Quel premier bilan faites-vous du décret sur les contrats ?
Jean-Pierre Carlier : Il faut se souvenir que Bruno Le Maire avait promis dès 2009, aux éleveurs français et à l'Europe entière, une nouvelle politique laitière qui serait « mieux que les quotas ». Sa solution : la contractualisation obligatoire, une interprofession confortée et le pouvoir des producteurs renforcé. La France a donc demandé à la Commission européenne une feuille de route (le paquet lait) qui permettrait aux États membres de rendre obligatoires des contrats écrits entre producteurs et transformateurs, et qui autorisaient les producteurs à s'organiser pour négocier avec les laiteries. Dès le 1er avril 2011, Bruno Le Maire décrétait une obligation contractuelle. Cinq mois plus tard, alors que le Conseil des ministres, avec le Parlement européen, prépare la décision finale du paquet lait, on apprend que moins de 10 % des producteurs français auraient signé ce fameux contrat. Vu de Bruxelles, cela s'apparente à une « bérézina » pour Bruno Le Maire.
Quelles sont les raisons de cet échec ?
J.-P. C. : La principale raison est d'ordre juridique. Les droits fondamentaux (code civil, droit commercial) sont basés sur le principe intangible de l'adhésion des deux parties au contrat à signer. C'est ainsi que ce décret ne rendait obligatoire qu'aux laiteries de proposer un contrat aux producteurs. Ensuite, les coopératives ont estimé qu'elles étaient hors du champ de l'obligation contractuelle du décret en affirmant qu'elles sont déjà en contrat avec leurs adhérents. Les entreprises privées avaient donc toute liberté de proposer leur propre contenu de contrat. Le prétexte était tout trouvé pour les syndicats de producteurs de dire à leurs troupes de ne pas signer car certaines clauses sont, à leurs yeux, inacceptables. Cet échec signe aussi l'impuissance du Cniel qui a été incapable de proposer un contrat type. Son guide des bonnes pratiques, dévoilé en mars 2011, n'impose rien aux deux parties. De son côté, la FNPL prépare des clauses types sur les sujets sensibles que sont le prix, la gestion des volumes et le transfert des quotas. Mais ce travail, bien qu'utile, tout comme un hypothétique contrat type interprofessionnel, n'aura jamais force de loi, contrairement à ce qui était prévu dans le projet de loi de modernisation agricole. Évidemment, le ministre ne s'est jamais vanté de ces obstacles juridiques. De plus, l'autorité du droit français à la concurrence imposera que « la détermination du contenu du contrat (prix, volumes, durée) doit être négociée de manière indépendante et sans concertation entre transformateurs ». Quid alors de l'obligation des cinq ans du décret français et des indicateurs sur le prix du lait ? Enfin, dans notre Constitution, un décret peut rendre obligatoire un contrat mais seulement au titre de « l'intérêt général ». Or, sans obligation aux coopératives, lors d'un contentieux judiciaire, la Cour de cassation pourrait estimer l'absence d'intérêt général et annuler le décret.
Des OP fortes pourraient-elles lever ces difficultés ?
J.-P. C. : Sur certains points, on pouvait l'espérer. Mais les divisions que nous observons entre les syndicats de producteurs, qui s'amplifieront à l'approche des élections aux chambres d'agriculture, ne vont pas dans ce sens. À mon avis, tant que le Cniel n'acceptera pas tous les syndicats de producteurs dans son conseil, ces derniers seront trop divisés pour avoir des organisations faisant le poids face aux laiteries et surtout face à la distribution. Aussi fortes soient les OP, cela ne stabilisera en rien le marché des produits laitiers. L'UE a choisi de démanteler ses outils de régulation et le futur paquet lait confirmera l'essentiel de cette politique libérale. Autant dire que la maîtrise globale du marché laitier n'est pas pour demain. Bruno Le Maire, sur injonction de l'Élysée, n'a réussi qu'un coup politique en voulant faire croire que sa loi et le paquet lait de l'UE demandé par la France assureraient le bonheur des éleveurs.
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