Ce sont 40 jours clés dans l’année d’une vache laitière : 20 jours avant vêlage et 20 jours après, durant lesquels se jouent à la fois leur état de santé et leur productivité. « On parle des vaches en transition, indique Yann Martinot, directeur technique de l’organisme de conseil en élevage Elvup dans l’Orne. Pour ces deux groupes d’animaux, juste avant et après vêlage, la gestion de l’alimentation doit être à la pointe, en particulier dans les cas où le niveau de production est élevé. Pour les troupeaux gérés de façon plus extensive, le risque de rencontrer des problèmes métaboliques est moins grand. »
Sur une vingtaine d’exploitations suivies, le spécialiste observe des moyennes de production allant de 15 à 40 kg de lait par vache et par jour, et il constate que les situations « d’entre-deux » ne sont pas forcément les plus faciles à gérer. L’éleveur doit donc être clair sur son objectif de production de façon à adopter un pilotage cohérent de la ration.
Mesurer le pH urinaire
Les deux principaux problèmes métaboliques auxquels est exposée la vache en début de lactation sont la fièvre de lait (durant les trois premiers jours) et l’acétonémie (durant les vingt premiers jours).
La fièvre de lait peut mettre une vache au tapis mais peut aussi être subclinique et seulement « gripper la mécanique » (risque de métrite accru, baisse de productivité). « Il y a encore du chemin à faire car beaucoup d’éleveurs travaillent en fonction des observations sur leurs vaches, constate Yann Martinot. Or tout ne se voit pas à l’œil nu. »
La fièvre de lait vient d’un niveau insuffisant de calcium sanguin. La production de colostrum exige en effet de gros besoins en calcium, que la vache ne peut couvrir avec les apports seuls. Elle doit nécessairement déstocker du calcium osseux, et ce mécanisme de pompage doit être activé avant le vêlage, chez la vache tarie. « Selon l’ancienne l’école, on carençait la vache au tarissement de façon à inverser la pompe à calcium avant le vêlage, explique Yann Martinot. Désormais, on apporte plutôt des sels anioniques – produits à BACA négative – jusqu’au vêlage, dans le but de faire baisser le pH sanguin entre 6,5 et 6. Cela entraîne la mobilisation de calcium osseux par la vache. Bien entendu, les nutritionnistes sont là pour calculer le bon dosage de ces sels en fonction des aliments distribués. »
Pour le suivi, le pH urinaire est un excellent indicateur du pH sanguin. Il peut être mesuré en déclenchant, par stimulation dans la zone entre la mamelle et la vulve, le réflexe nerveux poussant la vache à uriner. « Nous conseillons une mesure par semaine car la variation des fourrages fait bouger le pH, avertit Yann Martinot. Certains éleveurs la pratiquent et nous allons aussi proposer cette prestation dans le cadre du contrôle de performances. »
Viser 22 % d’amidon dans la ration
Le risque d’acétonémie est lié de son côté à un amaigrissement trop important de la vache en début de lactation en raison de ses besoins énergétiques. Pour faire face à la production laitière, la vache pompe en effet dans ses réserves corporelles. Les matières grasses sont transformées dans le foie, mais en cas de présence insuffisante de composés néoglucoformateurs (pour la transformation en glucose), se forment alors des corps cétoniques. Là encore, certains cas sont visibles mais il y a aussi beaucoup de cas d’acétonémie subcliniques dans les troupeaux.
Le dosage du BHB (bêta-hydroxybutyrate) dans le sang dès le cinquième jour de lactation est un bon indicateur de ces acétonémies subcliniques. « Pour transformer les matières grasses dans le foie en glucose mais pas en corps cétoniques, il faut privilégier les aliments riches en amidon en visant environ 22 % d’amidon dans la ration, en évitant toutefois l’amidon rapide du blé, de l’orge ou du triticale, et en ne dépassant pas 25-30 % pour éviter par ailleurs l’acidose, recommande Yann Martinot. Il faut aussi limiter le flux de transformation des matières grasses en évitant que les animaux arrivent trop gras en début de lactation. Cela s’anticipe dès la fin de la lactation précédente, car une fois le tarissement engagé, il faut éviter de faire maigrir une vache. »
Du confort à l’auge et au couchage
L’optimisation des apports énergétiques et azotés en début de lactation peut être gérée de manière individuelle à l’aide d’équipements comme le DAC ou le robot de traite. En l’absence de ces outils, Yann Martinot estime que les vaches en début de lactation peuvent être mises sur « un bon rail de départ » avec une ration collective adaptée jusqu’à 30 voire 50 jours de lactation environ. Une stratégie d’individualisation peut alors éventuellement être mise en place.
Le nutritionniste reconnaît enfin qu’entre performance laitière et risques métaboliques (fièvre de lait, acétonémie, acidose), le début de lactation reste une affaire de compromis, pas toujours évident à trouver. Une attention particulière doit donc être portée aux vaches dans la période des quarante jours autour du vêlage. En particulier, il convient d’écarter tout fourrage altéré (y compris pour les taries), ou tout reste de ration contenant du bicarbonate ; et d’éviter tout stress en leur assurant de la place à l’auge et au couchage. « Leur confort est très important et il faut plutôt viser à ce moment-là une densité ne dépassant pas 80 % pour ce groupe d’animaux » prévient-il.