Robe rouge pour l'une, noire pour l'autre, les Prim'Holstein attendent de faire leur entrée sur le « ring », l'arène du Concours général agricole. Leur propriétaire n'a pas vraiment la tête au concours - compromis par la grippe déclarée par les vaches à leur arrivée au parc des expositions parisien.
L'éleveur des Côtes-d'Armor ne fait pas partie des plus mal lotis, évoque même un « bon résultat » annuel sur son exploitation. « Mais en m'usant au travail, limite burn-out », confie-t-il à l'AFP.
« Dans les campagnes, on est usés, tranche Guy Thépault, 55 ans. Il y a plein de gens de mon âge qui arrêtent », y compris dans les grosses exploitations qu'il imaginait solides. « Je trouve ça malheureux, le travail de toute une vie qui part à l'abattoir. »
Dans un monde agricole qui vieillit et se dépeuple - 100 000 exploitations ont disparu en dix ans selon les résultats provisoires du dernier recensement agricole, les fermes d'élevage sont celles qui connaissent la plus forte hémorragie (- 64 000, dont - 34 000 pour celles spécialisées dans les bovins).
La France a perdu 651 000 vaches (laitières et à viande) en cinq ans, selon l'institut français de l'élevage (Idele), soit autant de vaches qui n'ont pas fait de veaux, aboutissant à une réduction du cheptel de plus de 10 %.
Les responsables agricoles n'imaginent pas la tendance s'enrayer. « Le modèle est menacé : une baisse de 30 % du nombre d'exploitations d'élevage est à prévoir sur les dix prochaines années », déclarait cette semaine au salon Thierry Roquefeuil, président de l'interprofession laitière Cniel et de la fédération des producteurs de lait FNPL. La faiblesse du revenu des éleveurs est largement mise en cause.
Certes la conjoncture s'améliore, « mais les prix n'augmentent pas aussi vite que les charges », constate Guy Thépault. Il livre une filiale de la coopérative Laïta - « une de celles qui paient le moins bien », selon lui.
« Fuite en avant »
« J'ai démarré avec 40 vaches, je faisais le même résultat qu'aujourd'hui sauf que j'ai le double de travail, le double de soucis », affirme l'éleveur breton, qui juge aussi la pression fiscale trop forte. L'envolée des prix des céréales, accentuée par la guerre en Ukraine, risque d'enfoncer le clou, en incitant les éleveurs à se tourner vers ces productions plus rémunératrices et moins chronophages. « Les céréales plus chères, ça incite à lâcher les vaches », résume Guy Thépault.
Lui semble décidé à s'accrocher, un brin incrédule : « Il faut vraiment être passionné. » « Avec les voisins de mon âge, on se dit "on est fous". On s'est tous agrandis en croyant qu'on allait gagner plus. On travaille plus, c'est tout. » Il pense que sa génération, « bridée par les quotas laitiers » européens, s'est engagée dans une « fuite en avant » pour grossir et produire plus après la levée de ces quotas en 2015. Résultat : des excédents et un effondrement des cours mondiaux du lait.
Il n'entrevoit guère d'embellie. Le bio, en pleine surproduction, « n'est pas la solution partout ». Le « tout intensif » non plus (« le soja est très cher donc ça passe plus non plus »). « On a longtemps motivé les gens pour s'installer », quitte à enjoliver la réalité, « on doit avoir un discours de vérité, montrer la comptabilité », remarque Bruno Dufayet, président de la fédération des éleveurs bovins (FNB).
Le fils de Guy Thépault est « motivé » pour prendre la suite - « il adore les vaches, c'est une passion », répète l'éleveur comme s'il fallait se justifier. Il ne répliquera toutefois pas forcément l'exemple paternel. « Il veut faire plus petit que moi », dit-il, l'air d'approuver.
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