
Une fois n'est pas coutume : un Paroles de lecteurs à partir d'un Paroles de lecteurs, celui titré "S'installer en lait pour s'endetter à vie ?" ayant fait réagir de nombreux lecteurs de Web-agri. Principaux sujets à débats : l'endettement des chefs d'entreprise est-il normal ou non, certains systèmes exigent-ils moins de capitaux que d'autres, comment inciter les jeunes à faire ce métier. Le manque de rentabilité fait l'unanimité par contre.
S’endetter à vie pour s’installer en lait : « Malheureusement c'est la vérité ! Tu t'endettes à vie et tu te tues au boulot, déplore Martine. C'est de l'esclavage moderne avec toujours plus de normes dont les gens n'ont pas connaissance ni conscience. » Pour elle, « il est important de le faire savoir. (…) »
Emmanuel est « d’accord » avec elle, ajoutant : « pour être en plus traité d’empoisonneur, accusé de maltraitance animale et jugé responsable du changement climatique. »
« Enterré sous les crédits, avec un peu d'orgueil, le cocktail est parfait pour que les éleveurs laitiers soient obligés de bosser 70 h/semaine et plus... jusqu'à ce qu'ils n'en peuvent plus », appuie Bernard.
Sans compter le boulot, les normes, les critiques...
Il enchaîne : « Certains ne peuvent pas arrêter l’élevage (…) et continuent de trimer x années, car sinon la banque leur prendra tout : la ferme, les terres, la maison, etc. La télé, qui veut soi-disant aider les agris, ferait mieux de faire une émission de gestion agricole pour expliquer aux futurs éleveurs dans quoi ils s'engagent, notamment si par malheur l’exploitation dégage moins de recettes avec la même production. Emprunter 500 000 € si plus tard la valeur de revente du cheptel, du matos et des terres, ainsi que le capital au chaud, représentant 700 000 €, c'est faisable. Mais emprunter 1 000 000 € avec une valeur de revente et un capital de 500 000 €, c'est plus que risqué surtout vu les fluctuations énormes que subit notre activité. »
« Être chef d’entreprise, c'est s'endetter »
« Être chef d'entreprise revient à s'endetter à vie, estime pour sa part Remo. Un éleveur est un chef d'entreprise, donc forcément il s’endette à vie. »
« Endetté à vie oui, mais un chef d'entreprise qui choisit rarement ses clients (…), et pas le prix de vente de ses produits (…) », fait remarquer Philippe. « Et qui bosse 365 jours par an ou presque », complète Sophie. « Mais on a quand même une belle qualité de vie, il faut positiver », relativise-t-elle.
Dans d'autres secteurs : tu investis 1 € pour en gagner 1,5...
« Vous avez raison. » Remo acquiesce aux propos de @Philippe, avant de nuancer : « Un éleveur peut aussi transformer et faire de la vente directe. » Et de reconnaître : « J'en connais et je sais combien c'est dur de tout mener de front et de trouver de la main-d'œuvre. (…) » Revenant sur l'endettement des éleveurs, ce lecteur poursuit : « Être endetté ne veut pas dire que le chef d'entreprise ne gagne pas d'argent. L'endettement est même normal : je n'ai jamais vu d'entreprise grandir sans s'endetter. C'est un investissement ni plus ni moins. » « Quand un industriel achète une nouvelle usine, on parle d'investissement. Quand un éleveur achète un bâtiment, du matériel ou autre chose, on parle d'endettement », illustre-t-il.
Kévin n’est pas d’accord : « Dans les autres secteurs, tu investis 1 € pour en gagner 1,5, ce qui est rarement le cas en agriculture. » « Comme dans toutes entreprises : il y a les bons investissements qui font gagner de l'argent et d'autres pas », maintient Remo.
Le problème : le manque de rentabilité
« Le problème n'est pas d'être endetté mais d'avoir la capacité de rembourser sa dette et de vivre de son métier d’éleveur... Impossible en lait, où la moitié des producteurs touchent moins que le RSA ! », selon Régis.
Si l'outil de travail coûtait moins cher à reprendre...
« Il suffit d’étaler la reprise sur 30 ans... », suggère Arjan. Il explique : « Au Pays-Bas, les reprises d’exploitations agricoles se font sur deux voire trois générations. Ici, on est à côté de la plaque. Pourquoi les cédants devraient-ils "donner" leur outil de travail aux repreneurs ? »
Arjan ne partage pas son avis : « Un magasin comme Leclerc se paie sur trois à cinq ans, cherchez l’erreur… »
Romain intervient : « Le problème n'est pas l'endettement mais la faible rentabilité en élevage. » « Les deux sont liés, considère Gil. Si l'outil de production coûtait moins cher, la rentabilité serait meilleure. » « Si la rentabilité était meilleure, l'endettement ne serait pas un problème... », rétorque Philippe.
Des travaux nécessaires, mais non rentables
Denis revient sur la question de la rentabilité : « En agriculture, de nombreux travaux ne sont pas rentables même s'ils sont nécessaires, comme nettoyer le fumier, faire les clôtures... Quand on voit le coût horaire des salariés agricoles, il faudrait un régime spécifique. Pareil pour la retraite : on nous parle d'une pension de 1 000 € par mois à 64 ans mais sincèrement on ne les gagne pas, même en activité. Et physiquement, on est déjà foutu à 40 ans ! »
Gil recommande de « ne pas séparer chaque tâche », mais de « regarder le travail induit par une production ». « Il faut qu’il soit rémunéré par le prix de vente, charges déduites, pour que ce soit rentable, indique-t-il. Pour le coût salarial, je te rejoins, le souci est que la rémunération horaire se situe souvent entre le salaire net de l'ouvrier et son cout pour le patron. Ça ne passe plus si on embauche pour réduire nos heures de travail. »
Quant au coût d'un salarié...
Gil prend l'exemple d'un producteur laitier, qui transforme et vend en direct. Par rapport à un marchand de fromages, « l'agriculteur, lui, élève des animaux et doit les nourrir, nettoyer la stabulation, entretenir les clôtures... », le temps à passer pour le fromager se limite à l'achat et la vente, compare-t-il.
« Pas comme ça qu’on attire des jeunes ! »
« Avec un titre d’article comme ça (« S’endetter à vie pour s’installer en lait », NDLR), on va attirer les jeunes vers l’élevage !! », lance Cédric. Cédric et Gil ne sont pas de cette opinion : « Justement, autant leur dire ce qui les attend. »
Et Cédric de continuer : « OK mais quand tu as résisté en bouffant tes voisins qui ont tous arrêté et que tu veux prendre ta retraite agricole, tu fais quoi de ta ferme à céder ? » « Il n’y a qu’à vendre les terres à un agriculteur ou un investisseur, propose Gil. Les bâtiments et le matos sont amortis - on n’investit pas juste avant la fin - donc valeur = 0, on essaie juste d'en tirer une bricole. Quant aux animaux, direction le marchand à bestiaux. Chez nous, cheptel, matériel et bâtiments sont rarement repris. » « Aucun agri compte sur une reprise », insiste-t-il. « Faut arrêter avant si on est dans cette démarche et qu’on ne gagne pas sa vie », rétorque Cédric.
Justement, faut leur dire ce qui les attend !
« Une petite exploitation résiste autant qu'une grosse aux prix bas, car elle a beaucoup moins de charges, donc un coût de production bien plus bas, et gagne encore de l'argent même en vendant pas cher. Ce sont plutôt les grosses fermes en cessation d’activité », observe Gil. Il préconise « d’éviter d’investir les 10 dernières années avant la retraite ». Ainsi, les prix de cession d’exploitation seraient « moins élevés ». Ces outils de travail « d’occasion », comme il les qualifie, « conviendraient très bien pour des jeunes éleveurs qui s’installent, en attendant qu'ils gagnent des sous pour pouvoir investir ». D’autant que les équipement choisis par les cédants ne sont pas forcément ceux qu’achèteraient les repreneurs, souligne Gil.
S'en sortir mieux, avec de l'herbe...
Julien reprend : « "résister en bouffant tes voisins" : en voilà un projet de vie ! Honteux, absurde et malheureusement trop répandu. On empêche les autres de s'installer autour de soi, on construit une structure qui ne sera de toute façon pas reprenable, et on continue de bosser à pas d'âge. » « Quel est le sens de cela ? », s'interroge-t-il.
« À deux, on tourne à 100 000 - 120 000 l de lait depuis 15 ans en bio, témoigne Francis. J'ai des voisins qui arrivent à 800 000 l/UTH. Le travail n'est jamais fini, ils ont un système non durable. »
Jean-Noël vante, lui aussi, les systèmes herbagers : « Toutes les études montrent que l'herbe en pâturage est le plus rémunérateur pour les éleveurs mais ces derniers foncent sur stabu + ensilage/enrubannage et viennent pleurer... Aux producteurs de choisir un système qui n'enrichit pas les autres ! »
Bâtir des structures irreprenables, quel intérêt ?
Les « systèmes » comme celui de @Francis, « personne n'en parle. Même dans les données comptables, ils sont noyés dans la masse des gros. Du coup, les conseillers installation disent aux jeunes que gagner sa vie avec 60 000 l de lait, ou 25-30 vaches allaitantes/UTH, n'est pas possible », regrette Gil.
... et moins de lait ?
Francis rebondit : « Il existe beaucoup de diversités en production laitière, très peu évoquée. Même si 500 000 l et 500 000 €/UTH est le modèle habituel et dominant. » Il raconte avoir lu, dans un journal, « le témoignage d'une femme installée depuis un an avec 90 000 € pour 90 000 l ». « Un modèle qui fait des paysans heureux », juge ce lecteur.« A-t-elle pu obtenu la DJA ?, demande Gil, dubitatif sur ce point : « (...) La chambre d'agriculture a sûrement trouvé un revenu prévisionnel trop bas. »
« Elle a eu la DJA, répond Francis, apportant quelques précisions : « Il s'agit d'une reprise derrière ses parents et eux tournaient autour de 180 000 l. Elle démarre direct en monotraite et vêlages groupés, et a préféré diminuer la production laitière. Elle se prélève 2 000 €/mois (...). »
Un modèle qui fait des paysans heureux.
Yoann trouve « bizarre 2 000 € de prélèvement mensuel pour 3 500 € de paie de lait », ou alors « il faut pas avoir de frais ».
« Très peu de charges, c'est faisable en système herbe, les résultats du Civam vont dans ce sens », confirme Francis.
« Aux 3 500 € de paye de lait, il faut ajouter les primes Pac mensualisées, qui couvrent sûrement déjà une bonne partie des charges », détaille Gil. Il pense même « qu'il y a moyen de dépasser 2 000 € de revenu agricole/mois avec un système à faibles charges (...) »
Un cédant et un jeune installé témoignent
Lau a pu céder son élevage laitier bio l'an dernier, et nous fait part de son expérience : « Les bâtiments étaient vieux mais fonctionnels, le matériel peu important : deux tracteurs de 90 cv de 7 et 9 ans en propriété, une Cuma à proximité. Le parcellaire (90 ha) était groupé, avec un maximum de pâturage. J'ai vendu cheptel, bâtiments, matériel et stocks pour 2 EBE (moyenne de 5 résultats). Mes successeurs ne se sont pas endettés à vie. Peut-être le feront ils en changeant le système en place ? Moi, j'ai très bien gagné ma vie (...). Les candidats à la reprise étaient rares. J'ai la grande satisfaction d'avoir réussi à transmettre ma ferme mais je n'ai pas fait une affaire ! Il faut juste savoir ce qu'on veut : être un peu gestionnaire et ne pas plomber l'avenir de l'agriculture ! »
Ne pas plomber l'avenir de l'agriculture !
aurel n'est installé que depuis six ans, mais il envisage déjà d'abandonner la production laitière : « J'aurai fini de rembourser mes prêts dans six ans, et si la conjoncture ne change pas, le lait c'est terminé : trop de travail, plus personne pour nous remplacer une semaine par an ou quelques week-end. Au départ en retraite de ma mère, je vais avoir un salarié, sauf qu'il sera à 35 heures. À moi de trimer le reste du temps, pour un salaire de misère, aucune reconnaissance sociétale et des critiques environnementales... »
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