
Le combat des OP pour obtenir les données nécessaires à la facturation est en passe d’être gagné. Une étape majeure pour leur professionnalisation et leur capacité à diversifier leurs acheteurs.
Les organisations de producteurs (OP) s’efforcent de détricoter la relation de dépendance historique qui lie les éleveurs laitiers et les industriels. La plus emblématique est la facturation du lait. Dans une relation économique classique, le vendeur facture à son client le montant des produits livrés. Entre les producteurs et les laiteries, c’est l’inverse. Par facilité, les premiers ont délégué aux seconds l’établissement de leurs propres factures. Les analyses de qualité du lait réalisées par les laboratoires interprofessionnels régionaux ont consolidé cette structuration puisqu’ils envoient les résultats aux transformateurs. Parce qu’ils possèdent aussi les informations sur les volumes collectés et qu’ils se sont dotés de ressources salariées et informatiques, ces derniers disposent d’une puissance organisationnelle que n’ont pas les producteurs. Ils ont surtout en main toutes les informations nécessaires à la gestion des volumes, au pilotage de la qualité du lait et de son paiement.
Or, pour négocier à armes égales avec son interlocuteur, il faut détenir le même niveau d’information. « En outre, en cas de litige sur le prix du lait, c’est celui qui tient le crayon qui a le dernier mot », souligne Fabrice Guérin, président de l’association d’OP Poplait (1).
Renverser le rapport de force
Les organisations de producteurs souhaitant sortir de la dépendance à un client unique en signant des contrats avec plusieurs acheteurs ont également besoin de facturer le lait vendu. La contractualisation et la création des OP, il y a une douzaine d’années, ont mis quelques cartes dans leurs mains. La très grande majorité d’entre elles ont mentionné la facturation dans leurs missions. Leurs adhérents leur donnent un mandat dans ce but. S’offrent alors à elles deux options : déléguer à l’industriel ou facturer elles-mêmes. C’est la première voie qui a été retenue à leur constitution.
Généralement établi pour un an, le mandat au transformateur est renouvelé chaque année par tacite reconduction ou lors de l’assemblée générale de l’OP. « En contrepartie, il nous renvoie tous les mois les informations globales et par producteur, intervient Denis Jehannin, ex-coprésident de l’organisation transversale de producteurs FMB Grand Ouest (200 Ml, 250 adhérents). Les OP ont l’obligation d’envoyer ces informations une fois par an à FranceAgriMer. »
Reprendre la gestion des volumes
Des producteurs ont décidé de dire stop. La difficulté à obtenir un prix du lait aussi élevé que celui des voisins et la mainmise des industriels sur l’attribution de volumes supplémentaires les décident à franchir ce cap. Le conflit sans issue entre Sunlait et Savencia et la rupture de contrats par Lactalis les confortent dans cette orientation. « Le nerf de la facturation pour les industriels, c’est la gestion des volumes », affirme Denis Jehannin. « Pour signer le contrat-cadre avec Lactalis en 2020, il a fallu accepter de la lui déléguer. C’était l’un des derniers éléments de pression du groupe lavallois », dit-il. L’organisation transversale planche sur la création d’une SAS. « L’objectif est d’avoir du prix en plus, quitte à vendre moins de lait aux industriels actuels et trouver des débouchés que nous serons capables de tracer, précise Jean-Charles Chevalier, coprésident de l’AOP FMB. Dans ce cadre, il faudra être capable de facturer le lait qui leur sera destiné. »
L’OP Danone Sud-Est est plus avancée. « Si tout se poursuit au rythme actuel, nous débuterons la facturation au mois d’avril, indique Jérémy Epalle, son président. Il y travaille avec ses collègues depuis près de deux ans. Comme le contrat-cadre avec Danone prévoit un préavis d’un an pour mettre fin à la facturation par l’entreprise, l’organisation de producteurs n’a pas reconduit le mandat à l’assemblée générale de 2024. « Danone ne nous a pas pris au sérieux au départ. J’ai dû taper du poing sur la table l’été dernier pour que le groupe rentre dans le processus de transition. »
Un accès laborieux aux données
La prise en main de la facturation ne peut se faire que si les OP accèdent, d’une part, aux résultats d’analyses du lait réalisées par les laboratoires interprofessionnels régionaux (taux, cellules, germes, spores butyriques, inhibiteurs, etc.) et, d’autre part, aux volumes collectés par leurs entreprises clientes. Les laboratoires ont dû adapter leurs outils informatiques pour pouvoir transmettre les données aux OP de manière sécurisée. Cela a pris du temps et retardé la mise en place de la facturation. Le Cniel a financé une partie de ces évolutions en allouant un budget à chaque laboratoire. Il a fallu aussi aménager l’infrastructure informatique d’Infolabo, la base de données nationale qui centralise l’ensemble des résultats d’analyses de lait.
Infolabo a évolué pour s’ouvrir aux OP
L’accès aux résultats d’analyses est aujourd’hui opérationnel. « Infolabo propose plusieurs services comme la consultation des résultats directement sur le site web, des possibilités de téléchargement ou encore la réception des résultats par mail ou SMS. Chaque laboratoire propose ces services à ses adhérents et gère les abonnements », précise Anne Pécou, directrice du pôle sciences et économie au Cniel.
Reste l’accès aux informations concernant les volumes collectés pour chaque producteur. Ce sont les laiteries qui les détiennent et certaines OP répugnent à dépendre d’elles pour les obtenir. Dans l’Ouest et en Auvergne, les laboratoires interprofessionnels MyLab et Agrolab’s travaillent avec les laiteries sur le sujet et devraient être en mesure de communiquer ces données aux OP en mai 2025 pour le premier. Le second n'a pas encore donné de calendrier.
Logiquement, ces évolutions ont entraîné des coûts d‘investissement. « Vue de notre fenêtre, la création d’une troisième sortie des données d’analyses ne pose pas de problème. Les informaticiens d’Agrolab’s y parviennent, reprend Jérémy Epalle. Nous récupérons des données qui existent déjà sans que le laboratoire nous demande un financement supplémentaire. Nous sommes satisfaits de la collaboration. » La règle de prise en charge des analyses à 50 % par les producteurs et à 50 % par les transformateurs appliquée dans sa région, mais aussi partout en France, est inchangée. Depuis le 1er janvier, dans le Sud-Est, chacun paie 24,95 € par facture.
Dans l’Ouest, un surcoût de 0,03 €
Dans l’Ouest, les relations entre les OP et l’interprofession Cilouest se sont révélées plus compliquées. « Les organisations de producteurs sont absentes de ces instances ce qui peut générer des incompréhensions, voire des tensions », explique Fabrice Guérin. L’association a été constituée en 2015 pour fournir des outils aux OP. Aujourd’hui, elle met à leur disposition un logiciel qui intègre la gestion des relations avec leurs adhérents et la facturation. Elle va même plus loin en leur proposant un service de facturation via la SAS de commercialisation La Voie lactée dont elle est l’actionnaire unique.
L’accès aux données de qualité et de volumes sans passer par les industriels restait le dernier obstacle à lever. La seule voie avancée par le laboratoire interprofessionnel MyLab repose sur la signature d’une convention de prestation de services entre l’OP et le laboratoire. La transmission des données est facturée 0,03 €/1 000 l. Ce tarif est négocié pour un engagement de trois ans et est susceptible d’évoluer à la baisse. « Il inclut des frais de développement engagés au début pour la mise en route du service », indique Marie-Alix Momot, directrice de Poplait. Il s’ajoute aux 0,41 €/1 000 l déjà facturés aux éleveurs au titre des frais d’analyses. Toutes ces démarches exigent énormément de temps et d’énergie de la part des responsables d’OP. Mais leur opiniâtreté est en passe d’être récompensée. Plusieurs OP sont en mesure de facturer ou le seront bientôt (lire les encadrés). D’autres y travaillent et devraient aboutir courant 2025.
(1) Poplait est une association regroupant neuf OP dans l’Ouest.
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