
Sans pour autant crier au loup, les experts s'avouent inquiets du développement de nouvelles mycotoxines. Connues dans le foin mal séché ou stocké à l'humidité, elles peuvent également s'imposer au pâturage ou dans les ensilages.
DANS L'ESPRIT DES ÉLEVEURS, mycotoxines rime plus avec céréales et monogastriques qu'avec prairies et ruminants. En cause : l'idée couramment admise d'une détoxification par la rumination de ces molécules toxiques produites par certaines moisissures.
Dans les années quatre-vingt, les aflatoxines des tourteaux d'arachide ont fait quasiment disparaître des élevages cette matière première tropicale.
Aujourd'hui, la filière laitière européenne découvre l'arrivée de cette molécule sur ses maïs fourrages. Le souci est loin d'être mineur puisque l'Agence européenne de sécurité des aliments a lancé, cet été, un programme de recherche (lire encadré ci-dessous).
L'ENDOPHYTAGE DES SEMENCES FOURRAGÈRES N'A PAS QUE DU BON
L'élevage laitier voit aussi apparaître de nouvelles mycotoxines qui ont pour nom peramine, ergovaline ou lolitrem B. Ce dernier est toxique à quelques ppm, c'est-à-dire à quelques milligrammes par kilo d'herbe.
« Nous avons mis en évidence ces alcaloïdes, toxiques pour les ruminants et secrétés par des endophytes, ces moisissures vivant en symbiose avec certaines plantes des pâturages, détaille Jean-Denis Bailly, responsable de l'unité mycotoxicologie à l'école vétérinaire de Toulouse.
Les petits ruminants sont plus sensibles que les gros, même si certains cas sont rapportés en bovins laitiers. Les premiers cas sur des moutons ont été identifiés dans les années quatre-vingt, en Nouvelle-Zélande, les troubles allant jusqu'à la mort, en passant par des nécroses froides des extrémités et divers troubles nerveux. Les Européens n'ont pas encore conscience des risques. Pourtant, les évolutions climatiques incitent les sélectionneurs de semences fourragères à proposer des plantes résistantes au stress hydrique grâce à l'endophytage, inoculation d'endophytes dans les plantes. Certains alcaloïdes secrétés par ces moisissures confèrent aux plantes qui les hébergent une grande résistance aux agressions climatiques ; mais aussi mécaniques, comme une attaque d'insectes. Certains de ces alcaloïdes sont, par exemple, insecticides. Malheureusement, parmi ces derniers, certains sont aussi néfastes pour les animaux à sang chaud », explique-t-il.
Le pole de compétitivité de la région toulousaine se penche sur le cas de la fétuque, du ray-grass et des ensilages d'herbe pour essayer de comprendre comment éviter ce risque. « La France n'a plus beaucoup de laboratoires susceptibles d'analyser ces mycotoxines », regrette Jean-Denis Bailly qui conseille aux éleveurs de penser aussi « risque mycotoxine » quand ils observent des chutes de production et de la fourbure (au laboratoire de l'ENV de Toulouse, une analyse coûte environ 49 € ).
UNE MOISISSURE PEUT PRODUIRE PLUSIEURS TOXINES
Car, bien évidemment, les mycotoxines « classiques » sont toujours présentes : celles synthétisées au champ (comme les fusariotoxines : fuminosines, trichothécènes aussi appelées DON et zéaralénone) et celles secrétées durant le stockage (comme les aflatoxines et l'ochratoxine A).
Et le sujet n'est pas simple. Toutes les souches d'une espèce de moisissure ne sont pas toxiques et celles qui le sont n'ont pas le même niveau de toxicité. Pour compliquer un peu plus le sujet, une mycotoxine peut être synthétisée par plusieurs espèces (Penicillium verrucosum et Aspergillus ochraceus peuvent émettre de l'ochratoxine A par exemple), et une espèce de moisissure produire plusieurs toxines.
Penicillium roqueforti est ainsi connu pour synthétiser roquefortine, patuline et acide pénicillique, trois molécules toxiques. Les mycotoxines ont deux types d'impact : les atteintes aiguës entraînant la mort et les atteintes subaiguës traduites par des baisses de performance, l'atteinte des défenses immunitaires, voire la modification de la flore digestive. Chacune des manifestations diffère d'une souche à l'autre, mais aussi d'un animal à l'autre dans un troupeau, la contamination n'étant pas homogène.
« Globalement, les bovins sont résistants à ces mycotoxines classiques et le rumen réalise une certaine détoxification. Ainsi, trichothécènes et OTA sont métabolisés en composés non toxiques. Il n'en est pas de même de la zéaralénone (ZEA) qui peut prendre une forme plus toxique avant, éventuellement, d'être métabolisée en zéranol non toxique et qui présente même les caractéristiques d'un facteur de croissance », expliquait déjà Jean-Denis Bailly au printemps dernier, lors d'une journée organisée par BASF.
« Dans tous les cas, même si la détoxification élimine les risques les plus graves, l'élevage en pâtit en terme de performances. »
En raison des risques pour les animaux et à travers les éventuels résidus dans les produits pour l'homme, l'Union européenne réglemente les teneurs de certaines mycotoxines. Ainsi, l'aflatoxine B1 ne peut pas excéder 0,005 mg/kg (soit 0,005 ppm) d'aliments pour des bovins laitiers. Pour d'autres, l'Europe émet des recommandations. La zéaralénone ne devrait pas dépasser 0,5 mg/kg pour tous les ruminants, y compris les veaux.
Outre les mycotoxines des céréales, l'élevage bovin se méfie des moisissures dans les ensilages, surtout Penicillium roqueforti, souvent suspectées dans les accidents toxiques, troubles nerveux, mortalité et avortement. Les mesures préventives passent par la limitation de contamination initiale apportée par la terre et les débris végétaux moisis, mais aussi le blocage de tout développement fongique dans la masse (anaérobiose précoce et durable, départ rapide de la fermentation, voire recours à des acides organiques), comme en front de coupe (avancée suffisamment rapide).
STACHYBOTRYS ATRA SÉVIT DANS LA PAILLE
Les foins ne sont pas exempts, avec la tristement célèbre Aspergillus fumigatus dont les toxines causent avortements mycosiques, mycoses pulmonaires et troubles nerveux.
La paille quant à elle peut héberger un danger encore plus grave : Stachybotrys atra. Cette famille de moisissures est connue pour provoquer des allergies, des irritations respiratoires et des hémorragies allant jusqu'à entraîner des morts brutales chez l'homme. Sur les bovins, les symptômes sont assez divers, de la dépression à la mort en passant par la diarrhée, l'hyperthermie et les tremblements. Les animaux atteints souffrent d'hémorragie et de nécroses. « Les conditions de récolte et de stockage de la paille sont capitales. Attention à ne pas mettre en botte humide ni à stocker sur un sol humide. Il faut notamment surveiller la condensation sous les bâches et toute infiltration d'eau. Le tri de la paille est nécessaire pour éliminer les zones noires, mais en raison des risques pour l'homme, la manipulation doit se faire avec précaution et une protection des voies respiratoires », conclut l'expert.
YANNE BOLOH
Un avancement suffisant du silo l'été est un point clé pour limiter le développement des moisissures et avec elles la production de mycotoxines. © CLAUDIUS THIRIET
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