
Le Canada, paradis de l'or blanc transposable dans l'Union européenne ? Pas si simple.
Dans ce monde médiatique où chacun commente l'actualité, il est de bon ton d'avoir des avis sur les événements. Alors si, comme moi, vous ne vous prenez pas pour Jean-Michel Aphatie (RTL) ou Jean-Marc Sylvestre (TF1 et LCI) et que, comme moi, vous n'avez pas un avis pertinent sur la politique ou l'économie, voire pas d'avis du tout, il existe une technique pour se sortir de l'embarras avec les honneurs. Lors du prochain repas de famille, si votre voisin de gauche vous apostrophe : « Le salaire de Proglio (patron d'EDF et Veolia) est une honte, le port de la burqa devrait être interdit… » Respirez profondément, prenez un air mystérieux et répondez : « Oui, mais c'est plus compliqué que cela ». Puis, après un long silence qui laisse supposer que vous détenez des informations confidentielles, replongez-vous dans la dégustation de votre sole meunière. Vous lirez alors dans le regard de votre voisin de l'étonnement, voire du respect, car c'est vrai que tout est plus compliqué qu'il n'y paraît.
Historiquement, les grands pays d'Europe s'étaient partagé les affaires, de façon informelle : l'industrie à l'Allemagne, l'agriculture à la France, le commerce au Royaume-Uni. « Oui, mais… » Depuis la chute du mur de Berlin, l'Allemagne a dû digérer la réunification et réguler l'afflux d'Allemands de l'Est vers l'Ouest. Aujourd'hui, pour soutenir l'activité économique et occuper le territoire, certains libéraux semblent vouloir torpiller la production laitière des autres pays pour la développer à l'Est avec une main-d'oeuvre bon marché. Ce n'est plus du billard à trois bandes, mais une partie d'échecs (et mat) pour la France.
On veut nous faire croire que le modèle danois, c'est l'avenir. Plus tu grossis, plus tu gagnes ? « Oui, mais… » Les études montrent qu'une exploitation danoise de 450 000 l de lait dégage quasiment le même revenu qu'une ferme bretonne avec 200 000 l. Quand on sait que le lait est l'une des rares productions possibles dans les régions défavorisées, il y a aussi du souci à se faire de l'Auvergne à la Lituanie.
Bruno Le Maire s'est fortement impliqué dans le dossier du lait et de la régulation. « Oui, mais… » Les vingt et un États membres, qui le suivent sur le papier, n'ont pas tous la même vision du futur paysage laitier et des outils à activer pour réguler. Et s'il est élu aux régionales et démissionne (comme il l'a dit), qui tirera ce G 22 ? Et dans quel sens ?
Deux Canadiens, invités par l'Apli, ont sillonné la France pour expliquer le système spécial de quotas à géométrie variable mis en place dans leur pays. La production aux mains de producteurs solidaires est régulée pour répondre aux besoins du marché intérieur. Résultat : un prix du lait à 450 la tonne sans aides de l'État. Pour autant, le consommateur n'achète pas ses yaourts plus chers qu'aux États-Unis où le lait est payé moitié moins. Et les industriels, tels Parmalat ou Saputo, investissent et distribuent des dividendes à leurs actionnaires… preuve qu'ils valorisent le précieux liquide même payé cher. Alors, le Canada, paradis de l'or blanc ? « Oui, mais… ».
Ce pays bénéficie d'un régime OMC spécial qui limite les importations entre 4 à 5 % du marché. De surcroît, le Canada exporte très peu : moins de 3 % de son lait. Le copier obligerait à baisser la production de l'Union européenne de l'équivalent des 10 % qu'elle exporte. Qui y est prêt ? Les producteurs canadiens ont mis vingt ans à peaufiner ce système qui a aussi des effets pervers. Le droit à produire s'achète très cher. Conclusion des deux Canadiens : « Notre modèle n'est pas transposable à 100 % mais il est indispensable que les producteurs s'investissent pour organiser la collecte et devenir une force de négociation face aux industriels. »
Alors, contractualisation, régulation, office du lait… autant de choix que ma grand-mère tempère par un : « Oui, mais ça va être beaucoup plus compliqué que ça. »
PASCAL POMMEREUL
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