
Développer son troupeau, oui, mais en maîtrisant ses investissements.
Nous avons tous, dans notre commune ou notre canton, un artisan qui a bien réussi. Embauché comme apprenti puis ouvrier, il s'est installé à son compte. Au bout d'un certain temps, sa petite entreprise ne connaît pas la crise et il construit un bel atelier dans la zone industrielle. Il emploie plusieurs ouvriers. Tout le monde loue son esprit d'entreprise : « C'est un bosseur, il a bien mené son affaire. » Les politiques encouragent ces entrepreneurs et ces PME génératrices d'emplois.
Dans le même temps, l'agriculture a bien changé.
La restructuration est passée par là et les exploitations ont grandi. En culture ou en élevage hors sol, de véritables entreprises se sont développées avec un outil de production gourmand en capitaux. En élevage laitier, la norme est encore à la ferme familiale. Alors, quand un projet plus gros que la moyenne voit le jour, c'est la levée de boucliers. Les politiques s'opposent au nom de l'occupation du territoire… C'est d'ailleurs bien la seule fois où on les entend car, quand ils ont besoin de terrain pour un lotissement ou une autoroute, ils sont moins regardants. Les consommateurs sont contre car ils souhaitent conserver l'image d'Épinal du bon paysan avec son béret et ses sabots. Et la profession se déchire entre les tenants de la restructuration et les défenseurs de l'installation. Mais pourquoi ce qui est loué pour l'artisanat ne serait pas bon pour l'agriculture ? Pourtant, les économistes font l'éloge des Hollandais, Allemands et autres Danois dont la productivité par UTH est bien supérieure à celle des Français. On nous rabâche qu'il faut produire plus pour être compétitifs : 70 000 producteurs aujourd'hui, 20 000 en 2030 avec un quota de plus d'un million de litres, voilà les prévisions. Tout cela relève d'une logique libérale. Mais quand on voit à quoi aboutit le système danois, avec un endettement record et des pertes abyssales pour les plus grosses étables quand la mécanique s'enraye, on reste perplexe.
Néanmoins, petit à petit, l'idée de « grands troupeaux » fait son chemin.
D'abord, parce que la restructuration naturelle due à la pyramide des âges produit ses effets. Ensuite, parce que la propension de certains à se développer pousse à l'agrandissement. Enfin, les regroupements sociétaires concentrent les élevages. C'est alors que surgit, dans la Somme, le projet d'une étable de mille vaches et douze salariés, à l'initiative d'un magnat du BTP. Que des capitaux non agricoles soient investis dans la production n'est pas choquant en soi. Seulement, dans le dossier, le commissaire enquêteur retient « le plaidoyer d'un entrepreneur qui a besoin d'un volume d'activité pour rester compétitif ». Alors là, je dis stop. C'est un peu facile, quand on a l'argent, de bâtir une super-stabulation et de demander après du volume pour rentabiliser l'affaire. C'est un peu comme mettre la charrue avant les boeufs. Il faudrait sans doute prendre le problème dans l'autre sens en prévoyant d'investir raisonnablement dans une structure rentable et évolutive.
Produire plus est inéluctable mais, seul ou en couple, c'est souvent le bagne.
Alors, pourquoi ne pas s'appuyer sur une spécificité française, le Gaec, pour développer des grands troupeaux où le travail, donc les astreintes, est partagé, les investissements progressifs et maîtrisés. Les détracteurs ne manqueront pas de citer tel ou tel Gaec qui a explosé en plein vol. Mais, globalement, il y a bien plus de réussites que d'échecs. C'est là une voie alternative au modèle danois. Avoir une grande exploitation si elle appartient à la banque ? Ça me rappelle un dicton de ma grand-mère : « Mieux vaut un petit chez soi qu'un grand chez les autres ! »
PASCAL POMMEREUL
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