
Élever un peu plus de génisses que les besoins de production donne de la souplesse. C'est sur ce principe que Nicolas Lautour et Mickaël Salles développent leur exploitation. Entre 2011 et 2013, leur troupeau s'est agrandi de vingt vaches.
AGRANDIR LE TROUPEAU PAR L'ÉLEVAGE DES GÉNISSES, c'est la stratégie que suit le Gaec des Bourdonnets depuis plusieurs années. Tout commence en 2006, à l'installation de Mickaël Salles, aux côtés de ses parents, qui sont à la tête de 80 vaches normandes. Il reprend 200 000 litres et 24 prim'holsteins, ce qui porte le quota à 505 000 l. Au coeur du bocage ornais réputé pour son élevage intensif, le Gaec aurait pu basculer vers la holstein en s'appuyant sur ces 24 femelles. C'est l'inverse qui s'est produit. Sensibles à l'ancrage de la normande à son terroir, travaillant à l'amélioration génétique de leur troupeau, les associés ont vendu 12 des 24 holsteins six mois après leur arrivée dans le troupeau. « Mes parents étaient régulièrement en situation de dépassement de quotas. Ils vendaient souvent des vaches en lait. En prévision de mon installation, ils en ont gardé pour constituer un lot de 30 génisses », se souvient Mickaël. Au fil des attributions, des achats de quotas sans terre et d'un agrandissement de 5 ha, la référence atteint 600 000 l en 2012. Elle passe un nouveau cap en mars 2013 via, cette fois-ci, l'installation de Nicolas Lautour, le beau-frère de Mickaël, qui prend le relais des parents. Le quota est conforté de 80 000 l. « En plus de la nécessité d'agrandir tous les deux ans le troupeau d'une dizaine de vaches, l'habitude d'élever plus que nécessaire est conservée. Nous vendons quasiment tous les ans une petite dizaine de vaches en lait (voir tableau). »
La taille du cheptel traduit cette évolution : 82 laitières en 2007, 97 en 2010, 105 en 2012 et 120 en 2013. L'élevage des génisses suit : 37 UGB élèves en 2007, 46 en 2010, 60 en 2012 et 66 en 2013. « La campagne dernière, nous n'avons pas vendu de vaches en lait pour réaliser les 80 000 l supplémentaires et la rallonge de 6 % d'Agrial. Nous avons livré 707 120 l et distribué 20 000 l aux veaux », indique Nicolas Lautour.
« DES SEMENCES SEXÉES SUR DES GÉNISSES GÉNOTYPÉES PAR NOUS »
« En réalité, aujourd'hui, nous nous trouvons un peu dépassés par les événements, confient les associés. Nous avons trop d'animaux par rapport à nos besoins. Nous visons 120 vaches traites. Selon le suivi d'effectifs d'Orne Conseil Élevage pour la campagne 2014-2015, il faut que nous vendions au moins 20 vaches. Une quinzaine le sera en lait cet automne. » L'utilisation de la semence sexée sur génisses pour la quatrième année consécutive contribue à cette situation. Les six issues de telles inséminations, et nées en 2012, démarrent ou vont démarrer leur première lactation. Parmi les 15 obtenues de cette manière en 2013, la moitié vient d'être inséminée en janvier, l'autre en mai.
Le Gaec continue sur cette lancée. Il a utilisé l'an passé des semences sexées sur 17 génisses et programme d'en faire autant cette année. « Il s'agit de semences sexées de taureaux génomiques et de jeunes taureaux confirmés sur descendance », précise Nicolas.
Ces inséminations ne sont pas pratiquées au hasard. Elles sont ciblées sur les jeunes femelles avec un potentiel que les deux associés jugent d'un bon niveau, vu leur ascendance. « Depuis 2012, nous avons génotypé douze d'entre elles et attendons le résultat de onze autres. Ainsi, nous connaissons davantage leur potentiel et raisonnons mieux les accouplements. Nous voulons améliorer plus rapidement le niveau génétique de notre troupeau avec trois axes : le lait, la mamelle et les aplombs », explique Nicolas. Génotypage et semence sexée donnent un surcoût de l'accouplement de 100 € (60 € de génotypage et 40 € de semence sexée).
Ce génotypage « maison » s'ajoute à celui fait par l'entreprise de sélection Orygenplus. L'ex-Intersélection a « samé » 11 génisses dans la perspective de détecter des femelles pour son schéma. Le Gaec s'appuie aussi sur ces résultats - l'ES les lui transmet - pour élaborer les accouplements en concertation avec l'inséminateur. « Plus globalement, près de la moitié des femelles du troupeau sont aujourd'hui inséminées avec des taureaux à index génomiques. La relative concordance entre les index de nos génisses génotypées et ce qu'elles sont véritablement a levé nos réticences initiales. »
En 2013-2014, les cinq taureaux les plus utilisés (26 % des IAP) viennent des souches Driver-Upérise (General et Galhileo), Elixir-Manizales (Galbraith via Visuel et Geomi via Vomicol) et Diamètre-Uvray (Folden).
« ÉLEVER PLUS D'ANIMAUX PÈSE SUR L'EBE »
On l'a compris, le Gaec des Bourdonnets n'est pas un simple utilisateur de paillettes. Il veut être actif dans la création génétique. Cette activité ne porte pas encore aujourd'hui ses fruits (2 400 € perçus sur trois ans pour 5 mâles génotypés non retenus),Mickaël et Nicolas comptent surtout sur la vente de vaches en lait pour rentabiliser leur recours aux dernières innovations en matière de sélection. « Nous ne vendons pas de génisses amouillantes ni de vaches en première lactation. Seulement des deuxièmes lactations pour deux raisons : nous souhaitons disposer du produit de l'insémination, et la première lactation amortit le coût d'élevage. Et puis, nous aimons constater le résultat de l'accouplement élaboré un an plus tôt. » Avec un coût d'élevage de 1 550 € par génisse en 2013, sans la main-d'oeuvre, le Gaec estime le prix minimum de vente à 1 800 €. La demande à la hausse des AOP fromagères bas-normandes et de l'export l'encourage à proposer des femelles de bon niveau (voir encadré). De quoi conforter l'EBE des associés, qui s'élève à 108 876 € en février 2013-2014, pour un prix du lait de 403 €/1 000 l (en super A toute la campagne) et une efficacité économique de 27 %. En effet, contrairement aux exercices passés, l'EBE 2013 n'enregistre pas de ventes de vaches en lait. « Élever des animaux pour agrandir le troupeau génère des coûts supplémentaires par rapport à une exploitation en rythme de croisière. Ainsi, le coût alimentaire de notre atelier lait s'élève à 191,94 €/1 000 l contre 147 € pour la moyenne des clôtures comptables de la fin 2013. En évolution depuis six ans, nous sommes conscients que nous ne maîtrisons pas encore bien tous les postes de charges. » La commercialisation de vaches en lait, la stabilisation du troupeau à 120 vaches, une meilleure gestion de leur pâturage, la hausse du niveau d'étable grâce au travail génétique engagé sont autant de pistes qui devraient améliorer l'efficacité économique de la structure ces prochaines années.
Sans doute le Gaec des Bourdonnets pourrait-il aussi abaisser légèrement le coût d'élevage des génisses en avançant l'âge au premier vêlage ? Il ne le souhaite pas. L'Organisme de sélection en race normande (OSN) conseille un objectif à 26 mois pour garantir de bonnes performances zootechniques, diminuer le chargement et réduire les coûts de production.
« LA PREMIÈRE INSÉMINATION PAS AVANT 18 MOIS »
Les jeunes éleveurs préfèrent, eux, fixer la première insémination à 18 mois en vue d'un premier vêlage à 28 mois. « Le logiciel de suivi de troupeau déclenche une alerte à 18 mois. J'ai du mal à inséminer plus tôt, confie Mickaël, chargé du suivi de la reproduction. Je trouve les génisses trop légères. Plus grandes, elles bénéficient d'une capacité d'ingestion plus importante. » Ne pesant ni ne mesurant le tour de poitrine des jeunes femelles avec un ruban adapté à la race normande, que l'OSN a remis au goût du jour fin 2012, il se fonde sur la longueur de côtes. Avec un taux de réussite des premières IA de 48 % sur les primipares, l'âge au premier vêlage se situe entre 30,5 et 31 mois. « En 2013, il est monté à 33,1 mois. Une génisse collectée en embryons et six receveuses l'ont plombé. Elles sont devenues gestantes après plusieurs tentatives. »
VÊLAGES ÉTALÉS ET PÂTURAGE POUR GÉRER LE LOGEMENT
L'exploitation est aujourd'hui au taquet, tout d'abord en termes de capacité de logement. Tous les bâtiments sont désormais destinés à l'élevage des génisses et aux vaches. L'abandon de l'activité avicole en 2008 et des taurillons en 2012 a permis de créer 100 places pour l'hébergement des génisses de 4 à 17 mois d'une part, et des 18 mois et plus d'autre part (ci-contre). À la pâture au printemps et en été, ces dernières sont remplacées par les 6-12 mois qui naviguent entre 1,40 ha de prairie et le bâtiment pour recevoir 1 kg de bouchons de luzerne, en plus de la paille ou du foin.
La nursery, elle, contient 15 cases individuelles et 36 places collectives. « Grâce à la reconversion des bâtiments, malgré l'agrandissement du troupeau de 45 vaches en six ans, nous ne rencontrons pas véritablement de problèmes pour héberger les génisses l'hiver. Notre politique de vêlages étalés y participe aussi largement. » Ainsi, pour la campagne 2014-2015, 60 % des vêlages sont prévus de septembre à mars, soit 11 à 20 vêlages chaque mois, avec un pic prévu de 27 vêlages en décembre. La volonté d'élever au maximum les génisses à l'herbe limite aussi leur temps de présence dans les bâtiments. « Avec 2 UGB/ha de SFP, tout est fait pour tirer parti des possibilités fourragères de la ferme. Nous n'hésitons pas à faire pâturer, par les lots des prêtes à inséminer et pleines, des dérobés de ray-grass d'Italie et d'avoine + vesce (photo ci-dessus). » Au printemps et en été, ces lots valorisent des prairies naturelles. Un râtelier équipé de cornadis permet de bloquer celles à inséminer et à échographier. Cette stratégie fourragère et de logement est appliquée aussi aux vaches laitières. Elles pâturent 25 ha d'avril à novembre.
Résultat : le temps dans les bâtiments des génisses de 1 an et plus est réduit à 4 mois, celui des vaches à 5,24 mois (calcul Synel). « Au regard des nouvelles règles de la directive nitrates, cette gestion accroît la valeur des rejets azotés des laitières. Si nous n'exportons pas de fumier, nous dépassons le plafond des 170 kg d'azote organique par hectare de SAU. Il faudrait quelques hectares en plus. Nous comptons aussi sur notre projet collectif de méthanisation. »
CLAIRE HUE
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