
Une étude du Comité national des coproduits sur trente-cinq tourteaux de colza, provenant de différentes usines, montre que leur azote n'est pas aussi dégradable que cela. Les nouveaux process industriels de trituration des graines sont passés par là.
LE TOURTEAU DE COLZA TRAÎNE UNE MAUVAISE RÉPUTATION qu'il ne mérite pas. On lui reproche son azote trop soluble et son déficit en PDIE. Attention, disent ses détracteurs, à ne pas l'utiliser seul mais avec un tourteau tanné, à la différence du tourteau de soja au profil bien plus équilibré sur le papier. Et d'ajouter : « Avec cet excès d'azote trop soluble dans le rumen, gare aux problèmes de reproduction, de cellules, de santé des vaches… »
Tous ces reproches et ces craintes sont pourtant battus en brèche par des observations de terrain dans les départements qui utilisent le tourteau de colza de façon importante. C'est le cas dans la Haute-Marne, pionnière dans ce domaine, qui, dès la fin des années quatre-vingt-dix, sous l'impulsion du contrôle laitier et de la chambre d'agriculture, a poussé cette source d'azote meilleur marché que le tourteau de soja.
L'AZOTE DU TOURTEAU DE COLZA PEUT-ÊTRE PAS SI SOLUBLE QUE ÇA
Sous leur égide, des tests dans des élevages y ont montré, par exemple, que l'ajout de tourteau tanné n'apportait rien à une complémentation 100 % colza. Des mesures d'urée dans le lait y ont aussi révélé des teneurs pas aussi élevées qu'on aurait pu le croire. Enfin, ces élevages haut-marnais, travaillant maintenant depuis de nombreuses années en tout colza ou presque, n'ont pas rencontré plus de problèmes de reproduction que les autres.
Le fait est aussi que depuis l'équation de prédiction de la dégradabilité théorique de l'azote du tourteau de colza (1) (critère déterminant dans le calcul des valeurs PDI) datant de 1989, beaucoup de choses ont changé. À savoir les variétés de colza, mais surtout les process industriels de trituration. Les phases de préparation- séchage par cuisson des graines, celles de pression mécanique puis d'extraction par solvant, et enfin celles de désolvantation-toastage et de granulation du tourteau à des températures élevées (entre 90 et 110°C), sont autant de facteurs pouvant jouer sur la solubilité de la matière azotée dans le rumen.
D'où une double question : et si l'azote du tourteau de colza n'était pas aussi soluble que cela ? Et si le modèle de prédiction de sa dégradabilité théorique, à partir de sa dégradabilité enzymatique, devait être révisé ? Le sujet mérite d'être approfondi car il est devenu stratégique. Il est vrai qu'avec le boum de la filière diester au milieu des années 2000, le tourteau de colza apparaît aujourd'hui comme une source abondante de protéines pour les ruminants, permettant de réduire notre dépendance vis-à-vis des importations de tourteaux de soja. Le tourteau de colza est en outre, une source protéique qui peut se prévaloir d'être sans OGM en France.
Pour tenter d'y voir plus clair, le Comité national des coproduits (CNC) a conduit une étude au printemps 2010. Trente-cinq échantillons de tourteaux de colza ont été analysés chez des éleveurs de la Haute-Marne et de l'Ouest (2). Ces tourteaux provenaient pour l'essentiel de six usines françaises, et quelques-uns d'Allemagne et de Belgique. Des analyses chimiques complètes réalisées (MS, MM, MAT, MG, CB, lignine), on retiendra des valeurs moyennes assez voisines mais moins variables que celles déjà recensées (tables Inra-AFZ 2004, banques de données de l'alimentation animale-AFZ 2010 ou d'enquêtes récentes).
L'ÉVOLUTION DES PROCESS INDUSTRIELS A PU JOUER SUR LA DÉGRADABILITÉ
En revanche, les valeurs de DE1 (dégradabilité enzymatique de l'azote en 1 heure) sont apparues dans une plage de variations plus basse que celle ayant servi, en 1989, au modèle de prédiction de la DT (dégradabilité théorique). Les évolutions des process technologiques sont passées par là. Là où la DE1 du tourteau de colza d'hier variait de 30 à 50 % (et avec elle, la DT de 75 à 80 %), elle est aujourd'hui comprise entre 20 et 30 %. Et la DT qui en découle ? Difficile de répondre sans corriger et actualiser l'équation de prédiction.
C'est l'objet d'un travail d'une autre envergure sur des vaches fistulées, débuté au printemps 2012, que le CNC a mené en partenariat avec l'Onidol, le Cetiom et l'Institut de l'élevage. Reste à dépouiller les résultats Cela devrait être fait pour cet automne avec, à la clé, d'éventuelles nouvelles valeurs PDI pour le tourteau de colza.
NE PLUS RAISONNER AVEC « DU », MAIS « DES » TOURTEAUX DE COLZA
Mais en tout état de cause, il faut d'ores et déjà intégrer que l'on ne travaille pas avec « du », mais « des » tourteaux de colza quand on cale une ration pour vaches laitières. L'étude menée sur les trente-cinq échantillons a en effet montré, même si elle n'était pas conçue dans ce but, un effet « origine des usines » significatif. Et cela sur tous les critères de composition, exception faite de la teneur en matière grasse. « Les tourteaux provenant de l'usine de Baleycourt (Meuse) titrent plus de matière minérale et contiennent moins de MAT, comme ceux de Rouen (Seine-Maritime). Mais ils présentent une dégradabilité enzymatique plus élevée, à l'inverse de ceux du Mériot (Aube).
Les tourteaux les plus riches en MAT proviennent de Brest (Finistère), Huningue (Haut-Rhin) ou Montoir (Loire-Atlantique). En revanche, les usines de Rouen et du Mériot produisent des tourteaux plus riches en parois », résume un article (publié par Chapoutot et coll.), diffusé aux journées 3R de 2011. Ces différences interorigines, mais aussi parfois intra-usines, se répercutent en toute logique sur leurs valeurs azotées PDIN et PDIE (voir infographie).
À l'usine de Baleycourt, les valeurs PDIE s'étalent de 140 à 150 g/kg de MS pour une moyenne autour de 145. Sur le site de production de diester du Mériot, elles varient de 145 à 155 g/kg de MS pour une moyenne à 150.
Conclusion pratique, qui vaut d'ailleurs pour tout aliment acheté : mieux vaut faire sa propre analyse. Compter pour la MAT et la DE1 un coût de 30 à 40 euros.
JEAN-MICHEL VOCORET
(1) Équation d'Aufrère et al. DT (dégradabilité théorique) = 0,36 DE1 (dégradabilité enzymatique en 1 heure) + 0,479 + X (X = + 0,145 pour le tourteau de colza).(2) Étude du contrôle laitier de la Haute-Marne, l'Institut de l'élevage, le pôle herbivore de Bretagne et Bretagne Conseil Élevage 35.
Les craintes envers une complémentation 100 % tourteau de colza sont battues en brèche dans de nombreux cas. Témoin, les observations faites dans la Haute-Marne, département pionnier dans l'utilisation de cette source azotée. © SÉBASTIEN CHAMPION
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