
Ensilage de pois et féveroles, mélanges céréales + protéagineux récoltés en grains ou en interculture ensilés. Dans le Calvados, trois exploitations explorent ces nouvelles pistes d'associations.
VOILÀ DÉJÀ UNE PETITE DIZAINE D'ANNÉES QUE LES ASSOCIATIONS CÉRÉALES + protéagineux ont fait leur apparition dans les élevages laitiers. On ne peut pas dire qu'elles rencontrent un vif succès auprès des éleveurs. Mais qui les ensile, et les mélange à une ration laitière hivernale, apprécie ce fourrage fibreux et enrichi en azote. Dans les régions aux étés secs, comme les Pays de la Loire et le Poitou-Charentes, leur récolte à la mi-juin sécurise aussi les stocks fourragers. Les méteils - c'est ainsi qu'on les appelle - n'ont pas dit leur dernier mot. Dans le Calvados, des éleveurs testent, seuls ou en partenariat avec des organismes d'élevage, d'autres usages ou d'autres associations.
Ensilage pois + féveroles : Objectif : 100 % protéines
Arnaud et Karl Guilbert ont ensilé, le 15 juin, 9 ha de pois protéagineux + féveroles. 8 ha sont un mélange d'hiver, 1 ha un mélange de printemps. L'ensilage composera 30 % de la prochaine ration fourragère hivernale, soit 4 à 5 kg de MS/vache/jour. « Ils s'ajouteront à 6 kg de MS de maïs, 7 de foin ventilé, 1,5 de betteraves fourragères et autant de colza fourrager affouragé en vert. Nous ne recherchons donc pas un apport de fibres, mais une ration fourragère enrichie en protéines. » Les deux frères ont achevé leur conversion bio en 2011. L'autonomie alimentaire, en particulier protéique, est leur principal objectif. Ils s'appuient sur les essais menés sur leur ferme depuis 2011 par le projet bio bas-normand « Reine Mathilde », mis en place par Stonyfield France (Danone). « Tout a commencé à l'automne 2012, lorsque nous avons semé 3,5 ha de pois protéagineux + féveroles d'hiver. Les valeurs alimentaires obtenues sur les 2,5 ha ensilés le 25 juin 2013 nous ont incités à passer à la vitesse supérieure en semant, à l'automne 2013, 8 ha. » L'analyse du silo donne 0,85 UFL/kg de MS mais surtout 18,5 % de matière azotée totale (110 g de PDIN, 78 g de PDI et 37,9 g de PDIA) pour 28 % de MS. « Les teneurs en éléments minéraux phosphore, calcium, potassium, manganèse, etc., sont bien plus élevées que dans un ensilage de maïs ou d'herbe. Un bon point pour la reproduction et la prévention des boîteries », souligne de son côté Pascal Rougier, de Littoral Normand Conseil Élevage. Il suit l'élevage dans le cadre de « Reine Mathilde ». « Avec 69 % de dMO contre 70 à 72 % pour un maïs-ensilage, ce fourrage ne réduit pas l'ingestion », ajoute-t-il. Le fourrage 2014 n'est pas encore analysé. Son rendement est estimé à 8 t de MS/ha.
Durant le dernier hiver 2013-2014, l'ensilage est distribué aux vaches à raison de 10 % de la ration fourragère (1,5 kg).
« TESTER LE MÉLANGE PROGRESSIVEMENT »
« Il est difficile, dans ces conditions, de mesurer l'incidence sur la production hivernale, reconnaît Arnaud. Le fourrage est appétent, c'est la seule observation faite. Il faut attendre la fin de l'hiver prochain pour tirer les véritables premières conclusions.Nous pourrions alors monter à 50 % de la ration fourragère. »
Message entendu par Pascal Rougier, pour qui l'association pallie le déficit en azote du maïs-ensilage. « Avec une ration fourragère à 50/50 de l'un et de l'autre, on peut envisager de restreindre le correcteur azoté. » Et la fibrosité est apportée par la féverole. Autre intérêt de la plante : son rôle de tuteur. Dans les méteils classiques, il est assuré par les céréales.
En culture hivernale, le Gaec le sème derrière un maïs ou un blé à 20-25 cm de profondeur (le 31 octobre en 2012 et le 15 novembre en 2013). La variété Arthur l'est, à la volée, avec un semoir à engrais à raison de 70 kg/ha (20 pieds/m2). Dans la foulée, elle est enfouie par le labour. Puis, le pois protéagineux d'hiver est semé en ligne (variété Dove à 100 kg/ha pour 80 pieds/m2). « La proportion de féverole est plus faible pour éviter qu'elle fournisse un ensilage trop fibreux qui limitera l'ingestion des vaches, décrypte le conseiller en élevage. L'enfouissement de la féverole la protège du froid hivernal. Cela développe son système racinaire - ce qui est bon pour la structure du sol - et prépare un démarrage rapide au printemps. »
« En 2013, nous avons ensilé l'association trois jours après la fauche (faucheuse classique), sans fânage pour limiter les manipulations, avec une reprise au pick-up à herbe. Nous avons obtenu 28 % de . Cette année, nous avons rajouté une journée de temps de séchage au sol pour atteindre 30 %. L'analyse nous confirmera le bien-fondé ou non de cette décision », précise Arnaud Guilbert. C'est le pois protéagineux qui déclenche la décision de faucher. Le repère : le stade « pois de conserverie », c'est-à-dire formé, plein et mou dans la gousse. « Il est facile à ensiler et l'azote est réparti dans toute la plante », traduit l'éleveur. Il précise aussi qu'il faut prendre son temps pour faucher car l'importante biomasse a tendance à bourrer la machine.Le projet « Reine Mathilde » a élargi, cette année, l'essai avec une association pois protéagineux + féveroles de printemps (variétés Laura et Nitouche, à 147 et 173 kg/ha, résultats non connus). Elle est semée le 19 mars en ligne. Peu de temps après, une prairie multi-espèce (dix espèces, 25 kg/ha), couplée à de la chicorée (2 kg/ha), y est semée à la volée avec la herse étrille.
« AU PRINTEMPS, IMPLANTER UNE PRAIRIE SOUS COUVERT »
De quoi donner des idées à Arnaud et Karl qui cherchent à implanter durablement des prairies (bon démarrage de la prairie, éviter son salissement). « Les analyses faites après le mélanged'hiver indiquent des reliquats de 30 à 35 kg d'azote/ha. C'est prometteur. Nous cherchons justement une culture qui laisse suffisamment de reliquats pour implanter une prairie. » Sur ces bases, les associés envisagent ce plan de bataille : mélange protéagineux d'hiver, suivi d'un colza fourrager pour un affouragement en vert des vaches à partir de l'automne, semis du mélange de printemps avec une prairie sous couvert. Elle sera utilisée durant quatre ou cinq ans.
Triticale + pois + vesce : En interculture
Pascal Lebis cultive les associations de céréales + protéagineux depuis dix ans. Jusqu'en 2012, il a semé 5 à 6 ha à l'automne, après une céréale, à raison de deux tiers de triticale et d'un tiers de pois fourragers et vesce. Ensilées à la fin juin, elles sont plutôt destinées aux génisses. « Le problème était de savoir quoi cultiver ensuite. J'implantais un RGI d'Italie, que je fauchais à l'automne et au printemps, avant un maïs. Seulement, il assèche la parcelle et pompe l'azote du sol.Ce n'est pas idéal pour le démarrage du maïs. » Il décide, à l'automne 2012, de faire évoluer son usage du méteil en le conduisant en interculture entre une céréale et le maïs. Son objectif est triple : d'abord, produire un fourrage plus riche en azote et adapté aux vaches laitières. Ensuite, le faire à partir d'une interculture plus structurante pour le maïs. Et cela, enfin, en répondant aux exigences de la directive nitrates. Il réduit le triticale en construisant un mélange à 50 % de cette céréale et à 50 % de protéagineux d'hiver. Malgré l'hiver 2012-2013 difficile pour la culture, il juge ce test prometteur. Sa teneur en azote (12,5 % de MAT) l'incite à en distribuer 3 à 4 kg de MS/vache de novembre à mars. Et le 21 octobre 2013, il renouvelle l'expérience en semant 10 ha à 90 kg/ha de triticale (variété Lucas), 67 kg/ha de pois protéagineux (semence fermière) et 23 kg/ha de mélange « Mélopro EP » - vesce (Pépite) + pois fourrager (Assas). « Je choisis une parcelle bien exposée au soleil pour le maïs qui est implanté plus tardivement. » Effectivement, cette année, il est semé le 25 mai, après la fauche du mélange par une faucheuse- conditionneuse-andaineuse le 16 mai, et son ensilage le 19.
« INTENSIFIER LA PRODUCTION FOURRAGÈRE »
Pascal estime le rendement à 7 t de MS/ha. « Auxquels il faut ajouter en moyenne 15 t de MS/ha de maïs-ensilage. Le tout répond à mon souhait d'intensifier ma production fourragère pour maintenir ma surface de cultures de vente à 70 ha. » L'analyse du fourrage en vert faite par la chambre d'agriculture est encourageante : 16,2 % de MAT, 0,83 UFL, 95 g de PDIN, 73 g de PDIE et 33 g de PDIA. « La part plus importante de protéagineux dans le méteil, mais aussi la récolte un mois plus tôt favorisent la MAT », avance-t-il. Il estime le taux de MS à au moins 30 % « car le silo ne coule pas ». Il est mélangé à la luzerne, ensilée le même jour, pour être distribué cet hiver aux laitières à hauteur d'un tiers des fourrages.
Méteil en grains : Produire son concentré de production
La ferme du lycée agricole de Vire travaille à son autonomie alimentaire. En partenariat avec la chambre d'agriculture du Calvados, elle a testé en 2012 et 2013 une association triticale + protéagineux récoltée en grains pour une utilisation laitière (voir encadré). « Le 9 novembre 2012 sont semés 63 kg/ha de triticale (variété Dinaro), 20 kg de pois protéagineux d'hiver (mélange variétal) et 6 kg de pois fourragers d'hiver (Assas), se souvient Jean-Paul Rousière, responsable de la ferme. Nous avons apporté 30 kg/ha d'azote au printemps car la culture était laide. Elle a en fait décollé d'un seul coup. »Hormi un fongicide contre la rouille jaune, elle n'a reçu aucun autre intrant. Les 13,6 t obtenues sur 2,20 ha (62 q/ha) satisfont Jean-Paul. « Avec une valeur alimentaire de 105 g de PDIN/UFL, il a remplacé l'équivalent d'une "VL 18". De la mi-octobre 2012 à la fin janvier 2013, 2,5 kg étaient distribués en moyenne par vache, en plus de 8 kg de MS de maïs-ensilage, 6 d'ensilage d'herbe, 2 d'enrubannage de trèfle violet et 2,5 kg de tourteau de colza ». Sur ces quatre mois, la production est de 7 600 à 7 800 kg de lait à 7 % par vache. Elle s'est maintenue à ce niveau en février, mois de réintroduction d'un concentré de production acheté. « Aplati et mis en boudin le lendemain de la récolte, nous n'avons pas rencontré de problème de conservation. Le taux d'humidité à 14 % a évité qu'il soit trop farineux. » Sur sa ferme spécialisée lait, Jean-Paul y voit aussi un intérêt économique. La tonne de méteil en grains produite est revenue en 2012 à 70 €/l (intrants, récolte et inertage). Avec un rendement plus faible, par exemple 45 q/ha, le coût monte à presque 100 €.
CLAIRE HUE
Pascal Lebis produit une partie de sa semence pour 10 ha de triticale + pois protéagineux et fourrager + vesce d'hiver semé entre une céréale et un maïs à l'automne.
Le lycée agricole de Vire a distribué 2,5 kg de grains inertés d'un méteil triticale + pois protéagineux et fourrager d'hiver d'octobre 2012 à janvier 2013.
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