
L'Inra de Saint-Gilles (Ille-et-Vilaine) a testé durant deux saisons de pâturage trois mélanges prairiaux dont deux avec de la chicorée. Pâturés ras et en conditions de pousse idéales, ils ont un niveau de valorisation identique à celui d'un maïs-ensilage.
LES MÉLANGES MULTI-ESPÈCES DES PRAIRIES TEMPORAIRES pâturées sont composés de graminées et de légumineuses. Le plus courant est bien sûr l'association ray-grass anglais (RGA) + trèfle blanc, mais ces dernières années, se sont aussi développés des mélanges intégrant des graminées résistant à la sécheresse (dactyle et fétuque élevée). Ils sont appréciés pour l'économie en fertilisation et correcteurs azotés qu'apportent les légumineuses et pour leur meilleure adaptation aux conditions climatiques. « La chicorée rentre rarement dans ces mélanges alors qu'elle présente de bonnes valeurs alimentaires, et elle est résistante à la sécheresse grâce à son pivot racinaire profond », estime Rémy Delagarde, de l'Inra de Saint-Gilles.
À la ferme expérimentale de Méjusseaume (Ille-et-Vilaine), en comparaison du RGA pur, trois mélanges sont donc semés en septembre 2010 : RGA + trèfles blanc et violet, RGA + trèfles + chicorée et enfin RGA + trèfles + chicorée + fétuque élevée. Objectif : tester l'effet des trèfles, l'intérêt de la chicorée dans une association et la résistance à la sécheresse d'un mélange avec fétuque.
UNE RATION COMPLÈTE 100 % PÂTURAGE ET ZÉRO CONCENTRÉ
De septembre 2011 à août 2013, 8,7 ha sont répartis en quatre blocs. Les blocs sont pâturés à tour de rôle. Ils sont divisés en quatre parcelles semées avec l'un des quatre profils de prairie et pâturées en même temps par quatre lots de dix prim'holsteins. Au total, treize cycles de pâturage sont réalisés du printemps à l'automne. « L'essai est conçu pour que soient offerts 22 kg de MS/vache/j, sans concentré. Cela revient à leur imposer un pâturage sévère, c'est-à-dire une hauteur d'herbe en sortie de parcelle à 4 ou 5 cm et peu de refus. » La pousse d'herbe étant parfois plus importante dans certaines parcelles, des vaches en plus sont alors introduites pour respecter ces 22 kg journaliers et le calendrier de pâturage. « Ce n'est évidemment pas possible dans une ferme classique. L'éleveur fauche les excédents ou fait pâturer les vaches moins ras. Avec ce pâturage sévère, plus que la performance animale, c'est la performance laitière à l'hectare qui est recherchée. » Cette démarche reprend celle des Irlandais et des Néo-Zélandais qui, en système pâturant, vise la productivité à l'hectare de prairie via un chargement élevé et non le niveau d'étable.
JUSQU'À 13 TONNES DE MS PAR HECTARE
Les années humides 2011-2012 et 2012-2013 ont été favorables à la pousse de l'herbe. Le RGA a bénéficié de ces conditions climatiques, ce qui explique le peu de différence de production fourragère entre le RGA pur et les trois mélanges : un maximum de 1,5 t de MS/ha/an avec RGA + trèfles + chicorée (RTC). De même, la teneur en MAT est identique entre les différentes prairies : 190 g de MAT et 0,88 UFL/kg de MS. « Vu ces conditions propices, la fétuque élevée et la chicorée n'ont pas pu prouver leurs bienfaits sur la sécurisation fourragère. Le RGA n'a pas souffert de fortes chaleurs et l'association RGA + trèfles a bien fonctionné. Les quatre types de prairie atteignent des niveaux de valorisation équivalents à un mais-ensilage. »
Le suivi des parcelles et des animaux donne de 11,2 tonnes de MS (RGA pur) à 13,2 tonnes de MS (RTC) par hectare... valorisées directement par les animaux, c'est-à-dire sans perte au silo et à l'auge, pour une fertilisation azotée totale de 75 kg/ha appliqués en trois fois au printemps. Soit, ramené à la journée, 14,4 à 16,6 kg de MS ingérés/vache (voir ci-contre). « La combinaison "année climatique favorable, maximisation du pâturage et zéro concentré" permet d'atteindre ces niveaux. »
PLUS DE LAIT À L'HECTARE AVEC LES TRÈFLES ET LA CHICORÉE
Les mélanges prairiaux intégrant les trèfles et la chicorée sont de 10 à 15 % plus ingérés : 2 kg de MS/vache/jour de plus comparé au RGA pur, et 1,5 kg de plus par rapport à l'association RGA + trèfles. « Les trèfles contiennent moins de fibres que le RGA. Le rumen se vidange plus rapidement et les vaches se réalimentent plus vite. La chicorée a encore moins de fibres. Elle se digère très rapidement. »
Comme les trèfles et la chicorée ont des valeurs énergétiques équivalentes à celles des meilleures graminées, cette ingestion un peu plus importante se retrouve dans les performances animales (ci-dessus). La palme revient aux mélanges chicorée : 1,5 kg de lait brut de plus par vache que le RGA pur et 0,5 kg de lait de plus que le RGA + trèfles. « Même si l'écart de performances animales est faible, la chicorée montre son intérêt, observe Rémy Delagarde. En revanche, à l'échelle de l'hectare, en années favorables, elle ne se démarque pas du classique RGA + trèfles. » Il souligne surtout le haut niveau global de lait produit à l'hectare du printemps à l'automne : en moyenne 15,3 t/an pour les quatre prairies avec un net avantage pour les trois mélanges par rapport au ray-grass anglais. « Un résultat obtenu via un chargement élevé, une production estivale avantageuse en 2012 et 2013 (plus de 3,5 t de MS/ha) et sans concentré. Une forte autonomie alimentaire fondée sur le pâturage maximisé est possible. »
« Peut-être aurions-nous obtenu des écarts plus importants avec les mélanges chicorée s'ils avaient été pâturés dès la première année d'implantation », ajoute-t-il. La chicorée est une plante bisannuelle : elle fabrique des feuilles la première année et monte en tiges et graines la seconde, ce qui est plus compliqué à gérer.
CHICORÉE : SEULE OU EN MÉLANGE ?
Pour atteindre les 13 t de MS/ha à la gueule de la vache, il n'a pas fallu flancher face aux réticences des laitières à pâturer la chicorée. « La première année, elles contournaient les pieds les premiers jours. Elles rasaient tout, sauf la chicorée qui pouvait atteindre 30 à 40 cm de tiges. Comme nous ne cédions pas, elles s'attaquaient ensuite à la plante. Nous avons adopté la même stratégie avec le RGA pur : nous ne les avons pas laissées trier les pieds, ce qui suppose d'accepter qu'elles aient un peu faim en fin de paddock. »
La deuxième année, leur réaction s'inverse. Elles pâturent, dès leur entrée dans le paddock, l'ensemble des espèces. « L'un des atouts de la chicorée est que les vaches la pâturent jusqu'au sol. Sa valorisation est totale. Étant enracinée profondément, elle repart toujours en végétation. » Malgré tout, face aux difficultés rencontrées, Rémy Delagarde s'interroge sur la pertinence de l'intégrer dans un mélange prairial destiné à durer plusieurs années. « Plutôt qu'implanter un maïs après un retournement de prairie, ne pourrait-on pas la semer en pur pour maintenir la surface pâturable ? Elle pourrait aussi être un complément de ration la journée si des prairies sont en baisse de production. Dans ce cas, la semer sur une parcelle peu éloignée de la salle de traite serait intéressant. »
CLAIRE HUE
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