
Dans un élevage laitier, le risque mycotoxine est à prendre au sérieux, même s'il reste difficile à évaluer. L'usage d'additifs alimentaires se décidera au cas par cas, sachant que l'inactivateur de toxines universel n'existe pas encore.
LES MYCOTOXINES SONT DES SUBSTANCES ORGANIQUES (métabolites) toxiques, produites par certaines souches de moisissure. Ce sont des contaminants naturels de l'alimentation, dont les effets néfastes pour l'homme et l'animal sont connus depuis longtemps. C'est surtout la dose ingérée qui détermine le danger. Le développement de champignons dans l'aliment est donc un préalable indispensable à la présence de mycotoxines. Mais un fourrage moisi pourra très bien être indemne. Car il faut un substrat et des conditions particulières d'humidité et de température pour que les agents fongiques produisent des mycotoxines.
DE CHAMP ET DE STOCKAGE
On distingue souvent les mycotoxines du champ produites par des champignons qui se développent sur les cultures (fusarium) et contaminent ainsi les céréales et les ensilages de maïs. Les plus fréquentes en France sont le DON (de la famille des trichothécènes) et la zéaralénone (ZON). Le non-labour, la monoculture, les stress hydrique et thermique de la culture sont des facteurs favorables à la contamination.
D'autres mycotoxines, moins connues, donc moins réglementées que les précédentes, se développent au stockage, notamment sur les fourrages conservés (foin, paille, ensilages). Peu de données toxicologiques sont disponibles sur ces mycotoxines des fourrages pourtant susceptibles d'affecter les ruminants.
LA RÉSISTANCE DES RUMINANTS SURESTIMÉE ?
Les ruminants sont généralement considérés comme résistants aux mycotoxines. En effet, la flore du rumen et ses fermentations ont la capacité d'en détoxifier certaines. Mais il existe toujours un facteur dose et certaines mycotoxines peuvent être à l'origine de symptômes aigus, pouvant aller jusqu'à la mort de l'animal. La détoxication par le ruminant peut être partielle et une fois passé le rumen, les toxines entrent dans la circulation sanguine, altérant l'immunité et les fonctions hépatiques.
Plusieurs éléments influencent la sensibilité des vaches laitières : le niveau de contamination de la ration, la durée d'exposition et la capacité de chaque animal à détoxifier. Ainsi, une vache en acidose avec une flore ruminale altérée sera-t-elle plus fragile. Idem pour les hautes productrices qui ingèrent de grandes quantités d'aliments et possèdent un transit digestif plus rapide.
Alors sous-estimerions-nous les effets des mycotoxines chez la vache laitière ? Plusieurs éléments restent flous : avec des bovins, il est difficile d'évaluer les doses de mycotoxines ingérées et le niveau de détoxification. Des seuils de toxicité ont été établis pour les toxines les mieux connues, celles liées aux céréales. Les données sont beaucoup plus éparses pour les mycotoxines liées à la conservation des fourrages. La contamination des rations est aussi multiple et ne se limite pas à une seule toxine. Or, il existe un risque d'effet synergique ou additif toujours difficile à évaluer. Enfin, des mycotoxines masquées non détectables à l'analyse ont été découvertes. Le sujet est complexe et les études manquent encore.
DES TROUBLES NON SPÉCIFIQUES
Les symptômes d'une intoxication aux mycotoxines sont souvent frustes et non spécifiques, donc difficiles à identifier. D'après la bibliographie, une contamination au DON provoque une diminution de la production laitière. La zéaralénone (ZON) agit davantage sur les performances de la reproduction : chaleurs irrégulières, kystes ovariens, fertilité en chute, voire avortement pour des niveaux de contamination élevés. Plus généralement, les mycotoxines provoquent des désordres métaboliques et affaiblissent les défenses immunitaires, accentuant les accidents sanitaires : mammites, métrites, désordres digestifs, fourbures. « Souvent, le troupeau dans son ensemble apparaît fatigué sans que l'on sache pourquoi », nous confiait un conseiller d'élevage.
QUELLE STRATÉGIE ADOPTER ?
Comment évaluer le risque mycotoxine dans un troupeau ? Plusieurs approches existent sur le terrain. La plus commune est d'envisager les mycotoxines après que tous les autres éléments du troupeau ont été vérifiés : la ration et sa distribution, l'abreuvement, le parasitisme, le confort du bâtiment, l'assurance que les vaches mangent et ruminent normalement... « Les mycotoxines peuvent avoir bon dos en l'absence de solutions à un problème. Mais il faut être en alerte sur le sujet. Lorsqu'on est assuré que tout fonctionne et qu'il semble manquer 1 ou 2 kg de lait par vache, il est possible d'envisager une recherche. Dans d'autres cas plus aigus, avec des soucis de reproduction, de leucocytes, ou de diarrhées récurrentes, qui laissent suspecter une intoxication, inutile de passer par l'analyse et perdre un mois avant le résultat, il faut intervenir aussitôt », explique Stéphane Saillé, de BCEL Ouest.
Au Clasel (Sarthe-Mayenne), l'expérience des années passées a conduit à une stratégie offensive. « Dans les élevages identifiés à risque (connaissance d'accidents sanitaires liés aux mycotoxines, pratiques culturales sensibles, etc.) et chez les éleveurs déjà sensibilisés au risque et qui souhaitent se protéger, nous proposons une analyse dès l'ouverture des silos de façon à réagir au plus vite. Car en laissant traîner, les conséquences peuvent être coûteuses. Or, entre le diagnostic, le délai d'analyse et l'usage d'un additif alimentaire, il peut se passer plusieurs mois pendant lesquels les vaches s'intoxiquent », explique Emmanuel Lepage, du Clasel.
Pour accompagner les éleveurs dans l'évaluation du risque mycotoxine, plusieurs firmes spécialisées dans la nutrition animale proposent une méthode ou un audit de l'élevage (souvent disponible sur internet) qui annonce une probabilité de contamination. « Au niveau d'un élevage laitier, ce peut être une indication mais pas un outil prédictif. En fait, il n'existe pas de stratégie prédéfinie, nous agissons au cas par cas », précise Jean-Denis Bailly, de l'unité de mycotoxicologie, à l'ENVT (École nationale vétérinaire de Toulouse).
L'ANALYSE ET LE RISQUE TOXICOLOGIQUE
La recherche des mycotoxines dans la ration coûte relativement cher (160 à 200 € par analyse) avec un délai assez long (trois à quatre semaines) avant de recevoir les résultats. Et dans la plupart des cas, « quand on en cherche, on en trouve ». Toute la difficulté est alors d'identifier le risque toxicologique. En l'absence de seuils fiables pour certaines toxines, il faut recouper les résultats analytiques avec les symptômes observés. La méthode reste empirique.
Quoi qu'il en soit, l'échantillonnage avant analyse est ici capital. C'est le mélange distribué aux vaches qui doit être prélevé sur toute la longueur de la table d'alimentation.
« Nous prélevons pendant cinq jours à J1, J3 et J5, de façon à avoir une représentation de tout le front d'attaque du silo », précise Emmanuel Lepage.
« Il n'existe pas de traitements contre les mycotoxines. La première des mesures est d'enrayer l'exposition en changeant de fourrage, ou en étant plus attentif aux moisissures présentes, mais ce n'est pas toujours possible », avertit Jean-Denis Bailly.
Une autre voie est d'utiliser des capteurs de toxines.
QUELS CAPTEURS OU INACTIVATEURS CHOISIR ?
Il s'agit d'un sujet sensible où chaque firme possède le meilleur produit. Citons en premier lieu les absorbants inorganiques à base d'argiles ou de charbon actif. Il existe plusieurs catégories d'argiles qui peuvent être associées.
Ces produits sont en général bon marché mais, sans un traitement particulier, ils ne captent pas ou peu la zéaralénone et le DON. Le charbon actif est efficace sur le DON, mais a tendance à capter aussi les nutriments.
Dans la famille des absorbants organiques, il existe des enzymes capables de reconnaître les toxines pour modifier leur structure et les inactiver. Des bactéries vivantes peuvent avoir cette même action de dégradation ou produire les enzymes ad hoc. Les parois de levures ont montré aussi leur efficacité (in vitro) pour fixer la ZON. Autant dire qu'il n'y a pas de produit miracle efficace contre tout. Alors beaucoup de présentations commerciales associent plusieurs capteurs.
« À l'heure actuelle, en l'absence de données toxicologiques bien établies chez les bovins (effet dose précis pour les différentes toxines), aucune publication n'apporte la démonstration éclatante de l'intérêt économique de ces produits en élevage laitier », précise Jean-Denis Bailly.
DOMINIQUE GRÉMY
Il n'existe pas de traitements contre les mycotoxines. La première des mesures est d'enrayer l'exposition en changeant de fourrage, ou en étant plus attentif aux moisissures présentes. © SÉBASTIEN CHAMPION
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