
Dans les troupeaux associant holstein et montbéliarde, le pilotage de l'azote et de l'état d'engraissement sont déterminants pour optimiser les performances.
L'EXPRESSION DU POTENTIEL TECHNIQUE DES TROUPEAUX MIXTES holstein-montbéliarde exige une conduite de rationnement adaptée. Bien que la montbéliarde ne représente que 3,5 % des effectifs bovins lait dans la Mayenne, l'affluence enregistrée lors de la journée technique, organisée dans ce département par l'OS montbéliarde et le Clasel (Contrôle laitier de la Sarthe et de la Mayenne) traduit l'importance de cette problématique dans les systèmes de plaine, avec une alimentation à base de maïs. « Les régimes riches en énergie, de type holstein, vont favoriser l'engraissement de la montbéliarde au détriment de la lactation, souligne Emmanuel Lepage, nutritionniste au Clasel. En revanche, celle-ci se montre plus sensible au manque de protéines solubles. »
LA MONTBÉLIARDE MOINS GOURMANDE EN UF
Au contrôle de performances de la Mayenne, la holstein affiche un niveau de production moyen de 8 791 l, contre 7 862 l pour la montbéliarde. Mais ce sont avant tout ses qualités fonctionnelles qui expliquent l'attrait des éleveurs pour la race : en moyenne, dans le département, la montbéliarde a un TP supérieur de 1,1 point, un TB inférieur de 0,4 point, des comptages de 206 000 cellules/ ml contre 266 000, un intervalle vêlage-1re IA de 83 jours contre 107 j, un taux de réussite en 1re IA de 54 % contre 44 %, et un IV-V de 398 j contre 438. « La montbéliarde, c'est aussi moins de problèmes métaboliques, de boiteries et de caillettes. Mais avec une alimentation légèrement acidogène, elle risque d'exprimer les mêmes difficultés. La différence tient dans son orientation génétique à la fois laitière et bonne bouchère. » Cette spécificité, valable pour toutes les races mixtes, explique que la montbéliarde est beaucoup plus sensible au manque de protéines solubles : « En favorisant l'ingestion et l'efficacité de la digestion, l'azote va stimuler la production laitière, alors que le métabolisme de l'énergie s'oriente davantage vers la reprise d'état et la production de muscles. Ce mécanisme explique que la prim'holstein requière plus d'énergie pour limiter son amaigrissement, tandis que la montbéliarde a besoin d'azote comme stimulant de la production laitière. »
FAVORISER L'INGESTION À TOUT PRIX
La subtilité du calage alimentaire consiste à limiter la densité énergétique de la ration, favorable à l'engraissement de la montbéliarde, tout en assurant un apport suffisant aux holsteins. « L'équilibre énergétique est moins problématique si la transition au tarissement est maîtrisée, explique Emmanuel Lepage. C'est une période clé de la conduite des troupeaux mixtes, au cours de laquelle on prépare les vaches pour optimiser leur capacité d'ingestion et l'efficacité de la digestion. Car c'est à travers l'ingestion qu'elles vont aller chercher les UF dont elles ont besoin. »
Le conseiller définit le tarissement en trois phases. Le début est une période inférieure à 8 jours qui consiste à couper la production laitière, au cours de laquelle il faut privilégier un régime fibreux (paille, foin, maïs rationné + 0,5 kg de correcteur), tout en apportant un minimum d'énergie fermentescible. Le plein tarissement s'étale de la deuxième semaine jusqu'à trois semaines avant la date du vêlage et dont l'objectif consiste à limiter les apports énergétiques, à partir d'une ration fibreuse visant à maîtriser l'état d'engraissement. Car le tarissement n'a pas vocation à remettre la future laitière en état, mais à maintenir sa note d'engraissement. La règle consiste à tarir les vaches à la note d'état souhaitée au moment du vêlage (voir schéma). Après le vêlage, l'amaigrissement est inévitable. Il tient à une capacité d'ingestion qui augmente moins rapidement que les besoins de la vache en production. Mais la reprise d'état doit être rapide (vêlage + 60 jours) pour éviter les problèmes de santé et de reproduction. « Or, une note d'engraissement trop élevée au vêlage va pénaliser l'ingestion et enclencher un cercle vicieux : aggravation du déficit énergétique, baisse de la glycémie dans le sang, augmentation de la mobilisation des réserves corporelles, production de corps cétoniques, baisse de l'ingestion… » À l'inverse, des vaches trop maigres (note inférieure à 2) n'auront pas assez de réserves mobilisables pour faire face au déficit du début de lactation.
TROIS SEMAINES POUR PRÉPARER LA LACTATION
Les taries doivent donc rapidement passer d'une capacité d'ingestion limitée de 10 kg de MS, au moment du vêlage, à 22 kg après quatre semaines. « Pour répondre à cette exigence, la troisième phase du tarissement, qui correspond à la période de trois semaines précédant la mise bas, est déterminante. Car plus les vaches sont grasses, plus on va pénaliser l'ingestion. L'enjeu est d'autant plus important cette année avec des maïs encombrants. »
Au cours de cette période de trois semaines, l'objectif est de préparer le rumen aux aliments distribués pendant la lactation. Cette règle vise à développer les papilles ruminales nécessaires à l'absorption des AGV (énergie). Sinon, elles régressent en entraînant une baisse de la valorisation des nutriments. De plus, elle prépare la flore du rumen à la ration de lactation afin qu'elle soit la mieux adaptée. Pour cette raison, la ration de préparation au vêlage doit contenir tous les constituants de la ration des laitières. « Un repère simple permet de caler la ration lors de ces trois semaines : 9 mois de gestation, 9 UFL, 900 g de PDI », explique Emmanuel Lepage. Cette ration devra respecter l'apport de fourrages grossiers afin de maintenir le volume et la musculature du rumen, garant d'une ingestion maximale. « Une ration type pour la préparation au vêlage pourrait être composée de 5 à 6 kg de maïs ensilage et 2 kg de tourteaux de colza, ou 1,3 kg de correcteur azoté et de la paille à volonté, bien présentée et détassée (4 kg minimum). Le fond de cuve de la ration des laitières est idéal. Mais dans ce cas, gare à la présence de bicarbonate qui est un facteur de risque d'apparition de fièvre de lait. » Un complément de 200 g de minéraux adaptés pour les taries est un investissement rentable pour prévenir les carences. Dans tous les cas, il est préférable d'éviter le pâturage (moins de 10 ares/ vache tarie), l'enrubannage, la luzerne et, globalement, les fourrages verts qui augmentent le risque de fièvre de lait, d'oedème ou de rétention placentaire. « Idéalement, il y aurait beaucoup à gagner à mettre en place une case spécifique pour la préparation au vêlage. »
Grâce à une bonne conduite du tarissement, la perte d'état ne doit pas excéder 0,8 point entre le vêlage et le pic de lactation (60 j). Cela passe aussi par le respect des équilibres alimentaires. Objectif : valoriser pleinement l'énergie de la ration de base par l'apport d'azote soluble. Classiquement, l'équilibre alimentaire d'un troupeau holstein à 9 500 l se situe en début de lactation (les cent premiers jours) autour de 0,96 UFL et 105 g de PDI/kg de MS. En milieu de lactation les recommandations sont de 0,92 UFL et entre 95 et 100 g de PDI. Compte tenu des spécificités de la montbéliarde, les repères pour un troupeau mixte entre 9 000 et 9 500 l sont, en début de lactation, de 0,94 UFL et 110 g de PDI.
En deuxième partie de lactation l'équilibre se situe au moins à 0,90 UFL et entre 100 et 105 g de PDI. « L'équilibre PDIE/UFL est capital pour optimiser les performances. Il faut ainsi viser un niveau de 100 g de PDIE/UFL. Cet apport de PDIE par les compléments azotés permet d'optimiser l'ingestion en début de lactation. Plus sensibles au manque de protéines solubles, les montbéliardes requièrent un apport de PDIN supérieur aux PDIE (+ 5 à 10 g/kg de MS). » Le correcteur se raisonne donc avant tout par l'azote soluble, dont les principales sources sont le soja ou le colza.
VEILLER AU BON RAPPORT ÉNERGIE/AZOTE
Emmanuel Lepage met en garde contre l'excès d'urée, source d'azote soluble à moindre coût : « Il faut limiter l'azote non protéique à 30 g/100 kg de poids vif, soit 180 g maximum par laitière et par jour. Au Clasel, nous recommandons 120 g/j pour éviter les excès à l'origine de problèmes de foie et de reproduction. » L'apport de tourteaux tannés se calcule dans un second temps. Utilisés entre 500 g et 1,5 kg, ils sont une source de PDIA qui présente un intérêt en début de lactation pour faciliter la reprise d'état des holsteins. Si on veut exprimer au mieux le potentiel du troupeau mixte, il est préférable d'individualiser la conduite d'élevage. Dans ce cas, le niveau d'équilibre de la ration de base correspond à la production réelle moins 6 à 8 l. Ainsi, la ration de base pour un troupeau mixte à 9 000 l pourrait se décomposer comme suit : 13 kg de matière d'ensilage de maïs, 4 kg d'ensilage d'herbe, 3,7 kg de correcteur (70 % de soja et 30 % de colza), soit 0,92 UFL/kg de matière sèche, 98 g de PDIN, 94 g de PDIE, 20 % de cellulose et 22 % d'amidon. « Je conseille de limiter l'ensilage de maïs à 14 kg de MS, et de diversifier les fourrages avec 3 à 4 kg de luzerne ou de ray-grass anglais enrubanné afin d'optimiser la valorisation du maïs. Car le seizième ou le dix-septième kilo de maïs ingéré est mal valorisé en plat unique. » La complémentation individuelle doit privilégier un concentré de production plus protéique pour les montbéliardes, un VL 3,5 l dosant 0,94 UFL et 145 g de PDI ; pour les holsteins, un VL 2,5 l à 0,98 UFL et 120 g de PDI. Pour ces dernières, l'apport de propylène pendant les quinze premiers jours de lactation est particulièrement pertinent en troupeaux mixtes. Il peut être considéré comme l'assurance énergétique des holsteins. « Au-delà, c'est la capacité d'ingestion qui prend le relais pour couvrir les besoins énergétiques », explique-t-il. Concernant le rythme de distribution, on augmente en premier le correcteur azoté, dès le premier jour, à raison de 300 g/j maximum, pour atteindre la quantité attendue à quatre semaines La quantité maximale de concentré de production doit être obtenue au moment du pic de production, ce qui correspond à un rythme d'augmentation du concentré de 100 à 300 g par vache et par jour.
EN RATION COMPLÈTE, LA CLÉ, C'EST L'INGESTION !
En ration complète, la préparation des taries est déterminante car les besoins énergétiques ne peuvent pas être couverts en totalité. Le calage de la ration est alors fondé sur la production moyenne du troupeau (pour 28 l, la ration est calée à 28 l). Une ration complète équilibrée à 28 kg pourrait se composer comme suit : 13 kg de maïs, 4 kg d'ensilage d'herbe, 4,5 kg de correcteur (70 % de soja + 30 % de colza), soit 0,92 UFL/ kg de MS, 105 g de PDIN et 100 g de PDIE. Dans ce cas, les animaux en fin de lactation sont complétés inutilement et on accepte un déficit énergétique maximum de 20 % pour les vaches plus productives. Encore une fois, c'est donc à travers l'ingestion que les vaches vont aller chercher les UF. La ration complète en troupeaux mixtes oblige, par contre, à augmenter de 5 à 8 % le niveau de couverture des besoins azotés. Concrètement, ils devront être couverts pour la quasi-totalité des animaux, soit la production moyenne du troupeau + 20 %. Si la production moyenne est de 30 kg, la complémentation protéique sera calée pour 36 kg.
« Équilibrer haut le niveau de la ration complète génère un gaspillage d'aliment chez les animaux les moins productifs, mais permet l'expression du potentiel de la montbéliarde. Équilibrer au plus juste risque de favoriser son engraissement. Pour optimiser le résultat économique la première question à se poser en ration complète porte sur l'opportunité de constituer des lots avec des écarts de production de 15 l maximum. »
JÉRÔME PEZON
La montbéliarde est plus sensible au déficit en protéines solubles. À production équivalente, il faut lui apporter 300 g de correcteur azoté de plus qu'à la holstein. © THIERRY PASQUET
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