
Christine Lancien, qui a fait naître la célèbre Ricki, ne mise pas que sur la sélection. Pour elle, la réussite en élevage s'obtient en soignant l'ensemble de la conduite du troupeau.
L'EARL DES BLÉS NOIRS est sans doute l'un des élevages holsteins les plus célèbres en France. Ricki (Rubens) en est l'emblème après avoir tout gagné en 2006 : Paris, le National et le Space. Et surtout, depuis trois années consécutives, cet élevage obtient le prix du meilleur lot d'élevage au National : une consécration. Cerise sur le gâteau : l'EARL a pris la tête du classement sur la note globale (87,7 en moyenne) ex aequo (1). Comment parvient-on à de tels résultats ? Et surtout, quels sont les bénéfices au-delà de la notoriété ? Christine Lancien construit ce troupeau depuis trente ans et résume sa motivation en quelques mots :
« J'aime les vaches. » Et cela veut tout dire. Elle veut les garder en forme longtemps. Elle aime les regarder briller sur les rings ou pâturer chez elle. Elle préfère les vendre à d'autres éleveurs plutôt qu'à la réforme. Christine sélectionne en fonction de ses convictions. Il y a trente ans, elle fait hurler ses voisins quand elle décide d'inséminer elle-même avec des doses importées illégalement du Canada. Elle perd tous ses pedigrees mais qu'importe.
Elle est sûre d'elle : « À l'époque, tout le monde pariait sur l'Inel et je n'y croyais pas. Pour moi, une sélection trop axée sur la production était déséquilibrée. »
La suite lui a donné raison.
Autre particularité : Christine sélectionne l'ensemble du troupeau. Pas question de se limiter à une souche unique. Elle veut travailler le lait, la mamelle et les membres de tous ses animaux. Les prix d'élevage traduisent la réussite de cet objectif, en consacrant l'homogénéité des lots.
DES VACHES QUI DURENT
Et aujourd'hui, elle n'a pas de problème avec les mammites et les cellules. Pas de boiterie non plus alors qu'elle ne fait pas de parage systématique. Ici, une dizaine de vaches approchent ou dépassent les dix ans. C'est le cas de Ricki, qui attend son septième veau à neuf ans. Sa mère vient de partir après douze ans de carrière.
Outre les trophées rapportés des concours, ce travail de sélection permet à Christine de vendre des animaux. « Aujourd'hui, je cède une dizaine de taureaux par an pour la monte naturelle. » Elle manque parfois de mâles pour répondre à la demande et s'interroge. Cette volonté de certains d'acheter des mâles pour la reproduction ne révèle-t-elle pas un certain échec de la sélection française ?
Christine élève toutes les femelles et chaque année, elle vend une vingtaine de vaches en production. Enfin, une quinzaine de jeunes vaches à haut potentiel quittent l'élevage pour un prix moyen de 3 000 €. Le bénéfice tiré de la sélection et de la participation aux concours est donc une évidence pour Christine. Mais elle pense que la génétique ne peut pas répondre à tout.
Elle fait partie de ces rares sélectionneurs qui regardent la génomique de loin. « Pourquoi aller si loin dans la technique de sélection quand on ne maîtrise pas les bases de la conduite d'élevage ? » Elle estime qu'on ne peut bien travailler qu'en avançant pas à pas sur tous les fronts. Pour avoir des vaches en bonne santé, faciles à vivre et capables de faire une longue carrière, c'est toute la conduite qui doit être bonne. « Pour améliorer la fertilité, par exemple, l'alimentation est un point clé. On ne pourra pas la redresser en comptant seulement sur les index », estime Christine.
SANTÉ ET REVENU
C'est ce qui la conduit aujourd'hui à se recentrer sur la production des fourrages.
Un domaine où elle a tout à apprendre et où elle ne craint pas d'aller à contre-courant. « Je suis de plus en plus réservée sur le modèle maïs-soja. » Elle lui reproche deux choses. D'une part, il induit le développement d'une monoculture de soja OGM, en Amérique du Sud notamment, au détriment des cultures vivrières moins polluantes et plus essentielles à la population locale. D'autre part, il impose une utilisation relativement importante de produits phytosanitaires en France.
Leur accumulation néfaste pour l'environnement dérange Christine. La situation de son élevage dans un bassin-versant impliqué dans la pollution du littoral par les algues vertes la sensibilise au problème. Mais au-delà, elle constate que les parcelles qui reçoivent des phytos chaque année (assolement maïs-céréales) voient leur sol se dégrader. « On n'y trouve plus de trace de vie, les vers de terre disparaissent. Les résidus se retrouvent dans les cultures et donc dans les fourrages, ce qui peut pénaliser la santé et la fertilité. Si les femmes s'occupaient davantage des cultures, on n'en serait pas là ! », glisse Christine.
Depuis deux ans, elle cherche à réduire le maïs pour le supprimer au printemps et en été au profit du pâturage. Elle pense investir dans le séchage en grange. « Les premières coupes seront riches en azote et m'aideront à diminuer le soja. » Car le maïs restera nécessaire. « Je vais peut-être perdre en lait, mais l'essentiel, c'est la santé de mes animaux et mon revenu. » La baisse du prix du lait l'incite aussi à réduire son coût de production. Elle pense y parvenir en jouant sur la ration de base.
REFAIRE LES PRAIRIES
D'abord, elle doit refaire ses pâtures et mettre en herbe des parcelles éloignées qui n'ont connu que le maïs et les céréales. Pour gérer la transition, elle vient d'acheter du maïs sur pied (760 €/ha). Elle a implanté des prairies complexes et leur rendement l'impressionne.
Mais la réticence des vaches à consommer les premières pousses l'interpelle. Avec le temps, les choses s'arrangent, « comme si la parcelle commençait à se nettoyer ». Christine mise aussi sur le méteil qui offre de gros rendements sans nécessiter d'intrants et en couvrant le sol en hiver. Le méteil améliore aussi l'autonomie en protéine. Pour réfléchir à ce nouveau système, Christine se sert des rencontres autour des rings. À Lausanne, elle discute avec les Suisses qui font du lait avec du foin. « On me regarde changer mes pratiques avec la même incompréhension qu'à l'époque où j'ai choisi une autre génétique. Mais je suis déterminée », conclut l'éleveuse.
(1) Également n° 1 : EARL Le Bris (à Gouesnou, Finistère) et Madeleine Angau (à Saint-Aignan-sur-Roë, Mayenne).
PASCALE LE CANN
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