
Depuis deux hivers, le Gaec Dioley a troqué son mélange de tourteaux et VL 2,5 l du commerce par une complémentation azotée 100 % tourteau de colza, associée à du blé. Bilan technique et économique positif.
IL Y A LONGTEMPS QUE LA HAUTE-MARNE A TORDU LE COU à cette idée selon laquelle le tourteau de colza est moins adapté que le soja pour complémenter des vaches en lactation. Elle a surtout validé qu'il peut servir seul de correcteur azoté. La Haute-Saône serait-elle sur le point d'emboîter le pas de sa voisine près de quinze ans après ? Possible, si l'histoire de l'expérience réussie d'une exploitation qui fait tache d'huile se répète. Pour le moins, elle commence de la même façon. Retour mi-2009, en pleine crise sur le prix du lait. Au Gaec Dioley, ancien livreur de la fromagerie Roussey atterri chez Entremont à la suite du rachat de l'entreprise, l'heure est à l'inquiétude. Mais surtout à la recherche de solutions pour éviter le pire qui s'annonce pour la trésorerie. « À la fin de l'été, on nous parlait d'un prix de base à 250 €/1 000 kg pour novembre-décembre, soit avec la flexibilité de notre nouvel acheteur, un prix du lait à 244 €/1 000 kg. Un peu juste quand, en face, le prix du complémentaire azoté du commerce tourne à 340 €/t », se remémorent Dominique et Éric.
S'ils n'ont jamais évalué de façon très précise (comptable) leurs coûts d'alimentation, les deux frères savent intuitivement qu'à ces niveaux de prix d'aliment, leur ration d'hiver est économiquement « out ». Leurs 80 laitières sont menées de novembre à mars en ration complète mélangée à base d'ensilage de maïs et d'herbe (deux tiers/un tiers), équilibrée à 28 kg de lait avec un peu plus de 3 kg d'un mélange dit « haut de gamme » de tourteaux (en partie tannés) et 2 kg d'un VL 2,5 l du commerce.
Dans le même temps, leur nouvelle technicienne du contrôle laitier, Isabelle Poizat, cherche un point de chute pour « expérimenter » une ration économique à base de tourteau de colza comme seul correcteur azoté, pas tant pour la tester.
S'APPUYER SUR UN CAS CONCRET LOCAL POUR VAINCRE LES RÉTICENCES
Des essais de l'Institut de l'élevage, conduits dans les années quatre-vingt-dix, ont prouvé que le colza pouvait sans souci technique remplacer le soja à raison d'1,5 kg pour 1 kg avec, à la clé, un petit gain de lait (0,6 kg/VL), un léger plus en TP (0,3 g/kg) mais un effet dépressif sur le TB (- 1,2 g), des résultats largement confirmés par la pratique des éleveurs haut-marnais. À vrai dire, il s'agit plutôt pour Isabelle, avec une expérience locale, de vaincre la réticence toujours vive en Haute-Saône contre le 100 % colza. Sa proposition trouve ici une oreille attentive.
Novembre 2009 : les 5,5 à 6,5 kg d'aliments du commerce, trop coûteux, passent à la trappe. Ils sont remplacés par 5 kg de tourteau de colza acheté et 2 kg de blé aplati de l'exploitation. Un peu moins au cours de l'hiver 2010-2011 (3,5 à 5 kg de colza, 1,5 kg de blé).
La part d'ensilage d'herbe augmente aussi. Les apports passent de moins de 4 kg à plus de 5 kg pendant l'hiver 2009-2010. Ils montent jusqu'à 6,5 kg de MS/VL/j au cours du second hiver où les frères Dioley craignent, à tort, de manquer de maïs. L'erreur d'appréciation de stock se révélera a posteriori positive, les associés prenant conscience d'avoir mieux valorisé l'herbe produite sur l'exploitation. Ils touchent aussi aujourd'hui du doigt l'intérêt de jouer la carte de ce fourrage riche en azote pour limiter les achats de complémentaires nécessaires pour équilibrer leur maïs.
Pas de changement, en revanche, dans la confection de la ration complète distribuée deux fois par jour. Toujours la même méthode très simple et économique. Ici, pas de remorque mélangeuse distributrice. En action, une fourche godet sur tracteur et une désileuse distributrice portée de 4,5 m3, équipée d'une trémie pour concentrés. Plus concrètement, il s'agit de désiler l'ensilage d'herbe à la fourche, de le déposer devant le front d'attaque du silo de maïs désilé. Puis de remuer grossièrement les deux tas, avant de charger l'ensemble avec la désileuse et de distribuer ce mélange dans une auge surélevée.
Les résultats de la nouvelle stratégie de complémentation se révéleront probants (voir infographie). Comparé à 2008- 2009, le troupeau vient de finir ses cinq mois de stabulation avec un gain de 895 kg de lait/ VL. Paradoxe, car sur le papier, la ration était moins concentrée en PDI/UFL (90 à 98 g, contre 115 g de PDIE/UFL), et donc a priori moins lactogène. La qualité de l'ensilage d'herbe, réalisé tôt pour une fois (le 10 plutôt qu'après le 20-25 mai), a certainement joué dans le bon sens. « La prise de risques a payé avec des valeurs d'analyse de cet ensilage à 30 % de MS, 0,92 UFL, 77 de PDIN et 72 de PDIE », observe Dominique. qui estime avoir encore des marges de progrès en travaillant maintenant sur la flore de ses prairies naturelles. Une émousseuse vient d'être achetée. En réflexion aussi du sursemis sur une partie des 40 ha ensilés par an. La progression du niveau moyen de l'étable à près de 8 800 kg/VL est d'autant plus remarquable que la part de primipares est passée de 28 à 44 %. Une excellente persistance laitière a été observée avec le 100 % de colza. « Nombre de génisses étaient encore, au septième contrôle, à 32 kg en 2009-2010 et 34-35 kg cet hiver », constate Isabelle Poizat. « Nos animaux sont apparus assez en forme avec, notamment, un bon maintien de leur état d'engraissement », note Dominique… le fait sans doute de la richesse en amidon du maïs récolté ces deux dernières années (428 g/kg de MS en 2009, 404 et 320 g/kg pour deux maïs en 2010). Le phénomène a été surtout marqué il y a un an Moins au début de l'hiver 2010-2011. La faute à une part d'ensilage d'herbe montée à plus de 40 % des fourrages distribués.
UN COÛT DE CONCENTRÉS RAMENÉ À 35 €/1 000 KG
Comme attendu avec du 100 % tourteau de colza, le TB a fléchi mais de façon plus franche (- 2,3 g/kg en 2010-2011 par rapport à 2008-2009). Moins étonnant en revanche pour la technicienne, la baisse du TP (- 0,6 g/kg). Elle l'explique par la proportion plus importante d'ensilage d'herbe apportée. D'où son conseil pour la saison prochaine : assurer une quantité certaine d'ensilage maïs et, avec lui, d'amidon.
Cette baisse du taux de matière utile enregistrée (mais pas de la matière utile produite) s'est soldée au Gaec Dioley par une baisse sur le prix du lait de 9,30 €/1 000 l… un impact que Dominique et Éric relativisent. D'abord, par le lait produit en plus compte tenu de la référence matière grasse du troupeau. Mais surtout par l'économie sonnante et trébuchante sur le coût de concentrés. « On est passé de 67 €/1 000 kg de lait sur l'hiver 2008-2009 à 35 €/1 000 kg en 2010-2011. » En cause, pour partie, les quantités distribuées par laitière et par jour, mais surtout le prix des matières premières utilisées. De novembre à janvier, les laitières ont tourné avec du colza à 145 €/t, et sur février-mars à 205 €/t. Explication de Dominique : « En février-mars 2010, j'ai réservé pour l'hiver 2010-2011, 60 t de tourteau à 145 €/t. Les deux premiers semis de 24 t ayant été consommés jusqu'en janvier, j'ai complété la troisième livraison de 24 t commandée dans l'hiver avecdu tourteau à 265 €/t ». Pour la saison hivernale 2011-2012, la commande a déjà été réservée : 50 t à 206 €/t…
Précision : les 35 €/1 000 kg de concentrés incluent le CMV, un 4,5/25/5 (P/Ca/Mg) distribué à raison de 110 g/VL/j. Il n'y a donc pas eu d'impasse sur le phosphore, ce qui est souvent pratiqué avec du tourteau de colza compte tenu de sa richesse en cet élément. Explication : « Dans la gamme de CMV à notre disposition, il n'y avait pas de formule sans phosphore suffisamment pourvu en oligo-éléments et vitamines. » En 2009- 2010, en revanche, les éleveurs avaient choisi un simple apport de 200 g/VL de carbonate de calcium, une option low cost, pas vraiment du goût de leur conseillère. Deux raisons à cela. D'une part, une interrogation sur l'absorption réelle de cette source de calcium. D'autre part, l'absence d'apports d'oligo-éléments et vitamines… alors que le troupeau avait (et a encore) des progrès à faire en terme de maîtrise de la reproduction. Sur la campagne 2008-2009 (octobre à septembre), les laitières pointaient seulement à 30 % de réussite en première IA avec 43 % de VL à plus de 3 IA et 2,6 IA/IA fécondante. En 2009-2010, elles se situaient encore à 39 % de réussite en première IA, 29 % de VL à plus de 3 IA et 2,2 IA/ IA fécondante. « Ce souci est bien antérieur à l'introduction de colza », précise Dominique.
JEAN-MICHEL VOCORET
Pas de remorque mélangeuse... la ration complète est faite de façon sommaire mais a priori efficace et distribuée avec une désileuse portée.
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