
Tout le monde en parle, chacun a sa définition.
Dans le grand tintamarre de la crise laitière, chacun y va de son prix. Les Belges vendent 180 €. Les industriels français réclament 200 €. Un groupe de producteurs bretons est allé à Bruxelles pour afficher un prix d'équilibre à 240 €/t. Un économiste de l'Institut de l'élevage annonce dans la presse régionale bretonne un tarif équivalent. Les centres de gestion donnent des moyennes à 300-350 €. Le syndicat majoritaire défend un accord à 280 € pendant qu'un autre mouvement réclame 400 €. Une chose est certaine : l'écart entre les plus performants et les moins efficaces atteint une centaine d'euros. « Avant la crise, la moitié des producteurs laitiers gagnait moins que le Smic », affirment les CER. Et pendant la crise ? Et d'abord, de quel Smic parle-t-on ? D'un Smic horaire, soit 60 h/semaine x 6,84 € x 4 = 1 640 €, ou d'un Smic mensuel à 1 050 € ? Quel salaire « honnête » devrait se verser un producteur pour vivre décemment ? Aux consommateurs qui nous demandent avec compassion : « Le prix du lait chute de 30 %, alors votre salaire aussi ? » Il faut répondre : « 30 % de baisse sur le lait, c'est 100 % du revenu qui disparaît. »
« À 240 €/t, on couvre les charges en attendant des jours meilleurs », dixit certains libéraux. On vit comment en attendant ? Ceux qui le peuvent tapent dans leur tirelire, mais les autres n'ont plus qu'à se faire hara-kiri ou s'endetter encore, si les banques suivent. Alors, dans les discussions, apparaît un nouveau critère : le prix de survie. Combien de temps puis-je tenir ?
C'est pourtant simple : à 260 €/1 000 l, la moitié des éleveurs couvrent leurs charges, annuités comprises. C'est le prix de survie. Rajoutez 60 € pour une rémunération de 1 500 € net par mois (pour 300 000 l de quota par UTH) + 30 € pour la MSA et vous obtenez le prix d'équilibre, soit 350 €. Tous les adhérents lait des Ceta d'Ille-et-Vilaine font ce calcul avec leurs propres chiffres.
Le vrai problème en agriculture, c'est que l'on ne parle jamais de prix nets comme dans le commerce ou l'industrie, c'est-à-dire le produit moins les charges, y compris la rémunération du travail et du capital social. Pas étonnant que personne ne s'y retrouve. Prix d'équilibre, coût marginal, marge brute, marge nette… Autant de termes comptables qui embrouillent le discours et permettent à chacun des protagonistes de ramener la couverture à lui.
Les industriels laitiers ont beau jeu de faire pression sur le prix quand on parle de coûts de revient aussi hétéroclites. J'espère quand même que nos représentants au Cniel ont des chiffres plus précis et des arguments affûtés.
Et la grande distribution s'en mêle. D'ailleurs, en manifestant chez eux, les éleveurs leur ont donné voix au chapitre. Plus que jamais, les grandes enseignes se positionnent en défenseurs du pouvoir d'achat, y compris pour les éleveurs. En clair, les « méchants » sont ailleurs.
Les grands patrons de la distribution vont jusqu'à juger les « erreurs » de gestion des éleveurs. En tant que champions de la compression des charges, ils s'autorisent à nous faire la morale. L'agriculture engage trop de capitaux et surtout l'amortissement est bien trop long. Pensez donc, construire des cathédrales surdimensionnées et les amortir sur quinze ans, quand eux optimisent le moindre mètre carré et remboursent le bâtiment en cinq ans, leur paraît insensé. Ils se vantent presque de se contenter de 2 % de marge nette. Sauf que sur un chiffre d'affaires de plusieurs millions d'euros, cela donne un pactole qui permet de réinvestir et fait de ces familles les plus grandes fortunes de France. « Ces marges nous permettent de maintenir l'emploi », clament-ils à longueur d'interview. En attendant, pour nous éleveurs, il va bien falloir se plonger dans la comptabilité pour voir où économiser pour tenir jusqu'à la prochaine embellie. Ma grand-mère vous adresse cette pensée qui ferait se gondoler un Vénitien : « Revenons aux anciens francs. Au moins, à cette époque, on faisait son beurre. »
PASCAL POMMEREUL
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