LES IRLANDAIS OSENT FAIRE PÂTUR ER LEURS VACHES TRÈS RAS

Il faut trouver le bon compromis entre la hauteur d'herbe en sortie de paddock, le chargement animal et la production laitière.© C.H.
Il faut trouver le bon compromis entre la hauteur d'herbe en sortie de paddock, le chargement animal et la production laitière.© C.H. (©)

La ferme expérimentale de Moorepark n'hésite pas à tester un pâturage à 2,7 cm de hauteur d'herbe en sortie de paddock. Objectif : augmenter le chargement animal.

L'IRLANDE AFFICHE SA VOLONTÉ D'AUGMENTER sa production laitière de 50 % d'ici à 2020. Objectif ambitieux qui dépendra notamment de la capacité des éleveurs à accroître le lait par vache (plus de concentrés distribués), la taille des troupeaux mais aussi à intensifier la production fourragère. Comme l'agrandissement des surfaces ne semble pas aisé (voir le dossier de L'Éleveur laitier de février 2013), un certain nombre d'éleveurs opteront pour un chargement plus élevé des prairies pâturées, voire combineront les deux : agrandissement de la SFP et chargement. Rappelons que la production irlandaise est calée sur le pâturage de la mi-février à novembre, en grande majorité à 100 %, avec un excédent d'herbe de mai à septembre. Dans ce système, c'est plus le lait à l'hectare qui est recherché qu'à la vache. Les excédents sont ensilés pour les stocks fourragers de l'hiver et nourrir les vaches, toutes taries à cette saison.

Augmenter le nombre de vaches par hectare pâturé signifie pâturer plus ras. Cela affecte-t-il le niveau de production par vache ? C'est ce que veut vérifier la ferme expérimentale de Moorepark (au sud-ouest de l'Irlande). Elle appartient au réseau de recherche Teagasc. En 2011, en tout début de croissance de l'herbe (du 14 février au 25 avril, soit dix semaines), avec des vaches tout juste vêlées et en 100 % pâturage, elle teste trois hauteurs d'herbe en sortie de parcelle : 2,5 cm, 3,5 cm et 4,5 cm. Puis, à partir du 25 avril, les groupes de vaches sont scindés en deux pour une conduite à 3,5 cm et une autre à 4,5 cm pour le reste de la lactation (voir infographie). L'objectif est de répondre à trois questions : quel impact sur le début de lactation a un pâturage plus ou moins ras ? S'il a un effet restrictif, quelle incidence sur la poursuite de la lactation ? Quelle conséquence sur la production fourragère (pâturage + ensilage d'herbe) ?

LES VACHES SONT « INTELLIGENTES »

Que montre l'étude irlandaise ? Premier constat : pâturer ras ou très ras, c'est possible. Durant les dix premières semaines, les vaches descendent à 2,7 cm, 3,5 cm et 4,2 cm. « Pour y arriver, il faut prévoir des paddocks pâturés en une journée », conseille Élodie Ganche, jeune chercheuse à Moorepark, qui travaille en collaboration avec l'Inra de Rennes. « Cela suppose de diviser une parcelle en plusieurs parties. Installer un fil électrique en avant du troupeau et un autre en arrière est la méthode la plus appropriée pour proposer la surface adéquate. » Son autre conseil est de ne pas dépasser les 10 cm de hauteur d'herbe à l'entrée des vaches. « Au-delà, cela leur demande un effort supplémentaire pour atteindre le niveau exigé. En Irlande comme en France, cette hauteur correspond à environ 1,5 à 1,7 t de MS de RGA pur sur pied par hectare. » Elle reconnaît que faire pâturer très ras n'est pas une démarche facile. « Sans doute est-ce même plus difficile pour les Français. Les éleveurs irlandais visent d'abord une production à l'hectare alors que les Français recherchent du lait à l'animal. Or, lorsque les vaches boudent en fin de parcelle comme c'est le cas avec le "lot 2,7 cm", il n'est pas évident de maintenir sa décision. »

Heureusement, elles s'adaptent. Ainsi, les « 2,7 cm » valorisent 94 % de la surface pâturée, contre 84 % pour les « 3,5 cm » et 74 % pour les « 4,5 cm ». Cela équivaut à 14,9 ha, 16,1 ha et 19 ha sur la durée du premier cycle. On voit bien la latitude en termes de chargement qu'offre le pâturage très ras.

Même si les vaches s'adaptent, ce dernier a-t-il un effet sur leurs performances laitières ? « Oui, répond Élodie Ganche. Sur les dix premières semaines de pâturage, le lot "2,7 cm" enregistre une baisse moyenne de production de 1,6 kg brut/vache/jour par rapport aux vaches "3,5 cm" et de 2,6 kg bruts par rapport aux "4,2 cm". Les taux sont légèrement inférieurs (voir tableau). » Dans le premier et le second cas, la reconstitution des réserves au niveau du plateau de tallage est moins rapide après le premier passage, affectant le démarrage de la nouvelle pousse et la production fourragère pour le pâturage suivant. Elle est respectivement de 1,7 et 1,9 t de MS/ha contre 2,4 t pour le lot « 4,2 cm ». Plus que les « 3,5 cm », les vaches du lot « 2,7 cm » ont la double peine. D'une part, le pâturage en dessous de 3 cm ne compense pas assez la restriction de surface par animal. D'autre part, le stock d'herbe sur pied des parcelles concernées est pénalisé par une pousse ralentie.

3,5 CM, LE MEILLEUR COMPROMIS EN DÉBUT DE PRINTEMPS

« Avec les "3,5 cm", c'est plus compliqué, décrypte Élodie Ganche. En deuxième période d'expérimentation (3,5 et 4,5 cm testés pour 3,7 et 4,7 cm obtenus), ce groupe rattrape son léger retard (voir ci-contre). Conséquence : sur l'ensemble de la lactation, les vaches des lots "3,5 cm" et "4,2 cm" du printemps ont le même niveau de production : 5 260 kg et 5 246 kg bruts par vache. De fin avril à fin novembre, les faire pâturer à 3,5 -3,7 cm ou 4,5 - 4,7 cm n'a pas d'incidence sur le résultat final. » A contrario, les vaches à « 2,7 cm » produisent 5 % de lait en moins sur la lactation totale (4 980 kg bruts par vache). Même avec une herbe de très bonne qualité, le pâturage très ras du printemps ne fournit pas toute l'énergie nécessaire à la production laitière. Moorepark fait l'hypothèse que la capacité sécrétrice de la mamelle n'est pas, de ce fait, entièrement utilisée. Il a fallu ensuite un peu de temps pour qu'elle la retrouve pleinement.

Le conseil de Moorepark : un pâturage jusqu'à 3,5 cm de hauteur d'herbe au printemps, avant le pic de pousse d'herbe. Cela permet d'augmenter le chargement animal. Ensuite, passer à 4,5 cm - ce qui est déjà relativement ras - en sortie de parcelle pour ne pas compromettre les pousses d'herbe suivantes qui participent à la constitution des stocks hivernaux, tout en gardant une herbe d'excellente qualité.

En 2012, Moorepark a affiné l'essai sur les dix premières semaines. Durant les cinq premières, les paddocks sont pâturés jusqu'à 2,7 cm ou 3,5 cm. C'est l'inverse sur les cinq dernières. Puis, à partir de fin avril, reprise des deux hauteurs d'herbe 3,5 et 4,5 cm. Objectif : regarder l'impact d'un début ou d'un milieu de printemps moins propice à l'herbe (températures froides) sur la lactation totale. « Il n'y en a pas. La production moyenne par vache est similaire, quelle que soit la conduite de mi-février à fin avril. » La jeune chercheuse précise : « L'analyse d'un pâturage ras à très ras sera complète avec les résultats de reproduction. Leur traitement est en cours. Il faut aussi garder à l'esprit que ces essais sont réalisés avec des petites vaches à 5 000 kg, qui supportent des conduites sévères. » Pâturer aussi ras en France est peut-être plus difficile à envisager. Malgré tout, l'Irlande, fer de lance du pâturage en Europe, a de quoi l'inspirer.

CLAIRE HUE

Aperçu des marchés
Vaches, charolaises, U= France 7,1 €/kg net +0,05
Vaches, charolaises, R= France 6,94 €/kg net +0,02
Maïs Rendu Bordeaux Bordeaux 190 €/t =
Colza rendu Rouen Rouen 465 €/t +3

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