Vachitude

Lundi 7 mai, 6 heures du matin, les vaches sont endormies, pas un bruit. C'est qu'entre celles qui ont trop arrosé la victoire et celles qui ont noyé la défaite, tout le troupeau a la gueule de bois. « Debout là-dedans ! » Le border aboie, les vaches se lèvent péniblement. Maintenant, fini les discours, il faut se remettre au boulot. Il y a trois semaines, l'ambiance n'était pas la même. On a frôlé l'émeute, la débandade, la cavalcade, la débâcle. Jugez plutôt.

Depuis 2004, je croise mes holsteins avec diverses races, si bien que mon troupeau est devenu multicolore et multiracial. Un soir, allant surveiller les chaleurs, je m'approche subrepticement derrière la haie et j'entends monter une rumeur du pâturage. Intrigué, je prête l'oreille et j'écoute, incrédule, une holstein appeler à voter Sarkozy au premier tour : « Forte de mes 11 000 l de lait, je prétends qu'il faut manger plus pour produire plus. La compétitivité avec les États-Unis et l'Allemagne nous pousse à relever le défi des grands troupeaux performants. Le capital investi dans la génétique et l'alimentation doit rapporter. Exaltons le goût de l'effort et de la production ! » Aussitôt, une montbéliarde prend la parole : « Votez Hollande. Letoujours plus nous conduira à notre perte. Je milite pour les 35 l… par semaine. Regardez en Suisse, l'abolition des quotas a provoqué la surproduction et la ruine. » Les normandes, race mixte qui hésite toujours entre le lait et la viande, souhaitent se situer au centre du débat et appellent à voter Bayrou.

Soudain, la blonde (d'Aquitaine), qui vote bleu marine, s'écrit : « Peuple de l'herbe ! De noires flamandes s'introduisent nuitamment sous nos clôtures pour brouter nos vertes prairies. C'est inacceptable. Il faut se mobiliser. » Quelques copines acquiescent sur le champ. Mais deux jours plus tard, devant cette poussée flamandophobe, je dus enfermer la «brailleuse» dans un paddock ceint de barbelés électrifiés. Le border dépassé par les événements, j'attachais un berger allemand à la barrière

Arrivée depuis longtemps en France, la rouge norvégienne encourage à voter vert pour garder la banquise blanche. « Je préconise l'arrêt immédiat des centrales nucléaires qui polluent nos pâturages. Elles seront remplacées par des centrales au gaz, alimentées par le méthane de notre rumination. » L'Arthaude, qui n'est jamais avare de quelques coups de cornes ou de coups de pieds en vache, réclame la même ration, une logette et une place de cornadis par animal présent. Pas de favoritisme. Et sa copine de meugler aussitôt : « Un Poutou, tous pour un. »

La tension monte et les noms d'oiseaux fusent. J'entends un « Casse-toi pauv'corne », ce qui constitue l'insulte suprême chez la gent bovine.

À l'arrière du troupeau, Nunuche, toujours dans la lune, milite seule pour Cheminade depuis qu'il promet d'explorer Mars. Personne ne prête attention à la Mélenchone qui écoute dans son coin.

Soudain, elle meugle et aussitôt le troupeau dresse l'oreille, subjugué par sa verve et son charisme. Elle défend les 32 l par semaine et le droit pour toutes de produire suivant ses capacités. Suppression du Dac pour les plus méritantes, abolition de l'abattage pour les moins productives et les infertiles, retraite automatique après six lactations. Ce fut un tonnerre de battements de sabots.

Lundi 7 mai, 6 heures du matin, le réveil sonne. Je sursaute, en sueur, le cheveu hirsute. Ouf, ce n'était qu'un cauchemar ! Comme disait ma grand-mère : « On a bien assez de mal avec les gens. Il ne manquerait plus que les bêtes s'en mêlent ! » Et si le cauchemar, c'était maintenant ?