moins pour les produits ultra-frais (yaourts, fromages frais, crèmes).
Conséquence : « les achats ont repris leurs tendances baissières d’avant-Covid » pour les laits liquides et les ultrafrais, quand « les fromages et les crèmes résistent mieux et sont même en hausse par rapport aux ventes de 2019 ».
Dès lors, comment va évoluer la hausse des coûts en 2023 ? Jean-Marc Chaumet pointe plusieurs facteurs qui devraient jouer sur cette inflation : l’évolution de la guerre en Ukraine, la politique de hausse des taux d’intérêt des banques centrales, la fin de la politique zéro-Covid en Chine, qui pourrait s’accompagner d’une reprise des importations des produits laitiers mais aussi de l’énergie, tirant ses prix à la hausse.
Si « de nombreuses incertitudes » demeurent, « le FMI et la Banque mondiale estiment que l’inflation baissera régulièrement au cours de 2023 et 2024, tout en restant au-dessus de 2 % », conclut-il.