
L’agrandissement des troupeaux laitiers est censé permettre la réalisation d'économies d’échelle et l'amélioration des revenus, voire des conditions de travail. Les élevages ayant fortement augmenté leur production ont-ils atteint leurs objectifs ? Les données économiques tendent à montrer qu’en moyenne, les avantages des grandes structures, par rapport aux plus petites, ne sont finalement pas significatifs. De nouvelles contraintes apparaissent au fur et à mesure de l’agrandissement : conduire de tels troupeaux ne s’improvise pas, demande des capacités et des compétences différentes, beaucoup de rigueur, et impose bien souvent une remise en cause des fondamentaux qui ont fait leurs preuves sur les troupeaux « classiques ».
Le Bureau technique de la promotion laitière (Btpl) a enquêté 38 exploitations laitières du réseau €colait qui ont le plus augmenté leur production ces dernières années. En cinq ans (entre 2008 et 2013), ces élevages ont augmenté leur production laitière de plus de 60 %, passant en moyenne de 400.000 à 643.000 litres par an.
« Ces éleveurs sont motivés par la production laitière, ils aiment et croient en l’avenir du lait ou investissent pour transmettre leur outil de production, a remarqué Mathilde Fals du Btpl lors de son enquête. Ces éleveurs pensent faire des économies d’échelle et gagner en confort de travail en investissant dans les installations ou dans la main d’œuvre. »
Baisse du pâturage
Le lait supplémentaire est principalement réalisé en augmentant le nombre de vaches (+ 28 VL = + 55 %) plutôt qu’en augmentant la moyenne d’étable par vache (+ 323 litres/VL = + 4,2 %). A l’auge, cela s’est traduit par une augmentation de la part de maïs ensilage (+ 300 kg MS ingérés/VL/an) et une baisse du pâturage (- 135 kg MS) voire de l’arrêt du pâturage. Ainsi les élevages sont passés de 9.100 l/ha à 10.100 l/ha de surface fourragère (Sfp). Le poste alimentation a été très impacté par l’augmentation de production, avec un plus fort recours aux achats de matières premières (pour 75 % des élevages). La moitié des élevages ont installé un distributeur de concentré (Dac). Dans un cas sur deux, le coût alimentaire s’est amplifié.
Les aspects sanitaires comme la qualité du lait et la mortalité des veaux semblent bien maîtrisés et une majorité d’élevages ont mis en place des protocoles sanitaires (vaccination, suivie des taries,…). Par contre, l’augmentation des cheptels s’est traduite par une explosion des problèmes de boiteries dans 45 % des élevages.
+ 100.000 l/umo
« Pour 40 % des éleveurs, la charge de travail, le niveau de stress et le temps libre hebdomadaire se dégradent, fait remarquer Mathilde Fals. La quasi-totalité des élevages interrogés ont investi, dont 60 % dans un nouveau bâtiment et l’installation de traite. Les éleveurs les plus satisfaits de l’évolution de leur charge de travail, sont aussi ceux qui ont investi un bâtiment plus fonctionnel et/ou dans un robot de traite (18 %). »
Dans ces fermes, la main d’œuvre a augmenté de + 0,3 Umo et 20 % des éleveurs déclarent avoir créé de l’emploi via un salarié ou un groupement d’éleveurs. L’augmentation de la production s’est accompagnée d’une nette progression de la productivité par personne : le litrage produit par Umo a augmenté en moyenne de + 101.500 litres (+ 39 %) pour atteindre une production de 350.000 l/Umo.
Pas d’économie aux 1.000 l
L’agrandissement permet d’augmenter les résultats économiques mais ce n’est pas systématique : « Les charges variables par litre de lait peuvent stagner voire même être augmentées. Il n’y a pas d’économie de charges globale aux 1.000 litres, observe le Btpl. L’économie d’échelle semble porter uniquement sur le facteur travail. »
La performance économique des grands troupeaux laitiers repose alors sur une meilleure productivité du travail due à une spécialisation plus forte, de l’automatisation, la délégation du poste alimentation ou de l’élevage des génisses… Ainsi avec une bonne maîtrise technique notamment sur les volets alimentaire et sanitaire, les volumes de lait produits plus importants/Umo peuvent dégager un revenu supplémentaire. Mais de manière générale, si une exploitation peine à dégager de la marge avec 300.000 litres, la situation financière a peu de chance de s’améliorer avec 700 ou 800.000 l.
Prélèvements privés stables
Les prélèvements privés sont en hausse pour 20 % des élevages et stables pour 60 % des élevages. Sur les 38 exploitations enquêtées, 17 ont augmenté leur production de façon progressive sur les cinq années, tandis que 21 ont accru leur production par palier, soit + 50 % de production sur un an. Ces derniers ont davantage investi, notamment dans les bâtiments et l’achat d’animaux. Ces élevages ayant augmenté la production en deux temps présentent des marges brutes par unité de main d’œuvre et par tonne de lait, plus importante (+ 12.000 €/Umo entre 2008 et 2013 et + 10 €/1.000 l) que les élevages qui se sont agrandis de manière progressive. En effet, un agrandissement par pallier, souvent accompagné d’investissements importants, permet de mieux anticiper les problèmes et de prévoir les changements dans le projet.
Parmi les exploitations interrogées, 60 % veulent encore se développer dans les cinq ans à venir, pour atteindre entre 600.000 et un million de litres, voire plus.
10 points pour réussir l’agrandissement de son troupeau laitier
1. être clair sur ses objectifs
Pourquoi vouloir s’agrandir ? Gagner plus d’argent, faciliter le travail par des investissements plus importants, vouloir faire des économies d’échelle, travailler à plusieurs sur l’élevage et partager les astreintes ? Question de prestige ? Derrière, les stratégies seront différentes.
2. réussir la gestion des ressources humaines
Un domaine d’activité nouveau et capital : l’organisation et le « management des relations » entre associés et salariés
Un grand troupeau, c’est aussi plus de personnes en charge de la surveillance, d’où la nécessité d’enregistrer correctement toutes les observations et d’organiser la transmission des informations et des consignes entre intervenants : cahiers, tableaux, logiciels de suivi, points réguliers…
3. Savoir gérer le changement d’échelle
L’agrandissement des ateliers est souvent progressif, d’année en année, sans problème particulier. Arrive alors un pallier critique, variable selon les cas, à partir duquel la situation se dégrade brutalement : bâtiment surchargé, excès de travail, problèmes métaboliques, suivi du troupeau moins strict... Certaines tâches, qui ne posaient aucun souci avec un troupeau moyen, deviennent fastidieuses et complexes avec un troupeau de 200 vaches : conduite du pâturage, alimentation et complémentation, nettoyage et paillage des logettes, pratiques d’hygiène... Résoudre ces nouvelles problématiques passe généralement par un changement des méthodes de travail, une mécanisation plus importante ou l’emploi de main-d’œuvre supplémentaire. L’accroissement du troupeau conduit inéluctablement à une simplification du travail d’astreinte, pour gagner en temps, en pénibilité, et rendre les tâches facilement interchangeables. Ces évolutions se font parfois au détriment de l’optimisation des performances techniques et économiques.
Questions à se poser :
- Gestion des grands silos
- Alimentation : un ou plusieurs lots, une grande mélangeuse ou plusieurs mélanges ?
- Nettoyage et litière des logettes : du temps en plus, des quantités de litière en plus
- Maintien du pâturage : difficile quand le troupeau grandit
- Surveillance et reconnaissance des vaches : un temps minimum nécessaire
- Ventilation des grands bâtiments.
- Quelle installation de traite ?
- Elevage des veaux
4. Le choix d’un système de traite adapté et évolutif
Tous les systèmes de traite sont possibles pour un grand troupeau : de la salle de traite épi simple équipement, à la salle de traite rotative en passant par la robotisation. Le choix de l’installation est un compromis entre le coût de la main-d’œuvre et le montant de l’investissement (sans oublier la vision des éleveurs !). En règle générale, avec plus de 150 vaches, il est difficile de réduire à moins d’1h30 la traite, sauf investissements très importants et impasse sur l’hygiène. Quel que soit le système, le temps que la vache passe debout dans l’aire d’attente, puis en salle de traite et aux cornadis ne doit pas dépasser 2 heures consécutives, au risque de pénaliser la santé de l’animal (pattes) et sa production laitière (attente = temps improductif).
5. un plus grand besoin de régularité et de rigueur
- Une alimentation stable et constante sur l’année
- Une qualité de traite régulière
- Un suivi continu et régulier du troupeau
- Une répartition du travail uniforme
- Des remplacements faciles
Avec des aléas sur :
- Les conditions climatiques
- La qualité et la quantité des aliments
- Les variations de cours des matières premières
- Les changements de personnes
6. Prévenir plutôt que guérir
Les problèmes de santé les plus fréquemment rencontrés dans les grands troupeaux sont finalement les mêmes qu’ailleurs : mammites, cellules, troubles de reproduction, boiteries... Mais l’effectif important rend le développement de certaines pathologies plus difficile à maîtriser, et peut vite prendre des proportions catastrophiques. Il est donc impératif de mettre en place des protocoles préventifs qui peuvent paraître lourds et coûteux à première vue, mais la sécurité et la sérénité ont un prix...
Exemples de protocole à adapter à chaque troupeau en fonction des risques spécifiques :
- Vaccinations systématiques des veaux et des vaches
- Calcium en injection sur les vaches en 2e et 3e lactation en prévention des fièvres de lait,
- Parages et pédiluves réguliers,
- Echographies ou fouilles systématiques en fonction du nombre d’inséminations et de l’intervalle vêlage-insémination,
- Synchronisation de chaleurs et groupages de vêlages,
- Désinfection des installations,
- Isolement immédiat des animaux malades dans des locaux adaptés (infirmerie).
7. réussir l’élevage des veaux
L'élevage des veaux reste souvent le parent pauvre des grands élevages. Mieux vaut élever plutôt que d’acheter des génisses, voire déléguer l’élevage des génisses à l’extérieur.
8. Maitriser les couts
- Des investissements très importants
- Peu d’économies d’échelles sur les charges opérationnelles
- Peu également sur les charges de structure
- Un effet levier important : marge ou perte faible par unité x litrage important = perte ou bénéfice importants
9. Préparer la transmission
Quelle valeur de reprise ?
10. Créer un tableau de bord
Avec de grands troupeaux, il est primordial de garder constamment un œil sur les chiffres et d'adapter la conduite et les coûts de production en fonction du prix du lait. Un tableau de bord hebdomadaire ou mensuel avec des indicateurs clés permettra de mieux piloter son atelier et réagir vite à toute dérive.
- Produire plus ? Produire moins ? Quelles stratégies ont-ils adopté ?
- Dans l'Orne, le Gaec de Villeplée renonce à l'Aop pour produire plus
- Dans le Nord, Philippe et Jean-Pierre doublent la taille de leur troupeau
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