Contrats obligatoires en viande bovine : où en sommes-nous ?

Les ventes de bovins, quelles que soient les catégories, devront toutes être contractualisées à partir de 2023. (©AdobeStock)
Les ventes de bovins, quelles que soient les catégories, devront toutes être contractualisées à partir de 2023. (©AdobeStock)

Début janvier, la viande issue du cheptel laitier rejoindra les autres catégories et devra, elle aussi, faire l’objet d’une contractualisation écrite de trois ans minimum entre l’éleveur et ses premiers acheteurs. Entre réticences d’éleveurs et réponses de la FNB, retour sur cette obligation issue de la loi Egalim 2, destinée à sécuriser le revenu des producteurs.

À partir du 1er janvier 2023, toutes les ventes de bovins devront faire l’objet un contrat écrit entre l’éleveur et ses premiers acheteurs. C’est la contractualisation obligatoire, issue de la loi Besson-Moreau (dite Egalim) et déjà en application depuis début 2022 pour la vente de jeunes bovins, génisses, vaches à viande et bovins sous signes officiels de qualité. La loi s’est étendue cet été aux broutards, et à partir de janvier 2023 toutes les autres catégories seront concernées : réformes laitières, jeunes bovins laitiers et mixtes, bovins reproducteurs, bovins croisés.

L’idée de ce changement - qui fait figure de grand bouleversement pour la filière – est de renverser la construction du prix final, dans l’esprit de la loi Egalim. Pour la FNB, dont la contractualisation obligatoire est le cheval de bataille depuis des années, il s’agit de fait de « corréler le prix de vente aux coûts de production des éleveurs ».

« Pour nous, la logique n’est pas de mettre en place une contractualisation de volume, mais bien d’assurer à l’éleveur une sécurité, indique Cédric Mandin, secrétaire général de la FNB. Les éleveurs proposent à leurs metteurs en marché des contrats qui prennent en compte les coûts de production et les prix de marché et sacralisent la valeur de la matière première. » Ceci pour « assurer que les éleveurs ne soient plus la variable d’ajustement », sécuriser une rémunération minimale, et par là tenter d’enrayer la décapitalisation bovine et les difficultés à renouveler les générations en élevage.

Sur Web-agri, le sujet de la contractualisation obligatoire en viande bovine vous faisait réagir dès le début de l’année en commentaires. Si « salut » se fendait d’un lapidaire « Contractualisation, piège à con », Jérôme disait son enthousiasme : « C'est au producteur de rédiger et proposer un contrat établi à partir de ses coûts de production. Ça change tout, on inverse le rapport de force ! (…) Nous ne pouvons pas louper cette opportunité (…) C'est à nous d'être force de proposition pour défendre nos intérêts ». Mais Jp44 écrivait, très sceptique : « Comme pour le lait, on nous fait miroiter la contractualisation pour avoir un prix rémunérateur. Au bout du compte pas de hausse pour le producteur mais un outil pour les transformateurs et les distributeurs pour asseoir leur dictat ».

3 % des lecteurs de Web-agri ont contractualisé

À un an d’application de la loi pour une partie du cheptel, où en sommes-nous ? Les acteurs du secteur sont d’accord pour dire que la contractualisation peine à se mettre en place. « Il faut prendre en compte le pas de temps pédagogique pour que les gens prennent le temps de comprendre, il fallait changer les statuts dans beaucoup de coopératives, etc. », tempère Cédric Mandin. S’il est difficile d’avoir un bilan chiffré pour l’instant, « un observatoire sera mis en place en 2023 au sein de l’interprofession pour avoir une lisibilité sur les volumes engagés ».

Un sondage réalisé par Web-agri entre le 29 novembre et le 7 décembre et ayant réuni 520 votants indiquait une petite proportion d’éleveurs ayant réussi à contractualiser leurs animaux (3 %), tandis que 11 % avaient essayé sans succès et que 86 % disaient ne pas être intéressés.

 

Avec la hausse des prix de la viande ces derniers mois, « l’année 2022 n’a pas aidé dans le développement des contrats », reprend Cédric Mandin, qui évoque une forme de déstabilisation : « Certains metteurs en marché disaient aux éleveurs "ce n’est pas la peine que tu t’embêtes, je vais te prendre tes animaux. Les prix sont hauts : si je te signe un contrat tu te serais fait avoir !". Mais notre logique est bien d’aller vers un prix déterminable (lire encadré), qui doit pouvoir vivre en suivant l’évolution du coût de production et du marché ».

Prix sous la cotation, difficulté à prévoir les volumes

Fin novembre, nous lancions une enquête auprès des lecteurs de Web-agri pour connaître votre regard sur la contractualisation et l’expérience que vous avez pu en faire. Certains lecteurs ont expliqué pourquoi leurs tentatives ont échoué : « Le premier acheteur a peur d'être bloqué (prix, quantité...) alors qu’au contraire ça lui apporte des garanties », se désole l’un deux. « Dans un premier temps, la réponse de mon client (vente locale) a été de refuser une indexation et dans un deuxième d'accepter de signer mais sans s'engager sur le volume… », déplore un collègue.

Un autre a été échaudé : « C'est le négociant qui a fixé le prix (...) Environ 60 cts de moins que la cotation. 4,60 € par kg pour des jeunes bovins charolais ». Pour lui, la contractualisation « ne sert à rien car le prix est bien en dessous de la cotation et du prix de revient. Une absurdité totale. Sert juste aux abatteurs pour assurer leurs approvisionnements ».

Plusieurs répondants à notre enquête partagent ces réticences. L’un d’eux explique vouloir conserver sa liberté : « Je suis éleveur et donc propriétaire de mes animaux, je ne suis pas marié avec mon acheteur de bête, si l'on me force la main je ferais moins de broutards et finirais mes bêtes et irais les porter direct à l'abattoir ».

D’autres soulignent les difficultés à prévoir les volumes vendus : « En élevage laitier et à l’herbe, avec un élevage de veaux de lait pour faire des bœufs à l’herbe dont une partie est revendue en élevage, pas facile de faire des prévisions de sortie. » « Les acheteurs ne sont pas fous à s’engager sur trois ans pour des achats inconnus », commente d’ailleurs Gil sur Facebook.

Un lecteur estime que la contractualisation arrive trop tard : « La décapitalisation des troupeaux est enclenchée, les besoins mondiaux en viande bovine continuent de progresser malgré une baisse de consommation par habitant en Occident. Le marché des viandes commence à être sous tension par un manque d'offres donc plus favorable aux éleveurs ». « En modérant l’offre on obtient en prix bien plus qu’en contractualisant ! », appuie un éleveur sur Facebook. « C’est clair, répond un autre : si les prix en maigre se maintiennent à ce niveau, pas besoin de contrats ».

Des difficultés en aval

Un répondant exprime son inquiétude pour l’aval de la filière : « Les marchés sont trop volatils pour garantir l'équilibre économique de nos partenaires. Il est important que nos partenaires trouvent aussi de la rentabilité, car nous pourrions voir disparaître certains outils de travail. »

« La contractualisation sur toutes les catégories et tous les volumes, ce n'est pas possible », estimait d’ailleurs le président de la Fédération française des commerçants en bestiaux sur Web-Agri, en mai dernier, regrettant que « tout repose sur le premier acheteur ».

Du côté des bouchers aussi, la mayonnaise a du mal à prendre. Alors qu’un pacte en ce sens avait été signé au dernier Salon de l’agriculture entre la FNB et le secteur de la boucherie, on est loin des 3 000 à 5 000 bovins engagés avant fin 2022 via des contrats écrits entre éleveurs et artisans bouchers. « Il y a beaucoup de demande du côté des éleveurs, mais je regrette le manque d’engagement des bouchers, commente Cédric Mandin. Leurs coûts de production ont explosé en 2022, ce qui les a freinés dans leur élan ».

« Développer le nombre de contrats et communiquer sur ce qui est fait

Revenons aux réserves exprimées par les éleveurs sur la contractualisation obligatoire. « Nous les entendons, ce sont des questions qu’on a sur le terrain, répond Cédric Mandin. L’engagement sur trois ans a été poussé par l’administration pour essayer de pérenniser la chose dans le temps. Je comprends que ça puisse être compliqué, mais il y a des possibilités ».

Le représentant syndical est confiant sur l’engagement de l’aval : « avec la perte de cheptel, une multitude d’opérateurs sont réellement en recherche d’animaux pour les années à venir et sont enclins à sécuriser une partie de l’appro. Il en va de la pérennité des outils d’abattage dans beaucoup d’endroits. Sur les difficultés à négocier des éleveurs, il évoque l’importance de la logique mutualiste : « à mon avis, il faut garder la capacité de se regrouper pour peser dans la négociation. Car tout seul, dans son exploitation sans avoir tous les éléments, on peut se faire tromper ».

Aux réserves exprimées sur la possibilité réelle de contractualiser absolument toutes les catégories d’animaux et tous les volumes, sans conserver une part de la production comme variable d’ajustement, il répond : « l’idée est de tout contractualiser. S’il n’y a pas de contrainte, rien ne se fait ! C’est la logique du législateur ».

Pour la suite, il table sur la communication et l’effet boule de neige : « Il faut dédramatiser, vulgariser la contractualisation. On a un vrai travail à faire là-dessus, côté syndical comme côté interprofessionnel (…). En développant le nombre de contrats et en communiquant sur ce qui est fait, les contrats seront de plus en plus présents ».

Quant aux prix, « si on arrive à avoir une vraie logique contractuelle sur une grosse partie du volume français, on pourrait avoir une prise en compte des coûts de production au niveau national : ça se retraduirait forcément dans les cotations et on arriverait à une similitude entre prix de marchés et logique contractuelle ».

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Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,05 €/kg net +0,06
Vaches, charolaises, R= France 6,92 €/kg net +0,08
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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