Casse-toi, pauv'con !

Subtil mélange d'odeurs de choucroute, de fromage fondu, d'alcool, de vaches : le pèlerinage à la Porte de Versailles fera le plein de politiques en campagne. Mais sont-ils tous préparés pour ce marathon lèche-sabots en quête de « voix » lactées ? Un rituel bien plus délicat qu'un recueillement à Colombey-les-Deux-Églises ou une balade à la roche de Solutré. Un casse-tête pour les chargés de communication des candidats à la présidentielle. Pas facile d'apprécier l'impact de ces bouseux qui ont la cote dans l'opinion publique, surtout pour des « pseudo-intello-parisianos mondains » qui snobent la paysannerie depuis bien des lustres.

Hormis Jacques Chirac qui semblait aimer sincèrement ce contact « bébêtes, bouffe et bonshommes », pour les autres, c'est l'épreuve de tous les dangers. Sarkozy en sait quelque chose et serait bien inspiré de sortir Carla et Giulia pour l'aider, en famille, à faire des guili-guili aux grosses bêtes pleines de poils. Carton médiatique assuré et bien plus futé que Disneyland ! Un drôle de phénomène quand même ce Salon ! Mathématiquement, « y a pas photo » : il y a bien plus d'électeurs bobos écolos qu'il ne reste aujourd'hui de culs terreux. Oui, mais c'est pas si simple. Malgré les critiques le 13 heures très rural de Jean-Pierre Pernaut sur TF1 continue de pulvériser les audiences. Encore un qui aime les gens, sans être obligé comme François Hollande de faire un meeting avec Yannick Noah pour le clamer. De l'authenticité sans paillettes, c'est la formule pour transformer le lait en crème, la crème en beurre.

Autre phénomène de société, et pas des moindres, qui perturbe les faiseurs d'images : l'émission L'Amour est dans le pré sur M6. Personne n'y croyait, un étonnant succès, totalement imprévisible et à l'impact positif sur ce petit monde des agriculteurs. Surprenant !

Mais là encore, la découverte de la vraie vie. Des images sublimes, une ravissante animatrice franche et directe mais délicate et respectueuse. Elle aime les gens et ça se sent. Du beurre ! Bien loin de la droite bling-bling ou de la gauche caviar, les Français, « ces veaux » comme disait le grand homme, se rapprocheraient-ils des valeurs oubliées, voire dénigrées, et ce contre toute attente ? Les « facebookés », « youtubés » ou « twittés » en tous genres restent attachés à des valeurs. Le travail, le risque, le courage, l'amour et la passion de son activité font recette. Les prévisionnistes en bouffent leurs statistiques.

Bruno Le Maire affirmait qu'après lui, l'agriculture française aurait un autre visage. Sans doute. Mais le lifting libéral auquel l'Union européenne nous contraint, ce coup d'accélérateur à cette restructuration jusque-là silencieuse sera-t-il du goût de la société ? Ceux qui seront encore là pourraient bien s'en mordre les doigts. Et qu'ils ne comptent plus sur les contribuables pour abonder leurs DPU et assurer leur revenu. L'après-quotas, c'est la vache-béton d'Europe du Nord, menée par lots de cent, qui va de sa logette à son cornadis, en passant par la case robot mais jamais par la case pâturage. L'après-quotas, c'est aussi un travailleur investisseur paysan fournisseur de matière première pas chère à une industrie juteuse pour ses actionnaires.

L'Europe des quotas a préservé les territoires, les cultures, les races et les hommes. L'Europe des contrats ne préservera que les dividendes. Quand viendra l'heure de l'Europe des constats, comme pour la finance, il sera trop tard ! Bien évidemment, les responsables ne seront déjà plus là et personne n'aura la satisfaction de se défouler en disant « casse-toi, pauv'con ».