
Les industriels cherchent de manière plus ou moins offensive à maintenir leur collecte. Tous proposent des avantages aux jeunes installés et certains ouvrent leurs portes à de nouveaux producteurs. Le prix du lait et l’offre de services inédits deviennent des arguments.
Amorcée en 2020, la baisse de la collecte s’accentue en France. Sur les dix premiers mois de l’année, elle serait en recul de 3 % par rapport à 2022, selon les enquêtes de FranceAgriMer. Sur un an en septembre 2023, la perte du nombre de livreurs s’établit à 4,4 %. Cette tendance va perdurer pour des raisons démographiques. De plus, en moyenne, les éleveurs gardent moins de génisses et les effectifs de vaches déclinent. Au 1er octobre 2023, leur nombre était inférieur de 1,9 % à celui de l’année précédente. Entre 2000 et 2021, la France a perdu 72 000 exploitations laitières et un million de vaches. Cette orientation n’est pas observée dans les autres bassins laitiers. Dans l’UE en 2023, la collecte progresse de 0,7 %.
Ces évolutions sont analysées de manières radicalement différentes par les leaders de l’industrie. D’un côté, Sodiaal s’inquiète et a fait de l’attractivité du métier un axe stratégique majeur depuis un an. De l’autre, Lactalis s’interroge sur les raisons du déclin et estime que les aspects conjoncturels et structurels s’entremêlent. «Nous verrons si ces tendances se confirment et, en attendant, nous restons dans une logique de volumes maîtrisés et de prix connectés aux marchés», explique Fabien Choiseau, directeur des approvisionnements pour la France chez Lactalis.
Un certain découragement s’est installé
Contrairement à 2022, l’année fourragère se présentait bien en 2023. Mais, cet automne, les tempêtes et inondations ont empêché la reprise attendue de la production. « La collecte de début 2024 donnera une meilleure vision de la situation», espère Pascal Le Brun, président d’Eurial.
Or le volume de lait produit dépend aussi beaucoup du dynamisme des producteurs. Et là, entre la faiblesse des revenus et l’excès de travail, un certain découragement s’est installé. Une étude prospective réalisée par l’Idele montre que la part de lait exporté pourrait passer de 36 % aujourd’hui à zéro en 2027. Inquiétant.
On commence donc à voir les laiteries chercher des solutions pour remotiver les éleveurs et encourager l’installation, voire pour attirer de nouveaux producteurs. Certaines anticipent une concurrence accrue entre elles pour disposer de lait. «Les éleveurs vont davantage changer de laiteries. À nous de les convaincre de rester ou de venir chez nous», lance Guy Le Bars, président de Laïta.
Le prix n’est qu’un élément parmi d’autres dans la motivation des producteurs. On voit bien que la hausse survenue depuis deux ans n’a pas enrayé la baisse de la collecte. Il s’agit néanmoins d’un élément important. La première coopérative française a pris l’offensive sur ce sujet depuis début 2023, annonçant ses intentions le plus souvent par trimestre afin de donner de la visibilité. Si sur les deux dernières années, les deux leaders sont au coude à coude, en 2023, l’avance de Sodiaal sur Lactalis s’élève à 17 €/1 000 l (42/33, toutes primes incluses). Et Sodiaal a annoncé 440 €/1 000 l pour janvier et février 2024 quand Lactalis peine à trouver un accord avec ses OP.
Valoriser le travail des éleveurs
De plus, Sodiaal négocie avec la grande distribution sur la base d’un coût de production à 500 €/1 000 l depuis 2023 et défend « une juste valorisation du travail des éleveurs », alors que Lactalis refuse d’avancer sur ce sujet. Certaines coopératives montrent aussi une certaine flexibilité dans la fixation du prix par rapport à ce que donne leur formule. Ces derniers mois, les ajustements se sont faits à l’avantage des producteurs, notamment chez Sodiaal ou Laïta, dans le but assumé de les encourager à produire.
De son côté, Terrena a revu son dispositif de prime sur le prix du lait, un bonus de 10 €/1 000 l de lait au maximum. «À l’origine, ce système récompensait surtout la qualité du lait, précise Yannick Bergot, directeur de la production laitière chez Terrena. Aujourd’hui, il s’agit d’abord de fidéliser nos adhérents. » Parallèlement, des aides sont accordées à ceux qui se développent. «Pour tous les équipements liés à la production, nous proposons une aide correspondant à 15 % de l’investissement, plafonné à 185 000 € », précise Christophe Miault, président de la filière lait de Terrena. Cette coopérative polyvalente a aussi décidé d’ouvrir sa porte à ses adhérents livrant leur lait ailleurs, pour peu qu’ils se trouvent dans sa zone de collecte. Cela concerne 30 Ml qui deviennent stratégiques.
Des opportunités de croissance
La souplesse sur les volumes de référence contribue également à améliorer les conditions pour les producteurs. La disparition des prix et volumes B chez Sodiaal et Laïta en 2023 s’inscrit dans cet objectif. Mais c’est l’ULM qui va le plus loin sur ce sujet, d’autant qu’une enquête interne a montré qu’elle pourrait perdre 13 % de sa collecte d’ici à dix ans. Tous les adhérents peuvent y produire sans limitation de volume. En 2022 et 2023, Eurial a décidé de consolider les références en y ajoutant de manière pérenne les 5 % d’attribution de fin de campagne. Chez Sodiaal, les demandes de volumes supplémentaires sont effectives sur la campagne en cours et non plus sur la suivante. En 2023, la demande a légèrement baissé à 50 Ml mais il est encore un peu tôt pour faire le bilan.
Lactalis a récemment évolué sur ce sujet. Cet automne, un programme d’attribution de volumes a été proposé aux adhérents d’OP affiliées à l’Unell. À l’OP Normandie Centre, par exemple, 56 demandes sont acceptées à raison de 150 000 l à 500 000 l par exploitation. «Les demandes sont moins nombreuses que par le passé mais portent sur des volumes supérieurs », constate Fabien Choiseau.
Sodiaal trouve de nouveaux adhérents
Certains cherchent en plus à attirer de nouveaux producteurs. Et là encore, Sodiaal est à l’offensive. La coopérative, qui voit sa collecte reculer au même rythme que la moyenne française, a invité les candidats à la rejoindre lors des salons d’automne. «Cette ouverture nous a permis de récupérer 10 Ml en moins de trois mois », détaille Florence Monot, directrice générale amont de Sodiaal.
Toutes les laiteries veulent maintenir le rythme des installations. Les attributions de volumes et les aides diverses pour les jeunes font partie de cette stratégie. Eurial et Lactalis se félicitent de voir que leur nombre reste constant. À l’ULM, depuis 2014, tout jeune installé de moins de 45 ans peut bénéficier d’une aide à l’installation de 10 000 € et d’un chèque de 2 000 € pour financer de l’accompagnement technico-économique, en contrepartie d’un engagement de dix ans et du respect de la charte des bonnes pratiques.
Prix garanti pour les jeunes installés
Plus original, Terrena propose un prix minimal garanti pour les cinq ans suivant l’installation. Il est fixé chaque année en fonction du prix payé l’année précédente et de l’évolution des charges, soit 430 €/1 000 l (prix de base) en 2023. Cela fonctionne avec une caisse alimentée par la coopérative et par les éleveurs quand le prix réel dépasse le prix plancher. «Ce système est optionnel mais il rencontre du succès», remarque Christophe Miault. Cette coopérative apporte aussi une dotation de 1 500 € aux JA. Eurial réfléchit à faire évoluer son système de prix minimal. Un nouveau plan d’aide aux jeunes installés devrait voir le jour en juin 2024. Chez Sodiaal, chaque jeune installé reçoit la Sodiaal box, un montant de 10 000 € pour qu’il puisse se former, acquérir le capital social et améliorer ses conditions de production.
Les coopératives (Sodiaal, Even, Terrena, ULM) misent en plus sur le développement d’un esprit coopératif chez les jeunes installés. Elles organisent des journées de rencontres entre eux, leur font visiter leurs usines, leur expliquent leur modèle économique.
L’attractivité du métier passe enfin par la possibilité d’en vivre sereinement. Au-delà du revenu, la question du travail est devenue prégnante et des laiteries sont en quête de solutions. Ainsi, Terrena va aller chercher 150 apprentis, qu’elle s’engage à suivre, pour fournir de la main-d’œuvre dans les fermes. Sodiaal offre des aides pour se former au management ou au recrutement. Ou encore, pour se faire remplacer le temps des vacances ou d’une formation. 1,5 M€ a été alloué à cette action pour 2024. Eurial a permis à 60 éleveurs de suivre une formation sur le management des salariés. D’autres sessions sont prévues. L’ULM dévoilera un plan d’action sur le sujet de la main-d’œuvre en 2024.
Chez les privés, les conflits sur le prix bloquent la réflexion
Les laiteries privées en désaccord avec les OP sur le prix du lait avancent beaucoup moins sur ces sujets, Danone en fait partie. Savencia n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais, du côté de Saint-Père, après des mois de fixation unilatérale du prix du lait, l’OP a réussi à convaincre Agromousquetaires et Intermarché de l’urgence à sortir des conflits pour travailler sur le contrat. «Ils ont enfin compris que leur approvisionnement en lait n’est pas garanti tant que les éleveurs sont prisonniers d’un acheteur unique qui les empêche de mener leurs projets librement», se félicite Élodie Ricordel, présidente de l’OP.
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