
C'est un mec banal qui a toujours fait la sourde oreille au chant des sirènes.
C'est l'histoire d'un petit paysan, qui passe inaperçu, perdu au fin fond de ses pâtures. Il ne s'est pas posé de questions, il a succédé à papa après avoir épousé une fille de la ville, ravie de se retrouver au milieu des vaches et des veaux. Ils ont vite compris que la poésie s'arrêtait là où la réalité commence. Bien du mal à trouver un banquier qui accepte de financer les parts de la reprise revenant aux frères et soeurs : 30 ha de prairies, une vingtaine de vaches et quelques boeufs, pas de quoi exciter un surfer du Cac 40 ! Mais bon, avec hypothèque et cautions, ils ont décroché le droit de rembourser pendant quinze ans. Une petite salle de traite d'occase, petite stabu, poteaux EDF, petit silo, traverses SNCF et hop, trente vaches heureuses à l'herbe, « Tout ce qu'il ne fallait pas faire et que l'on présente aujourd'hui comme l'avenir. » Un bon lait transformé en partie par Madame et vendu sur les marchés. Beaucoup de boulot mais heureux et sereins dans leur petite entreprise.
Un jour pourtant, des apôtres du modernisme, des grosses têtes de la ville ont dégainé tout un arsenal de mesures d'hygiène industrielles à respecter : locaux spécifiques, carrelage, vitrine réfrigérante... 20000 € minimum ! Travailler encore plus pour rembourser, en gagnant encore moins, ce n'est pas le genre de la maison, alors stop. Madame reprend le chemin de la ville, trouve du boulot à la supérette où ses qualités de contact sont très appréciées, pas fainéante, toujours partante pour les heures sup. Comme il aime le dire, c'est du sûr qui rentre. Et puis elle part le matin toute jolie et revient le soir toute mignonne. Elle aurait été comment s'ils s'étaient enchaînés à un prêt sans même savoir s'ils pouvaient y faire face ? Il affirme plaindre ceux qu'il voit à la télé dans leurs ateliers de transformation à la ferme : on croirait un reportage sur Tchernobyl ou un épisode du Dr House ; c'est le terroir tourné en ridicule par une société hypocrite. Et ils en ont rajouté une couche, les cols blancs citadins, pour éliminer les petits qui ne touchent pas la prime maïs des gros. « Les mises aux normes », quelle belle invention d'engloutir du béton et des subventions dans des mesures bidon. La question s'est quand même posée, surtout à cause du gamin passionné par la ferme.
Mais chez ces gens-là, on ne rêve pas, Monsieur, face à des écoles d'agriculture qui débordent de futurs sacrifiés, on prend ses responsabilités de parents, on tranche, Monsieur, c'est non à l'installation. Le fils, il s'amusera plus tard s'il le veut, avec quelques bêtes sur quelques hectares. Il est courageux, il touche à tout. Il trouvera du boulot le moment venu : 35 heures, des week-ends et des congés qui n'en finissent plus. Elle est pas belle la vie ? Quant aux mises aux normes, c'est niet, niet et reniet. Pas question de s'endetter pour faire de « l'élevage hamburger ». Une boîte en béton, une couche de lisier, une autre de tapis et une dernière épaisseur, les vaches. Lui, il prend encore du plaisir à les traire, elles ne risquent pas de tourner en rond autour d'un robot en panne, attendant l'informaticien qui va remplacer une plaquette qui coûte dix jours de production. L'administration ne l'a pourtant pas oublié. Par une missive officielle, il sait que désormais, il fait partie des dangereux terroristes qui mettent en péril l'avenir de la planète. Même pas peur, rien à foutre, et vous savez pourquoi ? Pas de dettes, pas de prêts, il ne doit rien à personne. « J'ai un petit EBE, mais c'est tout dans la poche. »
Ironie, les banquiers lui font même la chasse pour lui coller le prêt d'aide à la trésorerie dont il n'a nul besoin, mais qu'ils espèrent récupérer en placement. Inquiet, il affirme : « Ça va mal finir tout ce cirque ». Petit mot pour Bruno : Dites, Monsieur le Ministre, dans votre commission de réflexion bling bling sur l'avenir de l'agriculture française et, excusez-moi du peu, européenne, vous ne pourriez pas l'inviter, mon petit cul-terreux ? Juste histoire qu'un trublion les empêche de tourner en rond !
ÉRIC CROUHY
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