La sélection génétique à la croisée des chemins

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L'effectif de vaches laitières baisse presque partout en Europe ce qui réduit petit à petit la base de sélection. (©P.LE CANN)

Eliance va créer un organisme de sélection (OS) multiracial qui déstabilise l’OS holstein historique et Races de France. Le projet d’indexation européen (EBE) avance et les races qui ne s’y investissent pas se préparent à fonctionner sans la holstein pour produire leurs index.

S’il existe un consensus au sein du monde de la sélection génétique en France, c’est sur le fait que l’organisation manque d’efficacité en raison de sa complexité et doit évoluer. Pour le reste, chacun a sa vision et, alors que le sujet est sur la table depuis plusieurs années, les avancées sont laborieuses. Cependant, un système d’indexation européen se met en place (lire l’encadré ci-dessous) ce qui bouscule la filière française.

Le dispositif génétique français (DGF) est donc en train de bouger doucement, sous l’impulsion des entreprises de sélection holstein et de leur fédération, Eliance. C’est en effet cette structure qui représente la France dans l’EBE. Ceux qui veulent rejoindre le système européen doivent dès lors d’abord adhérer à Eliance. « Nous souhaitons fédérer ceux qui veulent avancer autour d’Eliance », explique Jean-Yves Dréau, directeur adjoint de Synetics et président de l’EBE.

En septembre, Eliance a réformé sa gouvernance pour s’ouvrir à un quatrième métier : organisme de sélection (OS). Elle était déjà compétente pour les entreprises de sélection, de mise en place, et de conseil en élevage. « Nous voulons offrir des services aux OS, comme aux autres entreprises, défend Cyril Cabrol, directeur d’Eliance. Notre conseil d’administration souhaitait aussi créer un lieu de discussion entre les différentes parties prenantes de la génétique pour parler de politique stratégique. » Pour lui, il n’y a que deux options : soit les OS rejoignent Eliance, soit cette dernière crée son propre OS multiracial. C’est cette orientation qui se dessine aujourd’hui.

Pour comprendre, il faut se souvenir que la mutualisation est ancrée dans le dispositif génétique français depuis bien longtemps. Les grandes races laitières, holstein en tête, poussent à l’innovation, les autres en bénéficient ensuite. Ça a été le cas pour la génomique, le Single Step ou encore l’émergence de nouveaux index. Au sein de Geneval, qui réalise l’indexation, cette mutualisation a été restreinte l’an dernier pour mieux prendre en compte les différences de besoins. Les races laitières, notamment, sont très demandeuses de nouveaux index, qui n’intéressent pas toujours les autres et n’ont pas à être financés par tous.

Les organismes de sélection se trouvent au cœur du dispositif

« L’accès aux données est majeur pour calculer les index et pour innover, lance Cyril Cabrol. Or nombre de ces données passent par les OS. » Il faut rappeler aussi que le règlement zootechnique européen (RZUE) leur donne une place centrale dans l’amélioration génétique. Ils ont pour mission de définir le programme de sélection, donc ses objectifs. Ils sont responsables de la certification de parenté, du contrôle de performances, du calcul et de la diffusion des index ce qui les conduit à collecter de nombreuses données indispensables à la sélection. Ils peuvent déléguer certaines de leurs missions. Ailleurs en Europe, les organisations d’élevage sont concentrées et une même entreprise assume souvent les fonctions d’OS, de conseil en élevage et de création génétique. Pour eux, la transmission des données s’effectuera donc simplement vers l’EBE. Tel n’est pas le cas en France. La structuration y est bien plus éclatée. Et pour compliquer encore la situation, les décrets d’application du RZUE ne sont pas encore tous publiés en France.

Les OS restent néanmoins les interlocuteurs privilégiés de l’État, qui accorde toujours des soutiens financiers à la génétique. La question du modèle économique est cruciale alors que l’État souhaite se désengager. Car la sélection génétique coûte de plus en plus cher, notamment en raison de la masse colossale des données à traiter, et la décapitalisation continue en élevage réduit la base de sélection. Les financements de l’État servent aussi à soutenir la recherche (projets Casdar, par exemple), qui n’est pas conduite par les OS.

L’OS holstein a refusé d’adhérer à Eliance

Actuellement, la plupart des OS se retrouvent au sein de Races de France, mais quelques-uns adhèrent à Eliance. Le projet d’OS multiracial va rebattre les cartes. Si les éleveurs peuvent adhérer à plusieurs OS, les entreprises, elles, doivent en choisir un. L’OS prim’holstein historique se trouve en première ligne. Synetics et Elitest ont déjà annoncé leur intention de rejoindre l’OS d’Eliance dès qu’il sera créé. Gènes Diffusion possède son propre OS pour la race.

Les entreprises de sélection holstein vendent des paillettes et des services. Leurs moyens financiers sont bien plus élevés que ceux des autres intervenants du dispositif génétique français. (© C.FAIMALI/GFA)

Au printemps, Eliance a proposé à Prim’holstein France de le rejoindre, mais a essuyé un refus. « Cette proposition remettait en cause certaines délégations (généalogie, table de pointage par exemple), et revenait donc à affaiblir considérablement l’association d’éleveurs Prim’holstein France », explique Thierry Ménard, directeur de l’OS historique et de Prim’holstein France. « La génétique doit servir tous les éleveurs et ne doit pas être uniquement vecteur de rentabilité? pour nos structures d’élevage », ajoute-t-il. Il précise aussi que les OS historiques n’empêchent pas le business, mais ils y mettent des règles d’équité.

En France, par exemple, la publication d’un Isu tenant compte de l’originalité génétique peine à se mettre en place, faute d’intérêt de la part des entreprises de sélection. « Les taux de consanguinité atteints par certains taureaux aux États-Unis sont effarants. Nous ne voulons pas les suivre sur cette voie. »

S’il maintient sa volonté d’entrer dans l’EBE, Thierry Ménard craint que, là aussi, les décisions soient prises par les entreprises de sélection au détriment des autres acteurs. Il ajoute que, pour s’engager à l’EBE, il est nécessaire de bien connaître les conditions, sur le plan financier mais aussi en termes de gouvernance. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, selon lui.

La normande attend des clarifications de l’EBE

En avril 2024, l’OS normande a donné un accord de principe pour entrer dans l’EBE, sous réserve que les conditions soient claires et lui conviennent. « Aujourd’hui, Eliance nous propose de signer un contrat avec l’EBE qui comprend un engagement financier, détaille Pascal Orvain, président de l’OS normande. Il ne s’agit pas du paiement d’un service, on n’a pas d’information pour la suite. » Il ne voit par ailleurs aucun intérêt à adhérer à Eliance et s’interroge sur l’opportunité de créer un OS multiracial, susceptible de s’intéresser un jour à la normande. « Nous n’avons pas les moyens de nous diviser. Au sens du RZUE, la coexistence de différents OS pour une même race se justifie si les objectifs de sélection sont différents. » Il lui semble normal que chaque race s’adapte à son propre contexte, rappelant que la collaboration entre différents pays n’est pas nouvelle. L’OS normande réalise des génotypages pour des taureaux colombiens et collabore avec les instances de la race en Belgique. La holstein peut donc se rapprocher de pays européens sans tout bouleverser en France.

Mais l’EBE poursuit sa construction. Mi-octobre un contrat de partenariat a été signé entre Eliance et une dizaine d’entreprises d’élevage, pour participer à l’EBE. On y trouve Synetics, Union GD et Elitest, mais aussi BGS, Charolais Univers, Auriva, ou les Belges Awé. « Nous laissons la porte ouverte à d’autres partenaires jusqu’à la fin de l’année, précise Cyril Cabrol. Ensuite, il sera toujours possible d’adhérer, mais les conditions ne seront plus les mêmes. » Il estime en effet que les membres fondateurs prennent des risques. Ceux qui suivront ne pourront être traités de la même manière.

Des enjeux d’argent et de pouvoir

Eliance avance aussi dans la construction de son OS qui comprend un dossier de demande d’agrément et un autre dossier pour chaque race concernée, en premier lieu la holstein. Il faut indiquer la manière dont vont fonctionner ensemble les différents OS affiliés à une même race. Des discussions sont donc en cours avec l’OS historique holstein et celui de GD. Cyril Cabrol se dit confiant et espère déposer les dossiers dans les prochaines semaines. Il faut compter au moins trois mois pour obtenir l’agrément. Thierry Ménard semble moins convaincu d’un aboutissement rapide.

Les éleveurs vont être amenés à donner leur consentement pour que leurs données soient transmises au nouvel OS d’Eliance, ce qui ne les empêchera pas de rester présents dans l’OS historique. En revanche, le départ annoncé des entreprises de sélection holstein va déstabiliser l’OS historique qui perdra des ressources financières importantes.

La sélection holstein est dominée par les États-Unis. Les intervenants européens se regroupent pour mieux résister et défendre la souveraineté du Vieux Continent dans ce domaine. (© Claudius Thiriet /Archives)

Cette volonté d’Eliance de prendre une place centrale dans le dispositif génétique et d’entraîner un maximum d’OS dans l’EBE bouscule également la fédération d’OS Races de France. Pour son président, Hugues Pichard, également président de Geneval et de FGE, les aspirations de la holstein sont tout à fait légitimes. « Il s’agit d’une race internationale qui fait du business. Sa présence dans le DGF aide les autres races », reconnaît-il. Pour autant, il défend le droit de chaque race à choisir sa voie, comme le fait la holstein, et affirme que le DGF peut tenir sans elle. « Nous avons revu le modèle économique de Geneval au printemps pour se préparer au départ de cette race qui représente 30 % des indexations. Il va falloir réduire la voilure, mais on va y arriver, au prix de quelques efforts et d’un coût augmenté d’une poignée de centimes par indexation. »

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